Intervention de Jacqueline Gourault

Réunion du 15 février 2012 à 14h30
Simplification des normes applicables aux collectivités territoriales — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de Jacqueline GouraultJacqueline Gourault, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission des lois, mes chers collègues, nous sommes donc aujourd’hui appelés à examiner la proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités locales élaborée par notre collègue Éric Doligé.

Comme il l’a rappelé lui-même, ce texte constitue la traduction législative de quelques-unes des propositions du rapport qu’il a remis au Président de la République le 16 juin 2011 et qui était relatif au poids des normes sur l’activité quotidienne des collectivités territoriales.

La mission qui lui avait été confiée s’inscrivait dans un contexte global de croissance exponentielle des normes, de leur manque de lisibilité et de cohérence et de leur décalage par rapport aux réalités locales.

Ce constat est ancien. En 1991, déjà, le Conseil d’État relevait le phénomène de « surproduction normative ». En 2000, la mission commune d’information du Sénat chargée de dresser le bilan de la décentralisation concluait que les administrations de l’État avaient pris l’habitude d’intervenir sous forme de règlements. Il était notamment relevé que, sans dessaisir, au moins en théorie, les autorités locales, cela avait contribué à limiter significativement les pouvoirs de ces dernières. En 2007, le groupe de travail chargé d’étudier les relations entre l’État et les collectivités territoriales avait également conclu à l’accroissement des charges pesant sur les collectivités, d’une part en raison de l’inflation des textes normatifs qu’elles doivent appliquer, d’autre part au regard de la complexité des procédures qu’elles doivent mettre en œuvre.

À ce jour, aucune étude exhaustive n’a été conduite pour évaluer le coût global de ces normes dans les budgets locaux. Nous ne disposons à l’heure actuelle que de quelques études sectorielles, réalisées par les associations nationales d’élus. Ainsi, l’Association des maires de France évalue à 400 000 le nombre de normes que les élus locaux sont appelés à appliquer !

D’autres données confortent cette analyse. En 2009 et 2010, 339 « projets de normes » émanant de l’État ont donné lieu à une évaluation : elles représenteraient plus de un milliard d’euros de dépenses supplémentaires pour les collectivités territoriales.

Ce coût est accentué par l’instabilité des normes. En dix ans, 80 % des articles législatifs et 55 % des articles réglementaires du code général des collectivités territoriales ont été modifiés. Et s’y ajoutent les centaines de dispositions supplémentaires issues des nouveaux textes législatifs et réglementaires !

Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce foisonnement.

Tout d’abord, la croyance inconditionnelle dans les vertus de la norme. On peut véritablement parler à ce titre de « zèle normatif » des administrations de l’État, centrales et déconcentrées, qui se traduit par l’extrême précision réglementaire des décrets, arrêtés et circulaires.

Par ailleurs, certaines normes, comme les normes professionnelles AFNOR ou ISO, se sont transformées en normes obligatoires, en raison des secteurs dans lesquelles elles s’appliquent ou parce que les assurances imposent souvent le respect de ces normes, rendant de facto celles-ci obligatoires.

Un autre facteur tient à la gouvernance multiple et insuffisamment partagée de la norme. Le responsable régulièrement pointé du doigt est l’État, même s’il convient de nuancer quelque peu cette mise en cause : il partage en effet cette responsabilité avec le législateur, mais aussi avec les autorités communautaires – notre pays fait souvent du zèle en verrouillant encore davantage les normes par rapport à la directive communautaire –, les organismes de droit privé investis d’un pouvoir réglementaire, telles les fédérations sportives, ou encore les collectivités territoriales elles-mêmes, qui peuvent subordonner certaines de leurs subventions au respect d’exigences techniques et qui imposent aux autres collectivités ces nouvelles normes.

Cette parcellisation est néfaste pour les relations entre l’État et les collectivités territoriales, mais aussi pour les relations entre collectivités territoriales. La gouvernance normative ne repose pas suffisamment sur une culture partagée de l’information et, surtout, de l’évaluation des politiques publiques locales.

Tout cela nuit à nos territoires et à leur compétitivité. La mise en place de politiques publiques locales adaptées se trouve entravée du fait de l’application uniforme et rigide de certaines normes ou de la lourdeur de certaines procédures administratives. Car ce « maquis normatif » s’applique à l’ensemble des politiques publiques locales.

À la demande du Président de la République et du Premier ministre, les commissions permanentes du Sénat et les associations nationales d’élus ont identifié les secteurs dans lesquels la production réglementaire est la plus intense. Ce travail a été réalisé par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, sous la houlette de notre collègue Claude Belot. L’accent a été mis sur l’accessibilité – sans que le bien-fondé de cet objectif soit aucunement remis en question –, l’urbanisme et l’environnement. Le sport et les règles de sécurité constituent également des domaines de prédilection en matière de normes.

Face à ce constat, diverses réponses ont été apportées.

En premier lieu, a été créée, en décembre 2007, la commission consultative d’évaluation des normes, la CCEN, qui a permis d’instaurer un contrôle approfondi et exigeant des normes réglementaires, favorisant ainsi une nouvelle culture de l’évaluation des normes au sein des administrations centrales.

En second lieu, un moratoire sur l’édiction des normes réglementaires a été instauré par une circulaire du Premier ministre en date du 6 juillet 2010. Ce moratoire s’applique à l’ensemble des mesures réglementaires dont, je le précise, l’adoption n’est commandée ni par la mise en œuvre d’engagements internationaux de la France ni par l’application des lois, ce qui en limite évidemment la portée.

Parallèlement, a été créée la commission d’examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs, ou CERFRES, tandis qu’était nommé un commissaire à la simplification.

C’est dans ce contexte qu’intervient l’initiative de notre collègue Éric Doligé tendant à desserrer l’étau normatif auquel sont soumises les collectivités territoriales.

Cette proposition de loi répond à une véritable demande de tous les acteurs de terrain, qui ont d’ailleurs inspiré de nombreuses préconisations de son rapport. Nous ne pouvons donc qu’approuver cette démarche de simplification et de clarification d’un échafaudage réglementaire quelque peu vacillant !

Elle rencontre un écho chez toutes les personnes concernées, comme j’ai pu le constater moi-même au cours des quelques auditions auxquelles j’ai pu procéder ; en effet, comme l’a indiqué Éric Doligé, nous n’avons disposé que de très peu de temps pour mener ce travail de consultation.

Il est clair que, sur certains points du texte, tout le monde est d’accord, et je n’ai pas besoin de m’y attarder. En revanche, il en est d’autres qui nécessitent de plus amples réflexions.

Bien entendu, au sein de la commission des lois, la discussion a porté essentiellement sur les sujets qui faisaient débat, notamment tout ce qui concerne l’urbanisme et, en particulier, les secteurs de projets, dont traite l’article 20. Il n’y a évidemment pas d’hostilité a priori sur ce qui concerne les secteurs de projets, mais un certain nombre de nos collègues, ainsi que l’Association des maires de France, que j’aie entendue sur ce sujet, voulaient assortir cet article de garanties juridiques plus solides.

Toujours en ce qui concerne l’urbanisme, n’est-il pas un peu risqué, pour les maires, que soit autorisée, comme le prévoit l’article 24, la signature de promesses de vente ou de location avant la délivrance du permis d’aménager un lotissement ?

Est-il opportun d’organiser, à l’article 23, la caducité du cahier des charges d’un lotissement s’il n’est pas publié au bureau des hypothèques dans les cinq ans ?

Voilà quelques points qui ont fait l’objet de débats.

Bien sûr, la rationalisation des moyens est aussi un aspect très important, surtout dans le contexte de restriction budgétaire que nous connaissons, et certains articles y pourvoient. Mais d’autres articles soulèvent des interrogations, s’agissant par exemple des CCAS – Éric Doligé en a parlé.

J’ai reçu les représentants de l’Union nationale des CCAS et CIAS : le fait de rendre facultatifs les centres communaux d’action sociale est très discuté et provoque de nombreuses réactions.

Cela étant, l’action sociale, je le dis en tant qu’élue locale, peut s’exercer aussi en dehors des CCAS : ceux-ci ne sont pas l’unique moyen de l’action sociale dans une commune.

Bref, toutes ces questions méritent d’être examinées de manière approfondie et en concertation avec l’ensemble des acteurs concernés, afin de répondre au mieux aux difficultés soulevées.

Par ailleurs, a très vite surgi la question de savoir si le temps prévu pour ce débat était suffisant eu égard à l’importance du sujet et à la longueur du texte.

J’en profite pour dire que, au-delà du cas de la présente proposition de loi, les conditions dans lesquelles nous sommes amenés à examiner les propositions de loi me deviennent assez insupportables : elles sont littéralement « coincées » dans des semaines où l’ordre du jour est tel que l’on ne peut guère consacrer à chacune que trois heures de discussion en séance publique. Cette restriction de la durée du débat a pesé très lourd sur la manière dont la commission a abordé ce texte. En effet, même si la motion de renvoi à la commission que la commission des lois vous présentera tout à l’heure n’était pas adoptée, nous n’aurions pas le temps d’examiner l’ensemble du texte.

J’adresse donc, à titre personnel, et par votre intermédiaire, madame la présidente, un message au bureau de notre assemblée : il faut, à mon sens, revenir sur cette organisation qui ne permet pas de travailler dans de bonnes conditions et qui, de surcroît, crée des ambiguïtés. On peut croire, par exemple, que certains groupes demandent le renvoi à la commission par principe ou par calcul politique.

Autrement dit, si nous avions vraiment temps de débattre comme il convient, nos échanges gagneraient en transparence et cela nous permettrait d’avancer.

Le président Sueur, qui ne pouvait être présent ce soir, mais qui est remplacé par M. Jean-Pierre Michel, m’a autorisé à dire que, au sein de la commission des lois, nous étions tous attachés à ce texte, quelles que soient nos sensibilités. Ce n’est pas parce qu’il y a une motion de renvoi à la commission qu’il ne sera pas examiné, et je prends personnellement l’engagement d’œuvrer à ce qu’il soit de nouveau discuté le plus tôt possible.

Pendant les mois d’été, comme la moitié d’entre nous, j’ai sillonné mon département, et j’ai bien entendu les maires : les normes sont pour eux une préoccupation majeure. Il reste que nous avons peu de temps pour examiner cette proposition de loi, l’honnêteté m’oblige à le dire. Outre les raisons de fond que j’ai évoquées – il y en a d’autres, mais je n’ai pas voulu allonger le débat –, c’est ce qui a conduit la commission des lois à déposer une motion de renvoi à la commission que je défendrai tout à l'heure. §

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