Intervention de Nicole Bonnefoy

Réunion du 19 janvier 2012 à 15h00
Délai de prescription des agressions sexuelles — Article 1er

Photo de Nicole BonnefoyNicole Bonnefoy :

La présente proposition de loi tend à modifier le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles autres que le viol.

Notre droit établit une différence entre le viol et la tentative de viol, d’une part, et les agressions sexuelles, d’autre part. Alors que les premiers sont des crimes passibles d’au moins quinze ans d’emprisonnement, les secondes sont des délits punis de peines d’au moins cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

Cette distinction a également des conséquences sur le régime de la prescription de l’action publique : alors que le viol et la tentative de viol peuvent être poursuivis pendant un délai de dix ans à compter de la commission des faits, les victimes d’agressions sexuelles ne disposent que d’un délai de trois ans pour porter plainte contre leur agresseur.

Comme vous l’avez rappelé en commission, monsieur le rapporteur, les auteurs de la proposition de loi expliquent que « le traumatisme causé par une agression sexuelle est semblable à celui causé par un viol, et les victimes, qui ne sont pas toujours en mesure de porter plainte dans le délai imparti, notamment en raison du traumatisme subi, se trouvent parfois privées de la faculté de faire condamner leur agresseur par la justice et d’être reconnues en tant que victimes ».

Face à ce constat, la proposition de loi prévoit donc d’aligner le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles sur celui du viol, c’est-à-dire de le porter de trois à dix ans.

Avant toute chose, rappelons que ce régime de prescription ne s’applique pas aux victimes mineures, qui bénéficient d’un régime dérogatoire. En matière d’agressions sexuelles, le délai est de dix ans et ne commence à courir qu’à la majorité de la victime.

Sans nier la gravité des agressions sexuelles et leurs conséquences psychologiques lourdes pour les victimes, différentes raisons me conduisent à ne pas adhérer à cette proposition de loi.

Tout d’abord, comme l’avait rappelé la mission d’information sénatoriale sur le régime des prescriptions civiles et pénales, il est nécessaire de veiller à la cohérence de ce droit en évitant des réformes partielles et en privilégiant une réforme d’ensemble.

Ensuite, il faut préserver un lien entre la gravité de l’infraction et la durée du délai de la prescription de l’action publique afin de garantir la lisibilité de l’échelle de gravité des crimes et des délits établie par le législateur. Or il existe une différence de gravité entre le viol et les autres agressions sexuelles. Aligner le régime de la prescription des agressions sexuelles sur celui du viol aurait pour conséquence de banaliser les formes les plus graves d’infractions sexuelles.

Un problème de preuve va également se poser : en matière de viol, des certificats médicaux constatant des blessures ou des traces biologiques peuvent parfois corroborer les dires des victimes ; les agressions sexuelles, quant à elles, laissent peu de traces.

Face aux dénégations courantes des personnes suspectées, la grande majorité des enquêtes reposent donc sur l’évaluation de la crédibilité des dires de la victime par recoupement avec des constatations matérielles, des témoignages ou des éléments indirects. Or ces derniers deviennent très imprécis dans le temps ou dépérissent.

Comme le rappelle l’Union syndicale des magistrats, les expertises psychologiques et psychiatriques de la victime et de la personne suspectée sont naturellement de nature à éclairer leurs personnalités respectives. Toutefois, elles ne peuvent constituer elles-mêmes une preuve suffisante de culpabilité.

L’augmentation de trois à dix ans du délai de prescription pour les agressions sexuelles risque de conduire à l’ouverture d’enquêtes ou d’instructions qui se concluront par des classements sans suite ou des non-lieux faute de preuve, ce qui sera de nature à augmenter, davantage encore, le traumatisme ressenti par les victimes.

Cette proposition de loi constitue donc une fausse bonne idée.

Il me paraît davantage souhaitable d’encourager les victimes à porter plainte le plus rapidement possible en améliorant la formation des personnels des services de police et de gendarmerie ainsi que des personnels médicaux qui reçoivent les victimes.

Les associations qui accompagnent ces victimes doivent également voir leurs subventions maintenues, voire augmentées. Ce n’est malheureusement pas la voie suivie par le Gouvernement…

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