Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de saluer Raymond Couderc pour sa belle initiative qui vise à réparer utilement une lacune de notre État de droit.
L’histoire des harkis est une tragédie. Entre 1954 et 1962, ils ont été membres des forces supplétives françaises en Algérie. Beaucoup d’entre eux sont morts en se battant vaillamment aux côtés de nos soldats, comme l’avaient fait leurs pères et leurs aïeux – M. le secrétaire d’État le rappelait hier soir – dans les deux conflits mondiaux qui ont marqué le XXe siècle.
Les harkis tenaient à la France. Que l’on juge bien ou mal fondé le conflit en Algérie, force est de reconnaître que leur courage a été plus qu’exemplaire. En effet, ce conflit, pour eux, était aussi un drame fratricide.
La guerre finie, les armes reprises par l’armée, les harkis sont restés, désarmés et seuls, sur les quais d’où partaient les bateaux vers la France ou dans les casbahs.
Un piège infernal s’est refermé sur eux : Français, ils avaient combattu aux côtés de l’armée française ; l’Algérie devenait algérienne et on les laissait avec leurs frères de sang contre lesquels ils avaient lutté.
Ainsi abandonnés, ils furent massacrés.
Un certain nombre d’entre eux parvinrent sur le territoire français, dans le plus grand dénuement. Des camps de fortune furent bâtis en catastrophe: c’est là qu’ils restèrent parqués. Un ami, présent dans les tribunes, est resté au camp du Logis d’Anne de l’âge de deux ans à celui de trente-cinq ans…
Le nombre des harkis arrivés en France voilà cinquante ans demeure mal évalué : selon une estimation déjà ancienne, il aurait atteint 154 000.
Le statut d’ancien combattant a été reconnu aux harkis quinze ans après leur arrivée, en 1977. La loi du 16 juillet 1987 relative au règlement de l’indemnisation des rapatriés puis la loi du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie leur ont accordé des allocations et différentes aides au logement. C’est vingt-deux ans plus tard que la puissance publique commençait de considérer la question des camps…
La loi du 11 juin 1994 disposait, dans son article 1er, que « la République française témoigne sa reconnaissance envers les rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie pour les sacrifices qu’ils ont consentis ».
Ensuite, heureusement, les choses se sont accélérées. Le 5 décembre 2002, Jacques Chirac, Président de la République, a inauguré un mémorial commémorant les événements d’Algérie. Le 31 mars 2003, un décret a instauré une journée nationale d’hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives, fixée le 25 septembre de chaque année. Un autre décret, en date du 26 septembre 2003, a fait du 5 décembre la journée nationale d’hommage aux morts pour la France pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie.
La reconnaissance, bien que réelle, était tardive ; l’irréparable avait eu lieu et la mémoire était tenace.
Les harkis ont été mis à l’écart par la société française et mis à l’index par les populations algériennes ayant émigré en France après la guerre. Le nom de « harki », au lieu d’être considéré comme un honneur, était devenu, pour certains, synonyme d’insulte : à la douleur, au déracinement et à l’indifférence s’ajoutait désormais l’opprobre.
La chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 12 septembre 2000, a jugé que la loi sur les discriminations ne pouvait être appliquée en faveur de la communauté harkie, car cette dernière constitue un groupe de personnes caractérisé non par l’appartenance à une ethnie ou à une religion, mais par un choix politique au moment de la guerre d’Algérie. Seules les insultes visant un particulier peuvent être sanctionnées.
Après la création d’une journée nationale d’hommage et d’un mémorial, une nouvelle disposition législative en faveur des associations s’imposait donc pour défendre la dignité et l’honneur des harkis.
La loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés a constitué une nouvelle étape dans ce processus.
Elle comporte deux volets principaux : la revalorisation de l’allocation de reconnaissance dont les harkis bénéficient en vertu de la loi, depuis le 1er janvier 2003, et l’interdiction de toute injure ou diffamation commise envers les harkis en raison de cette qualité ainsi que de toute apologie des crimes perpétrés envers cette communauté.
L’État est chargé d’assurer le respect de ces principes « dans le cadre des lois en vigueur ».
Cependant, la loi n’a pas assorti ces interdictions de sanctions pénales. La répression de la diffamation et de l’injure se fonde sur les articles 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Elle comporte deux degrés de gravité : d'une part, la diffamation et l’injure commises à l’encontre de particuliers sont passibles d’une amende de 12 000 euros ; d'autre part, lorsque la diffamation ou l’injure sont commises envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminées, les peines sont aggravées.
En l’état de la jurisprudence, l’injure ou la diffamation visant les harkis en tant que tels n’était pas susceptible de faire l’objet de l’une ou l’autre de ces deux catégories de pénalités.
En premier lieu, la répression destinée à protéger tout particulier, quel qu’il soit, n’est possible que si une personne déterminée est identifiable en tant que victime de l’infraction ou, du moins, si elle appartient à une collectivité suffisamment restreinte pour que chacun de ses membres puisse se sentir atteint.
Or la Cour de cassation avait estimé que des propos considérés comme diffamatoires par des harkis « ne visaient pas des personnes formant un groupe suffisamment restreint pour qu’un soupçon plane sur chacun de ses membres et leur donne le droit de demander réparation du préjudice résultant de l’infraction dénoncée ».
En second lieu, les peines aggravées ne trouvaient pas à s’appliquer aux diffamations ou injures commises à l’encontre des harkis.
En effet, comme on l’a vu précédemment, la Cour de cassation avait jugé que les diffamations ou injures à l’encontre des harkis se fondaient non sur l’origine religieuse ou ethnique de ces derniers, mais sur leur choix politique au moment de la guerre d’Algérie.
Par sa rédaction, ce texte se voulait jumeau de la loi sur les discriminations. Toutefois, s’il renvoyait au cadre des lois en vigueur, il ne prévoyait aucune sanction.
L’impensable se produisit alors : le 11 février 2006, un éminent élu de la République insulte publiquement la communauté et traite les harkis de « sous-hommes ». Plusieurs associations – Générations mémoire harkis, le Collectif national justice pour les harkis, le MRAP, ou Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples, la Ligue des droits de l’homme, et bien d’autres encore – portent plainte, évidemment.
En première instance, le tribunal correctionnel de Montpellier, par un jugement en date du 25 janvier 2007, condamne à 15 000 euros d’amende l’élu. Ce dernier interjette appel et, à la surprise générale, la cour d’appel de Montpellier juge que les propos tenus relèvent de l’injure à particulier et que, cet article n’ayant pas été mentionné dans la citation du parquet et des parties civiles, l’infraction n’est pas punissable. Le renvoi au cadre des lois en vigueur pour l’application des sanctions n’était donc, à l’évidence, pas suffisant.
Le 31 mars 2009, la chambre criminelle de la Cour de cassation confirme l’arrêt de la cour d’appel. Il faut légiférer de nouveau.
La proposition de loi que notre collègue Raymond Couderc a eu le courage et la volonté de déposer et que nous vous présentons, mes chers collègues, vise à réparer cette insuffisance, en complétant par un nouvel article 5-1 la loi du 23 février 2005.
Cet article a un double objet.
En premier lieu, il renvoie de manière explicite aux peines aggravées prévues par les articles 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881.
En second lieu, afin de compléter ce dispositif, il autorise « toute association, régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts, de défendre les intérêts moraux et l’honneur des harkis ou des anciens membres des forces supplétives ayant servi en Algérie » à « exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne le délit de diffamation ou d’injures qui ont causé un préjudice direct ou indirect à la mission qu’elle remplit ».
La commission, tout en souscrivant totalement aux objectifs des auteurs de la proposition de loi, s’est efforcée d’améliorer cette dernière sur le plan juridique. Des difficultés demeuraient néanmoins, justifiant un report de l’examen du texte.
En effet, la proposition de loi, d'une part, accorde une protection spécifique à une communauté de citoyens, alors que la loi pénale se doit de conserver un caractère de généralité, et, d'autre part, tend à identifier les diffamations ou injures commises à l’encontre des harkis à celles qui seraient faites à raison de l’appartenance à une race ou à une ethnie. Or, je le répète, ces injures ou ces diffamations se fondent, selon la Cour de cassation, sur le choix de combattre aux côtés des troupes françaises pendant la guerre d’Algérie.
L’amendement présenté par Raymond Couderc a pour objet de répondre à ces objections formulées lors de nos échanges en commission. Cette disposition, selon moi et selon la commission des lois qui l’a votée dans l’enthousiasme et à l'unanimité – il faut le dire –, rend la dignité et le rang qui leur reviennent à la communauté harkie et à l’ensemble des supplétifs de l’armée française, en leur accordant un régime de protection qui est celui de nos troupes. Ils l’ont plus que mérité !
Je vous demande donc, mes chers collègues, de voter l’amendement de M. Raymond Couderc, qui vise à rédiger l’article unique de la proposition de loi.