Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis de nombreuses années, le flot des critiques s’accentue pour dénoncer les conséquences de la prolifération normative et de l’insécurité juridique qui en résulte.
L’objectif de la présente proposition de loi est donc de tirer le bilan de cette inflation législative sur l’action des politiques locales et d’y apporter des solutions. Nous ne pouvons évidemment que l’approuver, tant les difficultés rencontrées quotidiennement par les élus locaux sont réelles.
En effet, les législations nationale et communautaire imposent toujours plus d’obligations aux collectivités territoriales : ce sont souvent autant de coûts auxquels il leur est difficile de faire face.
Tout en soulignant la nécessité de clarifier l’arsenal normatif pesant sur les collectivités territoriales, vous indiquez à juste titre, madame la rapporteur, qu’un certain nombre de dispositions du texte mériteraient une réflexion plus approfondie. Outre un certain nombre de précisions d’ordre rédactionnel à apporter, nombreuses sont les mesures prévues qui soulèvent des interrogations quant à leur portée, nécessitant un travail concerté avec les organisations concernées.
Avant de m’attarder sur l’article 1er, qui pose, à mon sens, le plus de difficultés, j’évoquerai également la position de l’Association des maires de France : celle-ci se déclare réservée sur la création de commissions départementales d’application des normes, proposée à l’article 3, dans la mesure où cela alourdirait encore la procédure consultative. Un reproche analogue est opposé à la mise en place, à l’article 4, d’une commission consultative des études locales.
L’objet de l’article 18 appelle, lui, une simple remarque : compte tenu de l’extension de la précarité dans notre pays, rappelée par plusieurs orateurs, il est pour le moins dangereux de vouloir se passer des CCAS, d’autant que l’Union nationale des centres communaux d’action sociale n’a pas été consultée sur un point aussi important.
Quelles que soient les intentions, louables sans aucun doute, de notre collègue Éric Doligé, il est évidemment exclu d’ouvrir ainsi la porte à certains élus pour lesquels l’action sociale coûte trop cher, en leur permettant de se débarrasser à bon compte de leur CCAS. Il n’est que de se souvenir des multiples fermetures de centres municipaux de santé, généralement dans des communes gérées par des élus de droite, pour rester vigilants en la matière.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’en viens à l'article 1er, qui vise à introduire dans notre droit positif le principe de proportionnalité des normes et celui de leur adaptation à la taille des collectivités locales.
L’un des trois champs d’application concerne les dérogations possibles aux mesures réglementaires d’application de la loi du 11 février 2005 sur l’accessibilité des établissements recevant du public, et ce dans deux hypothèses : d’une part, en cas d’impossibilité technique avérée ou lorsque le maître d’ouvrage est en présence de contraintes liées à la préservation du patrimoine architectural ; d’autre part, en cas de disproportion manifeste entre les améliorations apportées et les capacités financières des personnes assujetties.
Même si l’article 1er réaffirme les objectifs législatifs dans ce domaine et qu’il impose des mesures de substitution à tout établissement ayant une mission de service public, il est évidemment inacceptable dans son principe, car il fait perdre à la loi de 2005 toute sa force contraignante. Il est tout de même paradoxal de vouloir opérer, sept ans après, un tel retour en arrière.
Je reste également interrogatif quant au pouvoir discrétionnaire laissé au préfet en la matière. En effet, le principe de proportionnalité des normes selon la taille des collectivités, tel qu’il est prévu, pourrait conduire à des décisions différentes, car prises par des préfets différents, pour des collectivités présentant pourtant des caractéristiques identiques. Le texte remettrait donc en cause le principe d’une application uniforme de la loi sur l’ensemble du territoire. Serait ainsi organisé rien de moins qu’un contournement du pouvoir réglementaire, que les préfets pourront largement vider de sa substance.
Permettre aux collectivités territoriales de déroger aux règlements d’application des lois revient, en réalité, à contourner le problème et à créer de nouvelles sources d’inégalités en fonction des richesses disponibles sur les territoires.
La question à poser est donc celle des moyens financiers. Si les collectivités se retrouvent en difficulté, c’est dû non pas tant à la prolifération législative, pourtant bien réelle, qu’au désengagement des gouvernements successifs, qui ont peu à peu restreint les soutiens de l’État : suppression des dotations et subventions, allégements fiscaux bénéficiant aux entreprises, transferts de compétences et nouvelles attributions aux collectivités, sans les compensations financières exigées. Là se trouve, me semble-t-il, la principale source du problème.
Notre collègue Éric Doligé estime que certaines collectivités, notamment les plus petites, ne disposent pas des outils d’ingénierie publique leur permettant d’appliquer les normes nationales. Il constate par ailleurs que le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite et la réorganisation des services déconcentrés, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, empêchent les collectivités de bénéficier de l’ingénierie de l’État. Sur ces points-là, il a tout à fait raison ! Redonnons donc aux collectivités les moyens de faire face aux exigences législatives plutôt que de les autoriser à les contourner !
Pour cela, le Gouvernement doit lui-même cesser de contourner la législation. Je pense à l’application approximative qui est faite de l’article L. 1614-1 du code général des collectivités territoriales. Cette disposition reprend le principe posé à l’article 72-2 de la Constitution, selon lequel tout transfert de compétences s’accompagne de ressources équivalentes.
L’interprétation de ce texte en limite la portée : une subtile distinction est faite entre transfert de compétences et simple aménagement ou approfondissement des compétences. Dans la seconde hypothèse, la réorganisation n’ouvre pas droit à compensation financière. Une telle interprétation, très critiquable, ne peut être que préjudiciable aux collectivités, sur lesquelles reposent de nouvelles obligations sans que leur soient octroyés les moyens nécessaires à leur mise en œuvre.
Commençons donc par régler ce problème : la situation n’en sera que financièrement meilleure pour les collectivités !
Monsieur le ministre, mes chers collègues, si les objectifs de la proposition de loi sont louables, les sujets extrêmement variés qui y sont traités méritent, comme l’ont rappelé plusieurs orateurs, d’être examinés dans de meilleures conditions et de beaucoup plus près, ce que ne nous permet pas le temps imparti au débat d’aujourd'hui. Notre groupe votera donc la motion tendant au renvoi à la commission. §