Intervention de Philippe Richert

Réunion du 15 février 2012 à 14h30
Simplification des normes applicables aux collectivités territoriales — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargé des collectivités territoriales :

Madame la présidente, monsieur Doligé, madame le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis plusieurs années, les élus locaux dénoncent avec raison le poids croissant des normes qui leur sont imposées, non seulement parce qu’elles compliquent leur action, allongent les procédures et parfois même les fragilisent, mais aussi parce que certaines d’entre elles ont un coût extrêmement important pour leur budget.

Chacun d’entre nous, comme élu local, parfois comme exécutif local, a pu aisément faire ce constat. Le Sénat lui-même s’est saisi à plusieurs reprises, et très tôt, de ce sujet. Toutefois, passer du constat à l’action est nettement plus compliqué, tant les normes sont imbriquées et d’origines diverses. La majeure partie d’entre elles découlent certes des directives européennes, mais évitons de nous défausser sur l’Europe, car celle-ci a trop souvent « bon dos », d’autant que les normes applicables aux collectivités territoriales proviennent aussi, et même surtout, de textes de loi, qu’ils soient d’initiative parlementaire ou gouvernementale : là, notre responsabilité est totale.

Derrière la norme se cache donc souvent une volonté politique. Je n’en prendrai qu’un exemple : le Grenelle de l’environnement. Fruit d’une approche innovante du développement durable et d’une volonté politique très forte, le Grenelle de l’environnement a donné lieu, entre juin 2009 et février 2012, à 102 textes d’application des lois Grenelle 1 et 2. Selon la commission consultative d’évaluation des normes, leur coût global s’élèvera, pour les dix années qui viennent, à plus de 2, 5 milliards d'euros.

Dire cela, ce n’est pas revenir sur la logique du Grenelle. Mais c’est prendre conscience des effets sur nos collectivités territoriales des intentions les plus louables et les plus justifiées. C’est aussi prendre conscience que nous avons une responsabilité partagée, qui transcende les gouvernements et les majorités. En effet, la question des normes n’est pas une affaire « gauche-droite », mais une affaire collective, qui nous renvoie à notre manière de légiférer et de gouverner, par-delà les alternances. Les 400 000 normes applicables aux collectivités territoriales ne se sont pas accumulées en un jour, ni même en une législature !

L’évolution du cadre normatif – du « carcan normatif », aurais-je même parfois tendance à dire – nous renvoie aussi à notre conception de la décentralisation et aux libertés que l’État veut laisser aux collectivités territoriales. La République ne peut être véritablement décentralisée si les collectivités territoriales, dont la liberté d’administration et l’autonomie financière font partie intégrante de notre système institutionnel, sont entravées par une toile d’araignée de normes qui les contraignent à une forme de paralysie ou d’asphyxie.

S’il est désormais rituel de dénoncer cette situation, il est beaucoup plus délicat d’y apporter des remèdes pertinents, réalistes et durables, quels que soient la volonté affichée et les propos tenus par les uns ou les autres. La simplification des normes est pourtant une ardente obligation, à laquelle nous appelle Éric Doligé.

Depuis 2007, le Gouvernement s’est engagé dans une politique résolue d’allégement du poids des normes pesant sur les collectivités.

La CCEN, que nous avons créée en 2008, témoigne de la volonté de l’État de mieux associer les collectivités territoriales au processus d’élaboration des normes, dans un souci d’anticipation et de maîtrise des coûts associés. Dans le même ordre d’idée, j’ai déjà évoqué l’exemple du Grenelle de l’environnement. Plus globalement, de sa création, en septembre 2008, à la fin de l’année 2011, la CCEN a examiné 693 textes, qui ont entraîné un coût cumulé pour les collectivités territoriales de près de 2, 5 milliards d'euros en année pleine. Ces chiffres donnent à réfléchir !

Dans le prolongement de la deuxième conférence sur le déficit, qui s’est tenue en mai 2010, le Premier ministre a décidé d’appliquer un moratoire sur l’édiction de normes nouvelles applicables aux collectivités. Ce moratoire s’inscrit dans la volonté du Président de la République d’engager une politique volontariste de modération de la dépense publique.

Le moratoire a permis de passer au crible 148 projets de texte et de s’assurer qu’ils engendraient des coûts nuls ou supportables pour les collectivités. A contrario, certains textes présentés en dérogation au moratoire ont permis de dégager des économies estimées à 92 millions d'euros, ainsi que des recettes potentielles de l’ordre de 76 millions d'euros

Le bilan de ces différentes mesures est mitigé. Il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que le nombre de textes examinés par la CCEN n’a pas fléchi. Toutefois, la très grande majorité des textes examinés dans le cadre du moratoire soit n’ont entraîné aucun coût, soit n’ont entraîné qu’un coût relativement faible, pour les collectivités territoriales. Au final, seul un des textes concernés par le moratoire – un décret portant sur les modalités d’attribution de l’allocation adulte handicapé – a reçu un avis défavorable. Le moratoire a donc été utile, mais il n’est pas suffisant.

Quant à la CCEN elle-même, comme le soulignait encore récemment son président, Alain Lambert, son action a produit des résultats contrastés, ses avis n’ayant pas toujours été suivis d’effet. Pour autant, on observe que la culture de l’évaluation des normes en amont de la CCEN tend à se développer au sein des administrations.

Ce constat en demi-teinte impose d’aller plus loin. Le rapport d’Éric Doligé, prolongé par sa proposition de loi, met en avant des solutions de bon sens pour faciliter la vie des élus locaux. Les six mois qu’a duré la mission d’Éric Doligé auprès du Président de la République ont été particulièrement fructueux et ont permis un travail en profondeur, d’une grande rigueur, appuyé sur une très large consultation. Je voudrais saluer la qualité remarquable de ce travail, qui fait honneur au Parlement, et auquel le Gouvernement a apporté tout son soutien.

Certains ont dit que le temps manquait pour délibérer et discuter. Or, je peux en témoigner, le travail accompli en amont est un travail sérieux et approfondi, à l’issue duquel ont été formulées des propositions tout à fait pertinentes. Bien entendu, elles doivent être discutées, mais il faut reconnaître – vous le savez comme nous tous, chère Jacqueline Gourault – que les propositions de loi examinées dans cette assemblée ont bien souvent été de taille réduite et qu’il est rare que soient soumises au Parlement des propositions de loi aussi développées que le texte aujourd'hui en discussion.

Mais faut-il renoncer à prendre ce texte en considération au prétexte qu’il est comporte de nombreux articles, qu’il aborde des sujets complexes, qu’il embrasse des domaines très larges ? Je dirai que, bien au contraire, il s’agit d’une proposition de loi comme on aimerait voir le Parlement en examiner plus souvent, parce qu’elle s’attaque au fond du problème, va au-delà du simple constat et ne se contente pas de prévoir quelques « mesurettes ».

Le travail qui a été réalisé est donc remarquable et il peut incontestablement servir de base à une œuvre législative de grande qualité.

Remis au Président de la République au mois de juin 2011, le rapport d’Éric Doligé a présenté une véritable stratégie de réduction de l’emprise des normes sur les collectivités territoriales, assortie de 268 propositions de simplification très concrètes : excusez du peu ! Cette double approche, à la fois globale et pratique, est la grande force de ce rapport.

Les dispositions qui relèvent du domaine de la loi ont été rassemblées dans la proposition de loi soumise aujourd’hui à la Haute Assemblée. Ce texte comprend donc deux types de mesures : des mesures transversales et des mesures concrètes.

S’agissant des mesures transversales, elles prévoient notamment une disposition « générique » permettant au préfet de déroger, dans les conditions prévues par chaque loi sectorielle, aux normes réglementaires fixées par cette même loi, afin d’adapter l’application de la norme à la capacité financière des collectivités locales.

Madame le rapporteur, chère Jacqueline Gourault, je tiens à vous remercier de votre travail. Il faudra sans doute ajuster la rédaction de l’article 1er, qui constitue la clé de voûte d’un dispositif juridique permettant une modulation locale dans le cadre fixé par chaque loi. Néanmoins, le principe va dans la bonne direction, celle de la prise en compte des réalités locales.

L’article 1er, dans sa rédaction actuelle, porte également en lui le principe d’une dérogation à l’objectif d’accessibilité des personnes handicapées, fixé pour 2015. Le Président de la République s’est exprimé très clairement sur ce sujet, à l’occasion de la réception des maires de France, au mois de novembre 2011, comme à l’occasion de ses vœux à la France solidaire, le 10 janvier dernier. Le Gouvernement ne soutiendra pas cette dérogation, qui remettrait en cause l’avancée majeure que constitue la « loi handicap » de 2005.

Je me souviens que, lorsque ce texte a été examiné ici même, alors membre de cette assemblée, je présidais la séance. Au fur et à mesure qu’étaient adoptés à une très large majorité les différents dispositifs, témoignant du large engagement des sénateurs présents, je me demandais si mes collègues mesuraient les conséquences des décisions qui étaient ainsi prises. Il est vrai que, souvent, le Parlement, emporté par l’élan de son action législative, n’évalue pas toujours très précisément les effets des dispositions qu’il vote…

Je reste persuadé qu’Éric Doligé comme Jacqueline Gourault, qui ont beaucoup consulté, partagent cette vision généreuse d’une société qui protège et facilite l’intégration de tous à la vie sociale.

S’agissant des dispositions concrètes, Éric Doligé s’est attaché à proposer des allégements dans différents secteurs clés pour les collectivités.

Tout d’abord, l’urbanisme constitue un champ prioritaire de simplification. Il est proposé notamment de simplifier les règles des plans locaux d’urbanisme, par la création de « secteurs de projets », ainsi que les règles relatives aux zones d’aménagement concerté.

Ensuite, le domaine de l’environnement fait l’objet de propositions innovantes, notamment celle d’unifier les schémas de gestion des déchets.

Enfin, le fonctionnement même des collectivités a fait l’objet d’une attention particulière : un nombre important de propositions visent à dématérialiser les procédures, à alléger des règles ou à simplifier des demandes de subvention.

La suppression de l’obligation pour les communes de disposer d’un centre communal d’action sociale fait débat. Il faudra y revenir. Je crois la mesure justifiée dans son principe, même s’il faut sans doute réfléchir à un seuil d’application.

Toutes ces dispositions n’ont qu’une finalité : simplifier, faciliter, fluidifier, moderniser le fonctionnement des collectivités territoriales pour qu’elles retrouvent des marges de manœuvre financières et une liberté d’action locale. Dans leur immense majorité, elles sont l’expression du bon sens. Le débat parlementaire aurait dû permettre de les enrichir et de les adopter : car il est urgent d’agir !

Comme l’écrit Éric Doligé dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi, la prolifération des normes est devenue « un véritable engrenage pour les collectivités territoriales ».

C’est bien la raison pour laquelle, au-delà de la nécessaire adoption de cette proposition de loi, la simplification des normes devra connaître dans les mois à venir une nouvelle impulsion. C’est l’une des conclusions de la rencontre de vendredi dernier entre le Président de la République, le Gouvernement et les grandes associations d’élus.

La question de la simplification des normes et de ses perspectives dans les mois à venir a fait l’objet d’un large consensus. Le Premier ministre l’a clairement affirmé à l’issue de la rencontre : « Nous nous sommes mis d’accord sur la nécessité de faire un travail de réduction de ces normes, à la fois des normes existantes et s’agissant des normes à venir. [...] Mais il faudra aller plus loin et nous allons envisager de renforcer les pouvoirs de la commission de contrôle des normes. » On pourrait même imaginer, le cas échéant, d’aller jusqu’à des décisions qui s’imposeraient à tous, dès lors que la CCEN les propose.

Pour cela, il faudra agir non seulement sur les flux, mais aussi sur le « stock » de normes. Deux pistes devront être explorées.

La première piste consiste à améliorer la maîtrise du flux en intervenant plus en amont de la procédure d’élaboration des normes. Cela pourrait conduire, par exemple, à proposer une extension du champ de compétence de la CCEN, en particulier aux normes édictées par les fédérations sportives, dont l’impact financier sur les collectivités territoriales est parfois considérable. Les études d’impact des projets de loi pourraient également inclure l’évaluation du coût des nouvelles normes envisagées sur les collectivités territoriales.

Nous devrons aussi réfléchir à la manière de donner plus de poids aux avis de la CCEN.

La seconde piste vise à réduire la pression normative par une action ciblée et méthodique sur le stock des normes. Éric Doligé propose d’ailleurs dans son rapport de confier à la CCEN cette « révision générale des normes ». À l’échelon des administrations de l’État, un travail de même nature pourrait être engagé autour de thématiques ciblées.

Le chantier est colossal, et très attendu par tous les élus locaux. Il faut l’entreprendre sans tarder.

La proposition de loi d’Éric Doligé marque une étape importante dans cette stratégie de longue haleine. J’ai peine à comprendre le sort que semble vouloir réserver le Sénat à sa discussion. La majorité sénatoriale se tromperait de combat si le débat devait s’arrêter net.

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