Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, chère Sophie Joissains, mes chers collègues, l’examen de la proposition de loi tendant à modifier la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés s’inscrit dans un ordre du jour de notre assemblée particulièrement tourné vers le passé.
En effet, nous avons examiné hier la proposition de loi relative au suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires français en Polynésie française, nous serons saisis lundi prochain de la proposition de loi – très sensible – visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, avant de débattre le lendemain du projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.
Serait-ce – je ne le crois pas – la période préélectorale qui inspire tant d’attentions particulières ? Si chacun de ces textes aborde des problématiques bien différentes, force est de constater que trois d’entre eux ont une large dimension mémorielle.
En tant qu’élu de la Nation, je suis naturellement farouchement attaché aux devoirs de mémoire et de reconnaissance. Il convient en effet d’honorer comme il se doit la mémoire de tous ceux, combattants et victimes innocentes, qui ont payé le prix d’un conflit ou d’une guerre. Un État responsable doit réparer les conséquences des préjudices subis par des personnes ou leurs descendants.
Cependant, en tant que législateur, je ne souhaite pas – je le dis clairement – qu’il soit fait un usage immodéré des lois mémorielles ou de leur prolongement juridique. Prenons garde de ne pas entrer dans une marchandisation de l’histoire qui conduirait à l’effacement de l’histoire vivante et critique au profit d’une autre histoire figée et instrumentalisée par les pouvoirs publics.
Souvenons-nous, mes chers collègues, de l’indignation exprimée par d’éminents historiens, dans leur appel « Liberté pour l’Histoire », après l’adoption de la loi du 23 février 2005. Nous ne devons pas rester indifférents à leur souhait de voir cesser l’intrusion du législateur dans le champ historique, d’autant que ce principe de non-intrusion a également été préconisé – rappelons-le aussi – par la mission parlementaire conduite en 2008 par le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer.
Pour autant – je dois également le reconnaître –, comment ne pas apporter une réponse aux attentes de ceux qui nous occupent aujourd’hui, les harkis ? Comment ne pas vouloir réparer le drame vécu par ces derniers, qui, comme les rapatriés, ont dû fuir l’Algérie dans la précipitation et la peur, laissant derrière eux l’histoire d’une vie, des amis et un pays qui ne serait désormais plus vraiment le leur ? Comment ne pas aider ces milliers d’hommes, de femmes et d’enfants brutalement déracinés et dirigés vers une métropole qui n’était pas du tout préparée à les accueillir, si ce n’est de façon indigne, dans des camps ou des hameaux de forestage ?
Beaucoup de harkis ont encore, dans leur tête mais aussi dans leur chair, dans leur cœur, le souvenir de cette époque, qui fut très difficile aussi bien avant qu’après le cessez-le-feu du 19 mars 1962. C’est pourquoi les propos injurieux à l’encontre des harkis peuvent réveiller des blessures encore très vives. C’est intolérable au vu de tout ce qu’ils ont donné à la France.
La République a longtemps jeté un voile pudique sur ce qu’elle appelait encore, il y a si peu, « les événements d’Algérie ». Progressivement, notre pays a fait face à son histoire, à cette guerre coûteuse en vies et en ressentiments. C’est une nouvelle marche qu’il nous faut encore gravir aujourd’hui pour protéger les harkis. Les membres du RDSE, dans leur ensemble et dans leur diversité, sont prêts à favoriser cette avancée qu’est le prolongement de l’article 5 de la loi du 23 février 2005.
Mes chers collègues, je crois qu’il ne faut pas voir dans ce vote un acte de repentance. Il ne s’agit pas de s’excuser pour les vicissitudes de notre histoire nationale, il s’agit de faciliter la vie de ceux qui ont tout perdu en 1962. Ce n’est d’ailleurs pas une préoccupation nouvelle, puisque les harkis ont progressivement obtenu des aides matérielles avant de recevoir, par la loi du 23 février 2005, une reconnaissance morale.
Cependant, si, malgré des politiques d’aide à l’accueil et à l’intégration, les harkis éprouvent toujours un sentiment d’abandon à la suite d’une injure – on peut le comprendre –, ils doivent bénéficier des moyens juridiques de se défendre efficacement. Faut-il rappeler qu’il n’y a qu’une seule et unique catégorie de citoyens français ?
Comme l’a très justement et excellemment souligné notre collègue rapporteur, la jurisprudence a démontré les limites des dispositifs existants et, plus particulièrement, les faiblesses de l’article 5 de la loi du 23 février 2005. La proposition de loi vise à remédier à cette lacune, et un amendement a été déposé pour qu’elle concerne l’ensemble des formations supplétives de l’armée plutôt que les seuls harkis, ce qui me semble être une très bonne chose. Quelle que soit la rédaction qui sera finalement retenue, l’essentiel, me semble-t-il, est de sécuriser l’honneur de milliers de personnes dont le destin individuel s’est soudainement confondu avec le destin collectif de la France.
En cette année du cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, ce texte a également une portée symbolique. Il contribue au mouvement d’apaisement entre tous les acteurs d’une histoire certes mouvementée, mais désormais de plus en plus assumée. Je crois que c’est bien là l’essentiel.