Séance en hémicycle du 19 janvier 2012 à 9h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

Source

La séance est ouverte à neuf heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Nomination de membres de la délégation parlementaire au renseignement

Je vous informe que M. le président du Sénat a nommé MM. Didier Boulaud et Jean-Patrick Courtois pour siéger au sein de la délégation parlementaire au renseignement.

En conséquence, les sénateurs membres de la délégation parlementaire au renseignement sont :

- M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, membre de droit ;

- M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, membre de droit ;

- MM. Didier Boulaud et Jean-Patrick Courtois.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Je vous informe que Mmes Marie-Hélène Des Esgaulx et Christiane Hummel ont démissionné de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté la candidature de Mmes Marie-Annick Duchêne et Esther Sittler pour les remplacer.

En application des articles 110 et 8, alinéas 2 à 11, du règlement du Sénat, ces candidatures ont été affichées. Elles seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

L’ordre du jour appelle la discussion en procédure accélérée de la proposition de loi tendant à modifier la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, présentée par M. Raymond Couderc et plusieurs de ses collègues (proposition n° 264 rectifié, texte de la commission n° 42, rapport n° 41).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Raymond Couderc, auteur de la proposition de loi.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Couderc

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre Nation reconnaît les militaires qui se sont battus pour notre pays et les honore régulièrement par des célébrations annuelles. Elle reconnaît aussi les résistants qui ont su, aux heures les plus sombres de notre histoire, défendre notre indépendance, notre droit à exister et nos valeurs.

Pourtant, une catégorie subsiste qui est souvent négligée : celle des forces supplétives de l’armée française. En effet, dans tous les pays où la France a exercé sa souveraineté, son armée a recruté des hommes parmi les populations locales, comme soldats de métier, conscrits ou supplétifs.

Ces combattants, auxiliaires ou réguliers, ont été engagés aux XIXe et XXe siècles dans toutes les campagnes militaires de la France. À l’issue de ces guerres, ils ont parfois été victimes du soutien apporté à notre pays, puis oubliés par notre Nation durant plusieurs décennies. Il convient désormais de se pencher sur leur sort et de faire valoir la reconnaissance entière de notre pays envers eux.

La loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, que ma proposition de loi tend à modifier, a marqué une étape importante sur le plan de la reconnaissance morale.

Elle interdit notamment toute injure ou diffamation envers d’anciens membres des formations supplétives ou assimilés en raison de cette qualité, ainsi que toute apologie des crimes commis envers eux.

Pourtant, la loi du 23 février 2005, en raison de ses lacunes, en particulier dans son article 5, ne règle pas définitivement la question.

Mes chers collègues, j’ai décidé de déposer la présente proposition de loi en février 2010, à la suite de plusieurs affaires d’injures et de diffamations visant des harkis. On se souvient en particulier du propos : « vous êtes des sous-hommes », prononcé par un personnage particulièrement truculent…

Or, malheureusement, ces injures et ces diffamations ont fait l’objet de classements sans suite par les autorités judiciaires. En effet, l’application de la loi du 23 février 2005 se heurte à un obstacle majeur : la loi, si elle interdit les injures et les diffamations, ne prévoit aucune sanction contre ceux qui se rendent coupables de tels actes.

Cette situation soulève plusieurs questions : comment est-il possible que l’on puisse, en France, aujourd’hui, tenir des propos injurieux ou diffamatoires sans être condamné ? Et comment se fait-il que les associations d’anciens membres des forces supplétives ne puissent pas exercer les droits reconnus à toute partie civile ?

Bien des lacunes existent encore dans le droit français ; il nous faut les corriger.

Ainsi, le droit actuel permet seulement de sanctionner les propos injurieux ou diffamatoires tenus envers un ancien membre des formations supplétives : comme tout particulier, celui-ci dispose d’un droit individuel à demander réparation du préjudice subi, en vertu de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

En revanche, l’injure ou la diffamation à l’encontre des anciens membres des forces supplétives, lorsqu’elle est formulée de manière générale, blessant un groupe de personnes caractérisées par leur engagement militaire, n’est pas susceptible d’être condamnée.

Je vous rappelle que l’article 5 de la loi du 23 février 2005 est ainsi rédigé : « sont interdites : toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d’ancien membre des formations supplétives ou assimilés ; toute apologie des crimes commis contre les harkis et les membres des formations supplétives après les accords d’Évian. L’État assure le respect de ce principe dans le cadre des lois en vigueur. »

Ces dispositions posent le principe de l’interdiction de toute injure ou diffamation prononcée envers les anciens membres des forces supplétives, mais ne prévoient aucune sanction pénale.

De plus, les associations dont l’objet est de défendre les intérêts moraux et l’honneur des anciens membres des forces supplétives ne se voient pas, aujourd’hui, reconnaître la possibilité d’exercer les droits reconnus à toute partie civile, contrairement à d’autres associations ayant pour objet de lutter contre les discriminations à caractère racial ou religieux.

La présente proposition de loi, adoptée à l’unanimité par la commission des lois et dont notre éminente collègue Sophie Joissains, sénatrice des Bouches-du-Rhône, est le rapporteur, vise donc à corriger et à réactualiser la loi.

Pourtant, après avoir pris connaissance des toutes dernières réactions des associations directement concernées par cette question, j’ai voulu apporter, par voie d’amendement, des modifications à la version de la proposition de loi adoptée par la commission. Je souhaite en effet qu’il soit mieux rendu compte de la réalité de l’engagement militaire – j’insiste sur ce dernier mot – des formations supplétives et que la sécurité juridique du dispositif pénal envisagé soit renforcée.

C’est pourquoi j’ai déposé l’amendement n° 1 rectifié bis, qui tend à assimiler aux membres des forces armées ceux qui se sont engagés en faveur de la France lors d’un conflit armé, au sein notamment des formations supplétives – cela inclut en particulier les anciens membres des formations supplétives ayant servi en Algérie, et notamment les harkis. Il s’agit de prévoir que, pour l’application de l’article 30 de la loi du 29 juillet 1881 réprimant la diffamation à l’égard des forces armées, les formations supplétives sont considérées comme faisant partie de l’armée.

Pour finir, mes chers collègues, je tiens à remercier Mlle Joissains, rapporteur de la proposition de loi, pour son remarquable travail. Je remercie aussi nos quarante-cinq collègues qui ont bien voulu cosigner ma proposition de loi : leur soutien prouve, s’il en était encore besoin, l’importance de cette question !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP, de l’UCR, du groupe écologiste et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de saluer Raymond Couderc pour sa belle initiative qui vise à réparer utilement une lacune de notre État de droit.

L’histoire des harkis est une tragédie. Entre 1954 et 1962, ils ont été membres des forces supplétives françaises en Algérie. Beaucoup d’entre eux sont morts en se battant vaillamment aux côtés de nos soldats, comme l’avaient fait leurs pères et leurs aïeux – M. le secrétaire d’État le rappelait hier soir – dans les deux conflits mondiaux qui ont marqué le XXe siècle.

Les harkis tenaient à la France. Que l’on juge bien ou mal fondé le conflit en Algérie, force est de reconnaître que leur courage a été plus qu’exemplaire. En effet, ce conflit, pour eux, était aussi un drame fratricide.

La guerre finie, les armes reprises par l’armée, les harkis sont restés, désarmés et seuls, sur les quais d’où partaient les bateaux vers la France ou dans les casbahs.

Un piège infernal s’est refermé sur eux : Français, ils avaient combattu aux côtés de l’armée française ; l’Algérie devenait algérienne et on les laissait avec leurs frères de sang contre lesquels ils avaient lutté.

Ainsi abandonnés, ils furent massacrés.

Un certain nombre d’entre eux parvinrent sur le territoire français, dans le plus grand dénuement. Des camps de fortune furent bâtis en catastrophe: c’est là qu’ils restèrent parqués. Un ami, présent dans les tribunes, est resté au camp du Logis d’Anne de l’âge de deux ans à celui de trente-cinq ans…

Le nombre des harkis arrivés en France voilà cinquante ans demeure mal évalué : selon une estimation déjà ancienne, il aurait atteint 154 000.

Le statut d’ancien combattant a été reconnu aux harkis quinze ans après leur arrivée, en 1977. La loi du 16 juillet 1987 relative au règlement de l’indemnisation des rapatriés puis la loi du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie leur ont accordé des allocations et différentes aides au logement. C’est vingt-deux ans plus tard que la puissance publique commençait de considérer la question des camps…

La loi du 11 juin 1994 disposait, dans son article 1er, que « la République française témoigne sa reconnaissance envers les rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie pour les sacrifices qu’ils ont consentis ».

Ensuite, heureusement, les choses se sont accélérées. Le 5 décembre 2002, Jacques Chirac, Président de la République, a inauguré un mémorial commémorant les événements d’Algérie. Le 31 mars 2003, un décret a instauré une journée nationale d’hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives, fixée le 25 septembre de chaque année. Un autre décret, en date du 26 septembre 2003, a fait du 5 décembre la journée nationale d’hommage aux morts pour la France pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie.

La reconnaissance, bien que réelle, était tardive ; l’irréparable avait eu lieu et la mémoire était tenace.

Les harkis ont été mis à l’écart par la société française et mis à l’index par les populations algériennes ayant émigré en France après la guerre. Le nom de « harki », au lieu d’être considéré comme un honneur, était devenu, pour certains, synonyme d’insulte : à la douleur, au déracinement et à l’indifférence s’ajoutait désormais l’opprobre.

La chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 12 septembre 2000, a jugé que la loi sur les discriminations ne pouvait être appliquée en faveur de la communauté harkie, car cette dernière constitue un groupe de personnes caractérisé non par l’appartenance à une ethnie ou à une religion, mais par un choix politique au moment de la guerre d’Algérie. Seules les insultes visant un particulier peuvent être sanctionnées.

Après la création d’une journée nationale d’hommage et d’un mémorial, une nouvelle disposition législative en faveur des associations s’imposait donc pour défendre la dignité et l’honneur des harkis.

La loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés a constitué une nouvelle étape dans ce processus.

Elle comporte deux volets principaux : la revalorisation de l’allocation de reconnaissance dont les harkis bénéficient en vertu de la loi, depuis le 1er janvier 2003, et l’interdiction de toute injure ou diffamation commise envers les harkis en raison de cette qualité ainsi que de toute apologie des crimes perpétrés envers cette communauté.

L’État est chargé d’assurer le respect de ces principes « dans le cadre des lois en vigueur ».

Cependant, la loi n’a pas assorti ces interdictions de sanctions pénales. La répression de la diffamation et de l’injure se fonde sur les articles 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Elle comporte deux degrés de gravité : d'une part, la diffamation et l’injure commises à l’encontre de particuliers sont passibles d’une amende de 12 000 euros ; d'autre part, lorsque la diffamation ou l’injure sont commises envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminées, les peines sont aggravées.

En l’état de la jurisprudence, l’injure ou la diffamation visant les harkis en tant que tels n’était pas susceptible de faire l’objet de l’une ou l’autre de ces deux catégories de pénalités.

En premier lieu, la répression destinée à protéger tout particulier, quel qu’il soit, n’est possible que si une personne déterminée est identifiable en tant que victime de l’infraction ou, du moins, si elle appartient à une collectivité suffisamment restreinte pour que chacun de ses membres puisse se sentir atteint.

Or la Cour de cassation avait estimé que des propos considérés comme diffamatoires par des harkis « ne visaient pas des personnes formant un groupe suffisamment restreint pour qu’un soupçon plane sur chacun de ses membres et leur donne le droit de demander réparation du préjudice résultant de l’infraction dénoncée ».

En second lieu, les peines aggravées ne trouvaient pas à s’appliquer aux diffamations ou injures commises à l’encontre des harkis.

En effet, comme on l’a vu précédemment, la Cour de cassation avait jugé que les diffamations ou injures à l’encontre des harkis se fondaient non sur l’origine religieuse ou ethnique de ces derniers, mais sur leur choix politique au moment de la guerre d’Algérie.

Par sa rédaction, ce texte se voulait jumeau de la loi sur les discriminations. Toutefois, s’il renvoyait au cadre des lois en vigueur, il ne prévoyait aucune sanction.

L’impensable se produisit alors : le 11 février 2006, un éminent élu de la République insulte publiquement la communauté et traite les harkis de « sous-hommes ». Plusieurs associations – Générations mémoire harkis, le Collectif national justice pour les harkis, le MRAP, ou Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples, la Ligue des droits de l’homme, et bien d’autres encore – portent plainte, évidemment.

En première instance, le tribunal correctionnel de Montpellier, par un jugement en date du 25 janvier 2007, condamne à 15 000 euros d’amende l’élu. Ce dernier interjette appel et, à la surprise générale, la cour d’appel de Montpellier juge que les propos tenus relèvent de l’injure à particulier et que, cet article n’ayant pas été mentionné dans la citation du parquet et des parties civiles, l’infraction n’est pas punissable. Le renvoi au cadre des lois en vigueur pour l’application des sanctions n’était donc, à l’évidence, pas suffisant.

Le 31 mars 2009, la chambre criminelle de la Cour de cassation confirme l’arrêt de la cour d’appel. Il faut légiférer de nouveau.

La proposition de loi que notre collègue Raymond Couderc a eu le courage et la volonté de déposer et que nous vous présentons, mes chers collègues, vise à réparer cette insuffisance, en complétant par un nouvel article 5-1 la loi du 23 février 2005.

Cet article a un double objet.

En premier lieu, il renvoie de manière explicite aux peines aggravées prévues par les articles 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881.

En second lieu, afin de compléter ce dispositif, il autorise « toute association, régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts, de défendre les intérêts moraux et l’honneur des harkis ou des anciens membres des forces supplétives ayant servi en Algérie » à « exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne le délit de diffamation ou d’injures qui ont causé un préjudice direct ou indirect à la mission qu’elle remplit ».

La commission, tout en souscrivant totalement aux objectifs des auteurs de la proposition de loi, s’est efforcée d’améliorer cette dernière sur le plan juridique. Des difficultés demeuraient néanmoins, justifiant un report de l’examen du texte.

En effet, la proposition de loi, d'une part, accorde une protection spécifique à une communauté de citoyens, alors que la loi pénale se doit de conserver un caractère de généralité, et, d'autre part, tend à identifier les diffamations ou injures commises à l’encontre des harkis à celles qui seraient faites à raison de l’appartenance à une race ou à une ethnie. Or, je le répète, ces injures ou ces diffamations se fondent, selon la Cour de cassation, sur le choix de combattre aux côtés des troupes françaises pendant la guerre d’Algérie.

L’amendement présenté par Raymond Couderc a pour objet de répondre à ces objections formulées lors de nos échanges en commission. Cette disposition, selon moi et selon la commission des lois qui l’a votée dans l’enthousiasme et à l'unanimité – il faut le dire –, rend la dignité et le rang qui leur reviennent à la communauté harkie et à l’ensemble des supplétifs de l’armée française, en leur accordant un régime de protection qui est celui de nos troupes. Ils l’ont plus que mérité !

Je vous demande donc, mes chers collègues, de voter l’amendement de M. Raymond Couderc, qui vise à rédiger l’article unique de la proposition de loi.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UCR. – Mme Esther Benbassa applaudit également.

Debut de section - Permalien
Marc Laffineur, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants

Monsieur le président, mademoiselle le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi de M. Raymond Couderc, qui vise à sanctionner pénalement les insultes faites aux membres de formations supplétives des forces armées.

Vous avez été extrêmement choqués – et comment ne pas l’être ? – par les injures proférées par un homme politique, traitant les harkis de « sous-hommes » en 2006. Cet épisode, dont il faut bien dire qu’il était indigne de notre vie publique, a mis en lumière une lacune de notre droit.

À l’heure actuelle, en effet, les harkis, mais aussi plus généralement l’ensemble des anciens supplétifs de l’armée française, ne sont pas suffisamment protégés contre les injures dont ils pourraient être victimes. C’est précisément pour combler cette lacune de notre droit que vous êtes réunis aujourd’hui.

S’agissant plus spécialement des harkis, une première pierre avait été posée par la loi Mekachera du 23 février 2005. Celle-ci dispose en effet que « sont interdites : toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki […] ».

Néanmoins, cette interdiction n’était assortie, dans la loi, d’aucune sanction pénale.

Aussi, monsieur Couderc, vous avez souhaité, dans un premier temps, compléter la loi de 2005. Toutefois, si je comprends naturellement ce qui a motivé votre démarche, je ne puis m’y associer en l’état. En effet, votre initiative est louable, mais elle ne va pas assez loin. Elle risque, notamment, sans bien sûr que vous en ayez eu l’intention au moment du dépôt de votre proposition de loi, d’exclure du manteau protecteur de la loi d’autres victimes potentielles parmi les anciens supplétifs des forces armées.

C’est pourquoi je suis heureux de constater que vous avez modifié votre proposition de loi initiale par un amendement tendant à réécrire l’article unique, afin de protéger tous les anciens supplétifs de l’armée française.

Vous proposez ainsi à vos éminents collègues d’étendre le champ de protection de la loi de 1881 à l’ensemble des anciens membres de formations supplétives.

Cette mesure consisterait à aligner la protection juridique des personnes qui se sont engagées en faveur de la France lors d’un conflit armé, notamment celles qui ont servi dans les formations supplétives, sur le régime dont bénéficient les forces armées. Une telle modification me semble particulièrement bienvenue et je serai, vous l’avez compris, pleinement favorable à l’adoption de cet amendement.

Votre initiative, monsieur le sénateur, nous rappelle à notre devoir de protéger ces femmes et ces hommes auxquels nous lie un passé à la fois glorieux et douloureux et qui sont parfois vulnérables pour cette raison même.

Ce n’est ni le lieu ni le jour de dresser un catalogue des nombreux dispositifs mis en œuvre ces dernières années, mais il faut tout de même souligner combien le Président de la République a eu à cœur de développer les prestations dévolues aux anciens supplétifs et à leurs enfants : conventions d’emploi, aides à la mobilité et à la création d’entreprise, dispositifs d’accès à la fonction publique, qu’elle soit celle de l’État, des hôpitaux ou des collectivités territoriales, bourses scolaires et universitaires, ou encore allocations pour les orphelins d’anciens supplétifs de l’armée française.

Cela, les anciens supplétifs ne peuvent l’ignorer, puisque ces dispositifs nouveaux, voulus par le Président de la République, ont tangiblement amélioré leur quotidien. Votre initiative contribue également, monsieur le sénateur, à rendre leur dignité aux supplétifs de nos armées.

Parce qu’ils se sont engagés pour la France, parce qu’ils l’ont servie par les armes au péril de leur vie, les anciens supplétifs de l’armée française méritent le plus profond respect.

Je donnerai donc un avis favorable à la dernière version de votre texte. Ainsi, la reconnaissance que nous devons aux anciens membres de formations supplétives ne pourra plus être impunément entachée par des injures. Et cela, nous le devrons à votre initiative, monsieur le sénateur.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mademoiselle la rapporteur, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis aujourd’hui était à l’origine une proposition de loi mémorielle, un genre législatif dont, en tant qu’historienne, j’ai plutôt tendance à contester le principe. Nous aurons l’occasion d’en débattre de nouveau prochainement dans l’hémicycle, l’ordre du jour de nos travaux ayant, en période électorale, son lot de dispositions de ce genre, pour les raisons que l’on connaît.

La loi qu’il s'agit de modifier aujourd'hui a déjà été « rafistolée » à plusieurs reprises ; je vais vous rafraîchir la mémoire à cet égard, mes chers collègues. Son article 4, qui a été supprimé par un décret du 15 février 2006, avait déjà suscité bien des controverses, puisqu’il prévoyait que les programmes scolaires reconnaîtraient « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord. » Cette manière de dicter aux enseignants le contenu et la visée de leur présentation de l’histoire coloniale avait légitimement suscité le courroux et l’indignation de nombre d’historiens de renom, à l’origine d’un manifeste intitulé Liberté pour l’Histoire.

Il n’en est pas moins inadmissible que notre pays ait attendu si longtemps avant d’exprimer sa reconnaissance envers ces Algériens dont beaucoup ont payé de leur vie leur choix en faveur de la France. Ceux qui ont pu être accueillis sur notre territoire l’ont été dans des conditions déplorables et extrêmement précaires, dans des camps entourés de barbelés, et un taux de suicide anormalement élevé a été constaté parmi les enfants de harkis.

La reconnaissance morale et matérielle et l’accès à certains droits sociaux n’ont été, pour cette population, que trop tardifs et insatisfaisants. Il aura fallu attendre le 1er janvier 2011 pour que l’on aboutisse enfin à une revalorisation des pensions. Et encore, il ne s’agissait là que d’une victoire symbolique, car bien peu de bénéficiaires de nationalité étrangère verront leur pension rattraper le niveau de celle des Français.

En outre, aucune réparation ne prévoit de compensation rétrospective de cette spoliation opérée pendant des années ; aucune réévaluation rétroactive des pensions n’a été envisagée, puisque les nouvelles dispositions n’ont pu s’appliquer qu’à partir du 1er janvier 2011. Il aura fallu attendre une décision du Conseil constitutionnel du 4 février 2011 pour que la condition de nationalité soit jugée discriminatoire.

Par ailleurs, chacune des lois successives visait à allouer des indemnités diverses et variées à ces anciens supplétifs de l’armée française en Algérie ou prévoyait systématiquement des régimes de forclusion des différentes allocations de reconnaissance.

L’article 5 de la loi du 23 février 2005 constitue un dispositif inachevé, entraînant l’absence de répression effective des injures ou diffamations envers les harkis et anciens membres de formations supplétives. Dans sa version initiale, la proposition de loi déposée par notre collègue Raymond Couderc vise à sanctionner les injures ou la diffamation envers ces derniers par les peines prévues par les articles 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Cette solution ne satisfait pas les sénatrices et sénateurs écologistes, qui ne souhaitent pas que soient multipliés les groupes ou communautés destinataires de textes législatifs.

Cependant, l’amendement déposé par M. Couderc tend à compléter l’article 30 de la loi de 1881 pour y insérer un alinéa assimilant les formations supplétives aux forces armées. En tant que telles, celles-ci bénéficieraient dès lors de la protection attribuée aux militaires et résistants face à la diffamation. Les sénatrices et sénateurs écologistes voteront cet amendement, qui vise à rédiger l’article unique de la proposition de loi et qui a reçu l’avis favorable de la commission des lois.

M. René Vandierendonck applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous savons tous à quel point il peut être délicat pour une nation de regarder son passé sans fard. Pendant trop longtemps, la question de la reconnaissance de l’engagement des harkis a été éludée ou retardée, laissant dans l’incompréhension ceux-là mêmes qui ont fait le choix de la France lors de l’un des épisodes les plus douloureux de notre histoire récente. Comme je l’ai fait alors que j’étais jeune attaché ministériel auprès du secrétaire d’État aux rapatriés, il suffit, pour s’en convaincre, d’aller visiter les camps d’Antibes, de Roubaix, d’Amiens, ou encore du Lot-et-Garonne.

Cette injustice a été lentement réparée grâce à un processus législatif qui s’est déroulé pendant près de dix ans, de l’adoption de la loi du 11 juin 1994, qui a été la première au sein de laquelle a été exprimée la reconnaissance de la France aux harkis, à celle de 2005 qui a cherché à protéger les rapatriés et leurs descendants contre les invectives charriées par un passé encore très mal cicatrisé.

Il est apparu que, en raison d’un problème juridique, l’esprit de la loi du 23 février 2005 voulant protéger les harkis contre des injures et des diffamations ne pouvait pas s’appliquer, alors même que l’intention du législateur de l’époque était parfaitement claire. C’est précisément l’article 5 de cette loi qui n’a jamais eu la portée qu’il aurait dû avoir. À cet égard, mademoiselle le rapporteur, vous avez exposé très clairement la difficulté rencontrée par ce texte, et je vous remercie de l’important travail que vous avez réalisé.

L’article 5 précité interdit l’injure et la diffamation à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki. Il aurait également dû permettre de sanctionner l’apologie des crimes commis contre les harkis. Mais alors qu’il dispose que l’État est chargé d’assurer « le respect de ce principe dans le cadre des lois en vigueur », le législateur n’a pas su donner aux juges les moyens de sanctionner les actes visés par cet article.

La loi sur la liberté de la presse de 1881 encadre les domaines de l’injure et de la diffamation. Elle opère une distinction selon que l’injure ou la diffamation a été commise à l’encontre d’un individu ou d’un groupe de personnes. Or la Cour de cassation a fait remarquer que les conditions du cadre légal en vigueur ne pouvaient pas s’appliquer aux injures et diffamations visant les harkis.

Permettez-moi, mes chers collègues, de ne pas entrer dans le détail juridique, le rapport étant parfaitement précis à ce sujet. Néanmoins, je rappellerai que le droit pénal repose sur plusieurs principes fondamentaux, notamment sur le principe de légalité des délits et des peines, nullum crimen, nulla poena sine lege, autrement dit nul crime, nulle peine sans loi.

À ce titre, l’article 111-3 du code pénal dispose : « Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi ». Selon son corollaire direct, à savoir l’article 111-4 du même code : « La loi pénale est d’interprétation stricte. »

Les injures et diffamations à l’encontre des harkis portant sur un choix politique et non pas sur des origines religieuses ou ethniques, la loi de 1881 ne peut alors pas s’appliquer. C’est pourquoi le juge pénal n’est pas en mesure de suivre l’esprit que le législateur a donné à l’article 5 de la loi du 23 février 2005.

Dès lors, cet article étant vidé de toute sanction pénale, il nous revient aujourd’hui d’intervenir pour lui donner toute la portée qu’il mérite et rendre ainsi efficiente la protection voulue en 2005.

Par ailleurs, mes chers collègues, je dois remarquer que la présente proposition de loi reprend, hormis un détail d’importance, le dispositif de la loi de 1881 concernant l’action civile des associations.

Initialement, les associations avaient la possibilité de se porter partie civile uniquement avec l’accord de l’individu ayant subi l’injure ou la diffamation. Désormais, le principe est renversé au profit d’une constitution de partie civile des associations, sauf opposition expresse des victimes visées par l’infraction.

Ce renversement est justifié dans le rapport par la prise en compte des pressions susceptibles d’être exercées sur les victimes. Or il peut surprendre et amener des réserves. En effet, lors du procès pénal, c’est l’État qui poursuit le présumé criminel ou délinquant. Il peut donc paraître étonnant d’avoir à se préoccuper des parties civiles, alors même qu’elles ont déjà surmonté les pressions lors de leur dépôt de plainte.

Pour autant, ces hommes et ces femmes, ces familles qui ont chèrement payé leur engagement auprès de la France, qui sont souvent devenus Français au prix du sang, méritent une reconnaissance pleine et entière. La première forme de reconnaissance que nous leur devons est la protection dans ce qu’elle a de plus élémentaire. Ainsi, il incombe à la Haute Assemblée de remédier une bonne fois pour toutes aux lacunes de la loi de 2005 et d’achever le processus engagé en 1994.

Mes chers collègues, il s’agit là, pour une question de justice, d’aller dans le sens d’une amélioration de notre droit et de rendre à chacun ce qui lui revient.

Nous ne pourrons jamais rembourser le prix que les harkis ont dû acquitter pour leur engagement, et cela au même titre que l’ensemble des « morts pour la France », dont nous parlerons la semaine prochaine.

Aussi, mes chers collègues, au-delà des problèmes de droit qui peuvent nous être soumis en l’espèce, je tiens à remercier Raymond Couderc et le rapporteur, Sophie Joissains.

Tout comme l’ensemble des membres du groupe de l’Union centriste et républicaine, je voterai en faveur de cette proposition de loi.

Applaudissements sur les travées de l ’ UCR, de l ’ UMP, du RDSE et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, quand le président Bouteflika a utilisé le terme de « collabos » pour désigner les harkis, dont plus de 1 000 familles vivent à Roubaix, lorsque le maire de Montpellier, de manière indigne, les a qualifiés de « sous-hommes », il est évident que les limites de la jurisprudence de la Cour de cassation ont, en quelque sorte, sauté aux yeux du maire de Roubaix que je suis.

Cher Raymond Couderc, je m’intéresse aux harkis depuis trente ans et je ne vous ferai pas le procès de ne vous préoccuper de leur sort qu’à l’approche de la campagne électorale, car je sais à quel point vous êtes présent dans ce combat depuis longtemps.

Je tiens à situer correctement le débat.

Comme cela a été démontré du point de vue juridique et de la plus belle manière par Mlle le rapporteur, il fallait incontestablement procéder à des ajustements et corriger la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. Le principe de la sanction existait mais était vidé de toute portée pratique.

Je salue en cet instant la qualité du débat qui s’est déroulé en commission des lois, sous la présidence de Jean-Pierre Sueur.

Les membres de mon groupe soutiennent la présente proposition de loi. Ils préconisent – c’est une idée que vous devez connaître, cher Raymond Couderc, vous qui défendez depuis longtemps les harkis – de laisser de côté les législations spécifiques lacunaires, hétérogènes, stratigraphiques, qui donnent aux harkis, à quelques mois de l’élection présidentielle, un « petit plus », un régime spécifique. Au contraire, il convient de les faire entrer de plain-pied, si je puis dire, dans le droit commun, comme avait commencé à faire la loi de 2005. Or le droit commun de la diffamation et de l’injure relève bien de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, si on laisse de côté les arguties juridiques.

Les membres de mon groupe ont voulu instituer, si j’ose dire, monsieur Sueur, une « fraternité d’armes » juridiques, permettant à nos concitoyens harkis de faire valoir leurs droits et aux associations, lorsqu’elles sont constituées conformément aux dispositions de ce texte, d’exercer les droits reconnus à la partie civile.

Pour ceux qui, jusqu’à présent, comme le précise le dernier ouvrage, au demeurant excellent, de notre collègue Esther Benbassa, ont comme seule identité la souffrance – et tel est le cas des harkis –, il faut oublier les clivages et faire ce pas décisif.

Monsieur le secrétaire d’État, 70 % des harkis séjournant à Roubaix ont transité par le camp de Rivesaltes, seule commune, à ma connaissance, qui ait pour projet de construire un musée mémorial retraçant une mémoire croisée de la guerre d’Algérie, à laquelle les harkis ont pris toute leur part, sur les deux rives de la Méditerranée.

L’article 3 de la loi de 2005 prévoit la création de la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie. Mais, sauf erreur de ma part, les décrets d’application ne sont pas encore parus.

Si l’on veut faire échapper la mémoire aux enjeux électoraux, il est absolument essentiel d’adopter des mesures importantes à l’occasion de l’examen de textes législatifs tels que celui qui nous est soumis ce jour, notamment de favoriser, de part et d’autre de la Méditerranée, une mémoire croisée sur la guerre d’Algérie et tous ceux qui y ont pris part. À bien des égards, c’est la clé de voûte de ce qui reste de cohésion nationale dans les quartiers où est menée une politique de la ville. Et tant que cette dimension de l’histoire ne sera pas restituée de manière croisée et non pas officielle, la cohésion nationale ne progressera pas.

Quoi qu’il en soit, mon groupe soutient sans réserve la présente proposition de loi et vous remercie, mademoiselle Joissains, d’avoir accepté d’intégrer dans le texte de la commission les amendements qui tendent à redonner à l’action contre la diffamation et l’injure publique toute leur place dans le droit commun.

Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, de l’UCR, de l ’ UMP et du RDSE, ainsi qu’au banc de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Pasquet

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le problème particulièrement sensible et douloureux de la place et du rôle des harkis lors de la guerre d’Algérie fait de nouveau l’objet, comme d’autres sujets en cette période préélectorale, d’une opération politicienne.

À l’approche des élections présidentielle et législatives, mais aussi du cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, quelques membres de la majorité présidentielle ont jugé opportun de rouvrir un débat sur cette question délicate. Avec la proposition de loi dont nous discutons ce matin, ceux-ci veulent manifestement reconquérir une partie de l’électorat déçue par le président-candidat.

En effet, quelle urgence, sinon une finalité électoraliste, imposerait d’examiner avant la prochaine suspension des travaux parlementaires un texte purement symbolique, déposé voilà un an pour amadouer des associations de défense de la communauté harkie qui considèrent que les promesses faites n’ont pas été tenues ?

Comme nous l’a exposé le rapporteur, Sophie Joissains, ce texte ne vise qu’à parachever un travail de reconnaissance morale qui n’a aucune incidence sur les revendications matérielles de cette communauté.

La proposition de loi de notre collègue Raymond Couderc est un affichage politique, qui se limite à combler une lacune de la loi du 23 février 2005, dont l’une des principales mesures était l’interdiction de la diffamation et de l’injure à l’égard des anciens harkis ou de leurs descendants. Cette loi revalorisait également l’allocation de reconnaissance versée aux harkis. Mais les sanctions pour diffamation et injure étaient renvoyées, sans autre précision, à l’état du droit en vigueur.

La Cour de cassation ayant jugé ce texte insuffisant pour permettre d’appliquer des peines, la proposition de loi qui nous est soumise permet de se référer directement aux peines déterminées par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Elle permet aussi aux associations de poursuivre en justice, en leur octroyant les droits de la partie civile.

En renforçant juridiquement la protection de ces hommes et des associations qui les représentent, ces dispositions pourraient paraître justes, sembler logiques, anodines et sans grande portée. Toutefois, derrière cette apparence se cachent de graves ambiguïtés.

Dans le cas d’espèce, la qualification d’injure et de diffamation, à partir de l’utilisation de façon péjorative du terme « harki » à l’égard d’individus et de leurs associations, restera difficile à établir, notamment parce que les associations de défense des intérêts des anciens harkis sont maintenant essentiellement composées de leurs fils et de leurs petits-fils, qui n’ont donc pas eux-mêmes la qualité de harki.

En outre, la plupart de ces associations se sont laissé instrumentaliser par une droite et une extrême droite qui interprètent de manière souvent fallacieuse l’engagement, plus ou moins volontaire et conscient, de ces supplétifs de l’armée française durant la guerre d’Algérie. En effet, il faut lucidement reconnaître que la plupart d’entre eux, même si leur attachement à la France pouvait être réel, se sont engagés essentiellement pour survivre économiquement, par souci de sécurité, en se croyant à l’abri sous le drapeau français.

Dans un tel contexte, et au vu de ces considérations, on peut considérer que cette proposition de loi s’apparente à ces lois mémorielles qui interprètent la réalité des faits et imposent aux historiens de se conformer à une vérité officielle, alors même que le rôle et la place qu’ont tenus les harkis pendant la guerre en Algérie, mais aussi en métropole comme supplétifs de la police parisienne, sont encore loin d’avoir été établis de façon objective et dépassionnée.

La complexité et les antagonismes exacerbés de ce conflit expliquent en grande partie que, pour certains, le terme « harkis » puisse être devenu synonyme de « traîtres ». Avec une loi de ce type, des chercheurs qui estimeraient par exemple que ces Algériens engagés aux côtés de l’armée française ont trahi leur peuple qui se libérait de l’oppression coloniale ne risqueraient-ils pas d’être condamnés ? Est-il judicieux de raviver aujourd’hui, de cette façon, des souvenirs douloureux qui divisent aussi bien la population française, dont ils font partie, que les descendants, eux aussi français, de l’immigration algérienne ?

Grands oubliés de l’histoire, parias en France, collaborateurs de l’ennemi en Algérie, les harkis souffrent certes d’un manque de reconnaissance. Cependant, il est vraiment paradoxal et contradictoire que cette proposition de loi émane de la droite, qui prétend se faire le défenseur exclusif de leur honneur et de leur réputation. En effet, compte tenu de ses responsabilités dans les drames qu’ils ont vécus et de la situation déplorable dans laquelle ont longtemps été maintenus leurs descendants, cette prétention est usurpée.

Je rappelle que c’est le gouvernement en place en 1962, alors que le général de Gaulle était Président de la République, qui les a désarmés et laissés, avec leurs familles, se faire massacrer par les partisans du nouveau pouvoir algérien. Par la suite, ce sont aussi des gouvernements de droite qui ont relégué dans des camps, à l’écart de nos villes et de nos villages, comme pour les cacher à la population française, ceux d’entre eux qui avaient souhaité venir en métropole. Surtout, ce sont ces mêmes gouvernements qui, pendant vingt ans, ont d’abord refusé de satisfaire leurs légitimes revendications matérielles, en matière d’indemnités ou d’aides à l’emploi et au logement, puis de mettre fin aux discriminations de toutes sortes, notamment sociales et économiques, auxquelles ont été confrontés leurs enfants et petits-enfants.

Dans ce contexte, et compte tenu de la complexité de cette question, le groupe communiste républicain et citoyen, dans sa grande majorité, ne prendra pas part au vote sur cette proposition de loi. Nous ne sommes pas dupes des arrière-pensées qui motivent la décision de la droite de la soumettre aujourd’hui au Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, chère Sophie Joissains, mes chers collègues, l’examen de la proposition de loi tendant à modifier la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés s’inscrit dans un ordre du jour de notre assemblée particulièrement tourné vers le passé.

En effet, nous avons examiné hier la proposition de loi relative au suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires français en Polynésie française, nous serons saisis lundi prochain de la proposition de loi – très sensible – visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, avant de débattre le lendemain du projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.

Serait-ce – je ne le crois pas – la période préélectorale qui inspire tant d’attentions particulières ? Si chacun de ces textes aborde des problématiques bien différentes, force est de constater que trois d’entre eux ont une large dimension mémorielle.

En tant qu’élu de la Nation, je suis naturellement farouchement attaché aux devoirs de mémoire et de reconnaissance. Il convient en effet d’honorer comme il se doit la mémoire de tous ceux, combattants et victimes innocentes, qui ont payé le prix d’un conflit ou d’une guerre. Un État responsable doit réparer les conséquences des préjudices subis par des personnes ou leurs descendants.

Cependant, en tant que législateur, je ne souhaite pas – je le dis clairement – qu’il soit fait un usage immodéré des lois mémorielles ou de leur prolongement juridique. Prenons garde de ne pas entrer dans une marchandisation de l’histoire qui conduirait à l’effacement de l’histoire vivante et critique au profit d’une autre histoire figée et instrumentalisée par les pouvoirs publics.

Souvenons-nous, mes chers collègues, de l’indignation exprimée par d’éminents historiens, dans leur appel « Liberté pour l’Histoire », après l’adoption de la loi du 23 février 2005. Nous ne devons pas rester indifférents à leur souhait de voir cesser l’intrusion du législateur dans le champ historique, d’autant que ce principe de non-intrusion a également été préconisé – rappelons-le aussi – par la mission parlementaire conduite en 2008 par le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer.

Pour autant – je dois également le reconnaître –, comment ne pas apporter une réponse aux attentes de ceux qui nous occupent aujourd’hui, les harkis ? Comment ne pas vouloir réparer le drame vécu par ces derniers, qui, comme les rapatriés, ont dû fuir l’Algérie dans la précipitation et la peur, laissant derrière eux l’histoire d’une vie, des amis et un pays qui ne serait désormais plus vraiment le leur ? Comment ne pas aider ces milliers d’hommes, de femmes et d’enfants brutalement déracinés et dirigés vers une métropole qui n’était pas du tout préparée à les accueillir, si ce n’est de façon indigne, dans des camps ou des hameaux de forestage ?

Beaucoup de harkis ont encore, dans leur tête mais aussi dans leur chair, dans leur cœur, le souvenir de cette époque, qui fut très difficile aussi bien avant qu’après le cessez-le-feu du 19 mars 1962. C’est pourquoi les propos injurieux à l’encontre des harkis peuvent réveiller des blessures encore très vives. C’est intolérable au vu de tout ce qu’ils ont donné à la France.

La République a longtemps jeté un voile pudique sur ce qu’elle appelait encore, il y a si peu, « les événements d’Algérie ». Progressivement, notre pays a fait face à son histoire, à cette guerre coûteuse en vies et en ressentiments. C’est une nouvelle marche qu’il nous faut encore gravir aujourd’hui pour protéger les harkis. Les membres du RDSE, dans leur ensemble et dans leur diversité, sont prêts à favoriser cette avancée qu’est le prolongement de l’article 5 de la loi du 23 février 2005.

Mes chers collègues, je crois qu’il ne faut pas voir dans ce vote un acte de repentance. Il ne s’agit pas de s’excuser pour les vicissitudes de notre histoire nationale, il s’agit de faciliter la vie de ceux qui ont tout perdu en 1962. Ce n’est d’ailleurs pas une préoccupation nouvelle, puisque les harkis ont progressivement obtenu des aides matérielles avant de recevoir, par la loi du 23 février 2005, une reconnaissance morale.

Cependant, si, malgré des politiques d’aide à l’accueil et à l’intégration, les harkis éprouvent toujours un sentiment d’abandon à la suite d’une injure – on peut le comprendre –, ils doivent bénéficier des moyens juridiques de se défendre efficacement. Faut-il rappeler qu’il n’y a qu’une seule et unique catégorie de citoyens français ?

Comme l’a très justement et excellemment souligné notre collègue rapporteur, la jurisprudence a démontré les limites des dispositifs existants et, plus particulièrement, les faiblesses de l’article 5 de la loi du 23 février 2005. La proposition de loi vise à remédier à cette lacune, et un amendement a été déposé pour qu’elle concerne l’ensemble des formations supplétives de l’armée plutôt que les seuls harkis, ce qui me semble être une très bonne chose. Quelle que soit la rédaction qui sera finalement retenue, l’essentiel, me semble-t-il, est de sécuriser l’honneur de milliers de personnes dont le destin individuel s’est soudainement confondu avec le destin collectif de la France.

En cette année du cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, ce texte a également une portée symbolique. Il contribue au mouvement d’apaisement entre tous les acteurs d’une histoire certes mouvementée, mais désormais de plus en plus assumée. Je crois que c’est bien là l’essentiel.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, de l ’ UCR et de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Bruguière

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, chère Sophie Joissains, mes chers collègues, le 5 décembre dernier, nous avons célébré la journée nationale d’hommage aux combattants morts pour la France en Afrique du Nord. Lors de cette journée, la France se souvient de ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie. Il est de notre devoir de nous souvenir.

Nous devons toute notre reconnaissance à ceux qui, au sein des forces armées ou des forces de l’ordre, ont répondu à l’appel de la Nation. Ils méritent le respect, la gratitude et la solidarité de la Nation. C’est d’ailleurs le sens des engagements successifs que l’État a pris à leur égard, car, à travers leur engagement et leurs sacrifices, ils ont assumé leur devoir. Près de 25 000 d’entre eux ont payé de leur vie leur fidélité à notre pays.

Nous devons également avoir une pensée pour toutes les victimes civiles, de toutes origines et de toutes confessions, et pour toutes les familles endeuillées et meurtries par ces années de conflit.

Toutefois, nous ne pouvons nous contenter de rester dans le souvenir intellectuel, idéologique. Nous devons continuer à nous battre pour une meilleure et plus juste reconnaissance de leur courage. Il s’agit aujourd’hui d’une question d’honneur pour nous.

La reconnaissance morale des sacrifices consentis par les harkis est intervenue tardivement dans l’histoire de la mémoire collective. Néanmoins, en 1994, nous avons su, parlementaires de droite et de gauche, nous accorder pour que « la République française témoigne sa reconnaissance envers les rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie pour les sacrifices qu’ils ont consentis ».

Nous avons ensuite adopté la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, qui a constitué une nouvelle étape dans cette reconnaissance.

Cette loi comportait deux volets principaux : d’une part, la revalorisation de l’allocation de reconnaissance dont les harkis bénéficient depuis le 1er janvier 2003, les titulaires de cette allocation pouvant par ailleurs opter pour le versement d’un capital en lieu et place de la poursuite du versement trimestriel de l’allocation ; d'autre part, l’interdiction de toute injure ou diffamation envers les harkis en raison de cette qualité, ainsi que de toute apologie des crimes commis envers cette communauté.

C’est bien à ce second volet que Raymond Couderc et nombre d’entre nous se réfèrent aujourd’hui.

Il ne s'agit pas d’une loi mémorielle de plus. Nous avons souhaité que la reconnaissance de la Nation se traduise sur le plan de la mémoire puis sur le plan matériel. Notre démarche actuelle est annexée aux précédentes.

En effet, aux termes de l’article 5 de la loi du 23 février 2005, sont interdites « toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d’ancien membre des formations supplétives ou assimilés » – l’injure vise une expression outrageante qui se distingue de la diffamation en ce qu’elle ne renferme l’imputation d’aucun fait précis – et « toute apologie des crimes commis contre les harkis et les membres des formations supplétives après les accords d’Évian ».

L’État est chargé d’assurer le respect de ces principes « dans le cadre des lois en vigueur ». Cependant, la loi du 23 février 2005 n’a pas assorti ces interdictions de sanctions pénales.

Comme l’a souligné notre rapporteur, Sophie Joissains, « cette lacune soulève aujourd’hui des difficultés que de récentes décisions de la Cour de cassation ont mises en lumière ». Je ne m’y attarde pas, vous invitant à vous reporter au formidable travail de notre collègue, sinon pour souligner que, du fait de cette lacune, les harkis ou leurs descendants ne peuvent porter plainte qu’en qualité de particulier, sur le fondement des dispositions de caractère général, dans la mesure où il a été porté atteinte à leur honneur et à leur considération.

C’est à cette situation, qui constitue une énième difficulté pour nos frères d’armes, que nous avons voulu remédier. Tel est l’objet de la proposition de loi que Raymond Couderc, nombre de mes collègues et moi-même vous soumettons.

Les dispositions de l’article 5 de la loi de 2005 interdisant toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki se trouvent privées de toute portée. L’intention du législateur ne se réalise dans aucune protection spéciale à l’égard des harkis et de l’ensemble des formations supplétives de l’armée.

Nous souhaitons donc réparer cette carence, en prévoyant que la diffamation envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki ou d’ancien membre des forces supplétives de l’armée soit punie. L’injure serait, quant à elle, également passible d’une peine, conformément aux dispositions de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, le renvoi aux sanctions prévues par cette loi impliquant que l’infraction ait été commise dans les conditions fixées par la même loi.

Mais nous avons voulu aller plus loin. C’est pourquoi nous proposons de compléter le dispositif et d’autoriser toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par son statut, de défendre les intérêts moraux et l’honneur des harkis ou des anciens membres des forces supplétives, d’exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne le délit de diffamation ou d’injure qui a causé un préjudice direct ou indirect à la mission qu’elle remplit.

Nous souscrivons pleinement à la proposition du rapporteur de prendre en compte les pressions susceptibles de s’exercer sur les victimes, dans le but que l’action des associations de défense des intérêts des harkis puisse s’exercer, sauf opposition expresse des victimes visées par l’infraction.

Dans ce contexte, vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe UMP, apparentés et rattachés, soutiendra cette initiative. Pour nous, parlementaires, il s’agit d’une question d’honneur : réparer les fautes qui ont été commises et qui le sont encore parfois à l’égard de ces hommes et de ces femmes qui ont servi la France.

Les harkis, dont la loyauté, la fidélité à la personne du chef, la discipline et le courage ont été exemplaires, étaient sur le front de tous les combats. Montrons à leurs enfants qu’ils étaient dans l’honneur et dans la vérité.

Nous le devons à notre pays, pour l’idée que la France se fait d’elle-même, pour l’idée de la France que nous avons. Nous le devons à ceux qui ont démontré leur attachement à la France. Comme l’écrivait Portalis, « les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison ».

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – M. le président de la commission et M. René Vandierendonck applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Charon

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mademoiselle le rapporteur, mes chers collègues, à la veille du cinquantième anniversaire des accords d’Évian, nous ne pouvons que nous réjouir de l’inscription de ce texte à l’ordre du jour des travaux de la Haute Assemblée.

Je commencerai par saluer le travail de mon collègue Raymond Couderc, auteur de cette proposition de loi tant attendue, ainsi que le rapport exceptionnel de Sophie Joissains, remis au nom de la commission des lois.

M. le président de la commission approuve.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Charon

J’avais dix ans en 1961. Comme tous les petits garçons, je jouais à la guerre pendant que des hommes s’engageaient avec la France de l’autre côté de la Méditerranée.

J’avais dix ans quand d’autres enfants ont vu leur père enfiler l’uniforme de l’armée française et partir défendre un idéal, celui d’une Algérie nouvelle et fraternelle dans laquelle les communautés auraient pu vivre en paix. C’est cet idéal qui, de 1954 à 1962, amena quatre fois plus d’Algériens à combattre au sein de l’armée française plutôt que dans l’Armée de libération nationale, bras armé du FLN.

Comme le rappelait dans un entretien très émouvant Hélie de Saint-Marc, récemment honoré par la République, à Mostaganem, le FLN abattra à neuf reprises le porte-drapeau des anciens combattants musulmans. Neuf fois, un autre volontaire viendra prendre sa place. On sait que l’immense majorité de ces hommes à qui les plus hautes autorités de l’État avaient dit : « Venez à la France, elle ne vous trahira pas ! » resteront fidèles à la France jusqu’au bout, alors même que les signes d’un probable abandon devenaient chaque jour plus manifestes. Désarmés, puis abandonnés au FLN, des dizaines de milliers de ces hommes furent abattus dans une indifférence insupportable.

Il aura fallu cinquante ans pour panser cette plaie ouverte de la tragédie des harkis, victimes expiatoires de leur fidélité à la France, cinquante ans de souffrance, de silence et parfois d’insultes qui trouvent aujourd’hui enfin un cadre juridique apaisé et légitime.

Je tiens à rendre hommage à tous ceux qui ont tracé ce chemin de réconciliation avec notre histoire, je dirais même de réconciliation avec nous-mêmes. Je pense ainsi à notre collègue Hubert Falco qui, lorsqu’il était secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants, a accompagné l’audacieuse création de la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de la Tunisie, installée depuis un peu plus d’un an dans l’hôtel des Invalides, à Paris.

La France avait le devoir de rendre leur fierté aux harkis et à leurs descendants. Elle trouve enfin l’occasion de réhabiliter leur engagement et de rendre justice à leur fidélité avec une loi précise qui ne laissera plus de place à l’outrage ou à l’injure.

Mes chers collègues, je n’utiliserai pas cette tribune pour revenir sur les lacunes du passé ou pour les juger. En tant que parlementaire, il m’importe de voter un texte qui, enfin, ne permet plus que ceux qui ont combattu pour la France soient qualifiés de « sous-hommes » impunément.

En tant que membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, je suis heureux que notre législation soit modifiée, afin que les fils et les filles de nos anciens combattants soient assurés de notre reconnaissance et de notre protection.

C’est donc avec émotion que je voterai ce texte, qui honore notre assemblée et qui apaise la déchirure.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – M. le président de la commission applaudit également.

Debut de section - Permalien
Marc Laffineur, secrétaire d'État

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d’abord d’avoir permis que ce débat ait lieu. Je vais tenter de répondre aux questions, souvent légitimes, que vous vous posez, les uns et les autres.

Je tiens à vous rassurer : en aucun cas ce texte n’est une loi mémorielle. Simplement, nous ne pouvons tolérer que des injures soient proférées, quels que soient ceux qu'elles visent, sans que des sanctions soient prévues et appliquées à leurs auteurs ; cela me paraît tout à fait normal. Dans la mesure où la jurisprudence a montré que la loi précédente ne permettait pas qu’il en soit ainsi, il était tout à fait naturel d’y remédier. Par conséquent, l'argument de la loi mémorielle que d’aucuns ont avancé ne tient pas.

Je dois l’avouer, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai été choqué par les propos qu’a tenus l'une d'entre vous : affirmer que les harkis se sont engagés dans les forces françaises de façon inconsciente confine à l'injure.

Il n'est qu'à se pencher sur l'histoire malheureuse, douloureuse, de l'Algérie !

Pendant la guerre de 1914-1918, des dizaines et des dizaines de milliers d'Algériens sont venus se battre à nos côtés, sur notre territoire, pour nous aider à nous libérer.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Ne comparez pas 14-18 et la guerre d'Algérie !

Debut de section - Permalien
Marc Laffineur, secrétaire d'État

De même, entre 1939 et 1944, 340 000 Algériens ont intégré l'armée d'Afrique, puis la 2e DB. Leclerc, parti de N'Djamena est arrivé en Algérie où il a obtenu non pas l’embrigadement mais l’engagement tout à fait volontaire de centaines de milliers de Nord-Africains, tant musulmans qu’européens, pour venir libérer notre territoire. Le débarquement de Provence en témoigne. Certains sont même allés jusqu'à Berlin, d'autres jusqu’à Berchtesgaden.

Beaucoup d'entre eux étaient déjà dans l’armée française et sont restés fidèles à leur premier engagement, mesdames, messieurs les sénateurs. Nous leur devons une reconnaissance infinie.

Nous ne pouvons pas oublier cette réalité-là. Bien sûr, avec l’Homme, rien n’est jamais simple, rien n'est jamais noir ou blanc. Bien sûr, il faut faire le départ entre la contrainte et la fidélité. Mais nous devons le respect à tous ceux, hommes et femmes, qui, quel que soit leur âge, ont fait le choix de la France, ont fait le choix de l'armée française et ont tenu à honorer un engagement qu’ils avaient pris parfois dans la fleur de la jeunesse, quand ils n’avaient encore que dix-huit ou vingt ans.

Je tiens aussi à dire ici que jamais, depuis cinq ans, il n’a été fait autant pour eux, qu'il s'agisse des bourses ou des emplois réservés.

Pour ma part, j’éprouve un profond respect pour l'engagement qui fut le leur.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et sur certaines travées de l’UCR. – M. le président de la commission applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission.

Après l’article 5 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, il est inséré un article 5-1 ainsi rédigé :

« Art. 5-1. – I. – La diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki ou d’ancien membre des formations supplétives ayant servi en Algérie est punie de la peine prévue par le deuxième alinéa de l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

« L’injure commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki ou d’ancien membre des formations supplétives ayant servi en Algérie est punie de la peine prévue par le troisième alinéa de l’article 33 de la loi précitée.

« II. – Toute association, régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts, de défendre les intérêts moraux et l’honneur des harkis ou des anciens membres des formations supplétives ayant servi en Algérie peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les délits de diffamation ou d’injure qui ont causé un préjudice direct ou indirect à la mission qu’elle remplit.

« Toutefois, quand l’infraction aura été commise envers des personnes considérées individuellement, l’association ne sera recevable dans son action que si ces personnes ne s’y sont pas formellement opposées. »

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

L'amendement n° 1 rectifié bis, présenté par M. Couderc et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

I. - Pour l’application de l’article 30 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les formations supplétives sont considérées comme faisant partie des forces armées.

II. - Toute association, régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, qui se propose par ses statuts de défendre les intérêts moraux et l’honneur de personnes ou de groupes de personnes faisant ou ayant fait partie de formations supplétives de l’armée, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les délits de diffamation ou d’injure prévus par la loi précitée qui ont causé un préjudice direct ou indirect à la mission qu’elle remplit.

En cas de diffamation ou d’injure prévues par l’article 30 et le premier alinéa de l’article 33 de la même loi, les dispositions du 1° de l’article 48 de cette loi ne sont pas applicables.

En cas de diffamation ou d’injure commises envers des personnes considérées individuellement, l’association ne sera recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l’accord de ces personnes ou de leurs ayants droit.

La parole est à M. Raymond Couderc.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Couderc

Mes chers collègues, c’est parce que j’ai pris acte des réactions que ma proposition de loi avait suscitées parmi les membres des associations de personnes ayant appartenu aux formations supplétives de l’armée française que j’ai décidé de vous présenter cet amendement tendant à améliorer la rédaction de l’article unique.

En effet, si la diffamation ou l’injure envers les formations supplétives méritent d’être pénalement sanctionnées, c’est en raison du fait que ces personnes ont combattu ou se sont engagées pour la France et doivent, à ce titre, être assimilées aux forces armées, comme cela a été fait pour les résistants de la Seconde Guerre mondiale par l’article 28 de la loi du 5 janvier 1951.

Cet amendement vise donc à compléter l’article 30 de la loi sur la liberté de la presse, qui réprime notamment la diffamation contre les armées, pour y insérer un alinéa assimilant aux forces armées, outre les résistants, les personnes qui se sont engagées en faveur de la France lors d’un conflit armé, notamment au sein des formations supplétives de l’armée. Cette disposition concerne donc les anciens membres des formations supplétives ayant servi en Algérie.

Les injures envers les formations supplétives seront également réprimées par l’article 33, alinéa 1, qui renvoie à l’article 30 de la loi de 1881.

Cette solution paraît préférable à celle qui avait été envisagée dans la proposition de loi initiale, à savoir la création d’incriminations totalement spécifiques et inspirées par les délits de diffamation ou d’injure en raison de la religion, de la race, de l’origine ou du sexe de la victime. On ne peut en effet comparer ces dispositions, justifiées par la prohibition des discriminations liées à l’état ou la religion des personnes, avec la nécessité de protéger une communauté en raison du choix qu’elle a fait de soutenir et de défendre la France.

La possibilité pour les associations, notamment les associations de harkis, de se constituer partie civile doit être également prévue dans la loi sur la liberté de la presse, à l’article 48-3 relatif aux associations d’anciens combattants, qui est complété à cette fin.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Le sous-amendement n° 2, présenté par Mlle Joissains, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Amendement n° 1 rectifié bis

1° Alinéa 1

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

Alinéas 2 à 5

Rédiger ainsi ces alinéas :

2° Alinéa 2

Au début, insérer la référence :

« Art. 5-1. –

La parole est à Mlle le rapporteur, pour présenter ce sous-amendement et pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 1 rectifié bis.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Ce sous-amendement vise uniquement à rattacher, comme le prévoyait le texte initial de la proposition de loi, l'article unique à la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, sous la forme d'un nouvel article 5-1.

Il va de soi que la commission est tout à fait favorable à l'amendement n° 1 rectifié bis, je crois m’en être suffisamment expliquée au cours de la discussion générale.

Il est en effet très important que notre droit ne comporte pas d'incrimination spécifique. En outre, l’assimilation aux forces armées est un honneur et, très certainement, une forme supérieure de reconnaissance.

Debut de section - Permalien
Marc Laffineur, secrétaire d'État

Le Gouvernement est bien sûr favorable au sous-amendement. Il s’agit de faire en sorte que les harkis, comme c’est le cas pour tous les Français, ne puissent plus être impunément injuriés.

Le sous-amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Mes chers collègues, je vous rappelle que le vote sur l’amendement tendant à rédiger l’article unique de la proposition de loi vaudra vote sur l’ensemble.

La parole à M. Alain Néri, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Le groupe socialiste votera cette proposition de loi, qui va dans le sens du respect et de la dignité de tous.

Ce débat est l’occasion pour nous de saluer l’engagement de ceux qui avaient placé leur confiance en la France.

M. le secrétaire d’État a rappelé, à juste raison, le rôle des Algériens dans l’armée française pour libérer notre sol lors de la Seconde Guerre mondiale. Ils ont en effet répondu massivement à l’appel de Brazzaville du général de Gaulle tendant à la mobilisation de ce que l’on appelait alors l’Empire, afin que toutes les forces s’unissent pour libérer le territoire métropolitain du joug de l’occupant et de l’État français, lequel s’était substitué à la République.

Par leur action, les Algériens engagés dans l’armée française ont ainsi permis le rétablissement de la République. À ce titre, nous leur devons respect, mémoire et force remerciements.

Le drame algérien a provoqué de terribles cas de conscience au sein de cette population. Certains ont fait le choix de s’engager dans les maquis, d’autres ont choisi de garder leur confiance dans la France.

Et ces harkis, lorsqu’ils sont aujourd’hui victimes d’injures, de discriminations, subissent en réalité une double peine, car, pour un grand nombre d’entre eux, ils ont été abandonnés sur le territoire algérien, après avoir été désarmés, au lendemain des accords d’Évian, sans que la France se préoccupe autrement de leur sort.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

La métropole a aussi très mal accueilli ceux qui ont pu partir.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Leur engagement, la confiance qu’ils plaçaient dans la France, ils les ont payés d’un lourd tribut.

Sans vouloir polémiquer, je souhaite cependant rappeler que la France n’a peut-être pas tenu tous ses engagements à leur égard. Aussi qu’un certain nombre de textes juridiques améliorent aujourd’hui leur situation me paraît-il tout à fait justifié. Mais cela a pris bien du temps…

Je me souviens d’avoir visité, en 1975 encore, soit plus de dix ans après la fin de la guerre d’Algérie, près d’Istres, des camps où les enfants de harkis ne bénéficiaient toujours pas de bonnes conditions d’accueil, de scolarisation ou de prise en charge sanitaire.

Exclamations sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Il nous faut tous faire amende honorable !

Aujourd’hui, par notre vote, nous avons l’occasion de rendre leur dignité à ces femmes et à ces hommes qui ont cru en la France. Qu’ils en soient remerciés !

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

En conséquence, l’article unique est ainsi rédigé et la proposition de loi est adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Esther Sittler pour remplacer Mmes Marie-Hélène Des Esgaulx et Christiane Hummel, démissionnaires, au sein de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame Mmes Marie-Annick Duchêne etEsther Sittler membres de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix heures cinquante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.