Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Réunion du 9 février 2012 à 9h30
Débat sur la situation de l'industrie automobile en france

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement :

En novembre 2011, Peugeot annonçait la suppression de 6 000 postes, dont environ 5 000 en France, pour réaliser 800 millions d’euros d’économies en 2012. Certes, la direction du groupe s’est engagée à ne pas recourir aux licenciements, mais ces réductions se feront néanmoins sentir, au niveau surtout des contrats à durée déterminée et de l’intérim.

Il est absolument vital de poursuivre une politique de recrutement et de formation des jeunes, en étroite liaison avec les régions, et de développer l’apprentissage des métiers de l’automobile. Les entreprises doivent offrir des emplois qualifiés et stables sous forme de contrats à durée indéterminée. Une négociation sociale doit s’engager pour améliorer les conditions de travail, de rémunération et de qualification : c’est un enjeu majeur de compétitivité pour l’avenir. La qualité du travail, c’est aussi la qualité du produit !

Les fournisseurs, eux aussi, sont en première ligne. Ils ont déjà perdu 35 000 emplois en 2008 et en 2009, et n’emploient plus que 265 000 salariés. Or l’effort de recherche le plus significatif doit souvent être réalisé par les équipementiers.

Il est vital de préserver le tissu de la sous-traitance. Il faut donc que tous les acteurs du secteur soient sensibilisés aux concertations et aux adaptations nécessaires, dans une logique de partenariat. Nous devons moderniser notre tissu de PME liées à l’automobile et ancrées dans le territoire, et maintenir à tout prix une base industrielle et technologique nationale. C’est la condition du progrès social dans l’ensemble de notre pays.

Bien entendu, nous devons parfaire le marché européen, en y faisant prévaloir des règles et des normes communes, par exemple l’harmonisation de la TVA et des charges sociales. Je souligne, au passage, que l’augmentation de la TVA de 1, 6 point ne constituera pas un choc de compétitivité suffisant. Notre industrie doit pouvoir combattre à armes égales avec nos concurrents extra-européens. Nous en sommes loin !

Je peux comprendre, bien sûr, la logique qui conduit nos constructeurs à installer de nouvelles usines en Russie, en Chine, en Inde ou au Brésil, là où la demande croît fortement. Ils cherchent ainsi à développer leur production sur des marchés à forte croissance. C’est pourtant une tout autre logique qui a prévalu dans certains pays de l’Europe de l’Est, où il s’agissait de produire à moindre coût pour réexporter ensuite vers la France et vers l’Europe occidentale, ce qui explique le déficit de près de 6 milliards d’euros de la balance extérieure de la France, jadis excédentaire.

Monsieur le secrétaire d’État, comment inverser la tendance ?

Soutenir la conjoncture en France, c’est l’inverse de la politique que vous nous proposez et qui produira ses effets non seulement en France, mais aussi sur les marchés espagnol, italien, portugais et grec, où nos constructeurs sont bien implantés. Vous avez abandonné vos moyens monétaires et tarifaires, et vos ressources budgétaires sont taries.

La seule issue serait l’accélération de l’innovation pour faire face aux deux défis que sont le renchérissement du prix du pétrole et l’impératif de limitation de l’émission de gaz à effet de serre. Il faudrait accélérer la montée en gamme technologique, afin de mettre l’industrie française au niveau de la concurrence européenne, notamment allemande. Mais avec quelles marges ? Avec quels moyens ? Nos entreprises sont en effet notoirement moins profitables que les entreprises allemandes. Avec quelles aides budgétaires publiques, alors que le budget de l’État est réduit à la portion congrue ? Quelle stratégie les pouvoirs publics entendent-ils mettre en œuvre ?

Le développement du marché des véhicules à énergie alternative prendra malheureusement du temps. On peut certes l’encourager et l’accélérer en mettant en œuvre une stratégie coordonnée visant à réglementer et à inciter, notamment par la voie fiscale, et à créer, pour les véhicules électriques, les infrastructures de recharge nécessaires. Il doit être possible, grâce à des incitations fiscales appropriées, de rajeunir le parc actuel en en faisant sortir les véhicules anciens les plus polluants.

Il ne doit pas s’agir pour autant de cautionner, sous des prétextes faussement écologiques, des campagnes « anti-bagnole » à courte vue. Il faut réconcilier la France avec son industrie automobile. On a quelquefois envie de crier « Halte au feu ! » : toute la France n’est pas Paris ou Lyon !

L’automobile étant, après le logement, le premier besoin des familles, il convient de revoir la fiscalité, la formation et le crédit à la consommation, en vue de promouvoir une politique de l’automobile intelligente et de faire de l’automobile du futur un grand projet national.

Si la voiture électrique peut occuper des marchés de niche, comme les flottes des collectivités, la voiture hybride pourrait connaître rapidement un meilleur avenir, surtout si le progrès technique s’appliquait, parallèlement, à la baisse des consommations d’hydrocarbures et à la limitation des émissions de gaz à effet de serre sur les moteurs thermiques.

La meilleure réponse au risque de stagnation de longue durée des marchés français et européen réside dans l’accélération du progrès technique chez les constructeurs et les sous-traitants. Ne serait-il pas opportun de mettre en œuvre des aides européennes financées par l’emprunt et de créer en France un commissariat chargé de piloter le projet de véhicule du futur ?

Comme vous le savez, le pôle de compétitivité Franche-Comté–Alsace porte cet intitulé de « Véhicule du futur ». Mais quel moyen de coordination pouvez-vous mettre en place entre le pôle de compétitivité Mov’eo, implanté sur les régions Basse-Normandie, Haute-Normandie et Île-de-France, le pôle de compétitivité ID4Car, commun aux régions Bretagne, Pays de la Loire et Poitou-Charentes, et le pôle de compétitivité Véhicule du futur, soutenu par la Franche-Comté et l’Alsace ? Il est très important d’améliorer l’organisation de ce dispositif.

Il semble que les constructeurs s’orientent, à la remorque de l’État, vers le renforcement du pôle francilien, là où sont situés les grands pôles de recherche publique.

Je m’interroge, monsieur le secrétaire d’État, sur le sort fait aux régions du Nord-Est qui sont, pour beaucoup, en perte de vitesse. Il est nécessaire que la politique d’aménagement du territoire prenne en compte toutes les dimensions. Le risque est grand de voir se polariser tous les moyens en Île-de-France et en Basse-Seine, dans le cadre du projet dit du « Grand Paris ». Il me semble que l’État doit conserver une vue d’ensemble des territoires, notamment dans le Grand Est, en soutenant par ailleurs la création d’un grand pôle universitaire d’ingénierie associant les universités de technologie de Belfort-Montbéliard et de Troyes, l’université de Lorraine, ainsi que les universités de Strasbourg et de Haute-Alsace.

Mon dernier mot sera pour défendre la filière hydrogène, qui n’est certes pas opérationnelle aujourd’hui, mais qu’il faut considérer à un horizon de dix ou quinze ans.

L’adjonction d’un kit hydrogène permettrait en effet aux véhicules électriques d’acquérir un rayon d’action et d’autonomie de 600 à 700 kilomètres. C’est un enjeu décisif ! Un centre de recherche technologique, FCLab, a d’ailleurs été créé en 1999 à Belfort, sur l’initiative de Claude Allègre, pour travailler à ce projet.

Ce centre, qui rassemble 80 chercheurs et ingénieurs, a besoin d’être soutenu par des contrats de recherche pour que la France, en dialogue avec de grands pays bien plus avancés qu’elle dans ce domaine – les États-Unis, l’Allemagne, le Japon –, ne rate pas ce grand rendez-vous.

Le Gouvernement s’est-il donné les moyens d’une politique de développement technologique à longue portée ? Je crains, au contraire, qu’il ne se soit laissé happer par une spirale de renoncement et, par conséquent, de déclin. Mais comme j’aimerais avoir tort ! §

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