Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 19 janvier 2012 à 15h00
Délai de prescription des agressions sexuelles — Article 1er

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

J’ai déjà connu pareille mésaventure, et je puis vous assurer que c’est extrêmement désagréable. En votant cet amendement, nous commencerions une année qui est censée être consacrée à la lutte contre les violences faites aux femmes et à la condition des femmes en refusant de débattre d’un texte qui vise à mieux reconnaître les droits des femmes. Réfléchissons, mes chers collègues ! Est-ce un message positif que nous envoyons aux centaines de milliers de personnes, femmes ou hommes, victimes d’agressions sexuelles ? Certes, la majorité des victimes d’agressions sexuelles sont des femmes, Mme Borvo Cohen-Seat l’a souligné à juste raison, mais il ne faut pas oublier que les hommes sont aussi touchés, ne serait-ce qu’en milieu carcéral.

Cela a été rappelé tout à l’heure, une personne mineure au moment d’une agression peut porter plainte à sa majorité. Eh bien, interrogeons-nous justement sur le nombre de jeunes qui portent plainte après leur majorité et qui, pendant tout le temps où ils étaient mineurs, n’ont pas osé se manifester, parce qu’ils étaient contraints par le milieu familial, parce qu’ils avaient peur ; peur de nuire à des parents qui sont violents à leur égard.

Je considère qu’il en est de même pour les victimes d’une agression sexuelle. Interrogeons-nous sur le faible nombre de femmes qui portent plainte dans les premières années après les faits. Demandons-nous quelles raisons les incitent à ne pas le faire.

Si l’agression a eu lieu dans le milieu familial, il se peut que le souci de préserver l’équilibre des enfants pèse le plus lourd dans la balance. Mais, après deux ou trois ans, une séparation ou un autre événement peut permettre à cette femme de se manifester et d’exprimer alors le ressenti de toute la violence subie.

Trois ans, c’est court aussi pour les violences commises dans le milieu professionnel. Tant que la victime d’une agression ou de harcèlement sexuels sur son lieu de travail n’a pas réussi à trouver un autre emploi – et Dieu sait si c’est difficile aujourd’hui ! – ou obtenu une mutation, la peur de porter plainte peut l’emporter, car elle craint de perdre son travail, elle redoute des agressions encore plus violentes, qui pourraient devenir moralement insupportables. En qualité de président de la mission d’information sur le mal-être au travail, je puis vous affirmer que cela vaut non seulement pour les femmes, mais aussi pour les hommes.

Je ne nie pas la pertinence des arguments techniques, mais en les faisant prévaloir, nous fermons la porte à l’expression d’un malaise social, comme si nous ne voulions pas l’entendre. Si nous voulons l’entendre, il faut en débattre. Pour cela, il faut que la proposition de loi puisse vivre, donc être discutée à l’Assemblée nationale.

Je vous avoue mon embarras en cet instant. Dans mon for intérieur, je voudrais voter contre cet amendement de suppression. Toutefois, je ne veux pas désavouer mes camarades. C’est pourquoi je m’abstiendrai, mais avec regret.

Notre message sera certainement mal perçu par les représentants des associations que nous avons rencontrés, voilà une semaine, lors des travaux de la délégation aux droits des femmes sur ce sujet. Pourtant, ils étaient unanimes, je le rappelle. Nous avions le temps de la loi. La navette pouvait avoir lieu et le débat s’instaurer. Les difficultés techniques soulevées par nos collègues de la commission des lois ne sont pas insurmontables. Elles le sont moins, en tout cas, que les souffrances endurées par les victimes.

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