Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin

Réunion du 9 février 2012 à 9h30
Débat sur la situation de l'industrie automobile en france

Photo de Brigitte Gonthier-MaurinBrigitte Gonthier-Maurin :

Entre 2005 et 2010, la production en France de véhicules particuliers a ainsi reculé de 31 % pour PSA et de 53 % pour Renault, celle des véhicules utilitaires reculant pour ces deux groupes respectivement de 38 % et de 33 % sur la même période.

Au prétexte de se positionner sur les marchés émergents, les groupes français produisent dans des pays à bas salaires où les conditions sociales sont moindres et réimportent les véhicules.

La Twingo, fabriquée auparavant à Flins, l’est désormais en Slovénie. Le même constat vaut pour la Clio Estate, fabriquée en Turquie et réimportée en France, ou encore pour le Koleos, réimporté de Corée. La Renault Latitude est également fabriquée dans ce dernier pays, alors qu’elle pourrait l’être à Sandouville sur les mêmes lignes que la Laguna 3.

Le numéro 2 de Renault, M. Tavares, explique que les moteurs les plus performants, M9 et R, sont construits en France, mais, ce qu’il ne dit pas, c’est que le moteur K, le plus monté, est fabriqué, lui, en Roumanie et en Russie.

Parallèlement, Renault organise avec les grands équipementiers leur délocalisation vers les mêmes sites. Le mouvement touche les usines d’assemblages, de mécanique, de motorisation, ainsi que les fonderies.

L’État est premier actionnaire du groupe Renault. Il a donc une responsabilité dans les choix stratégiques du groupe, notamment en tant que membre de son comité stratégique.

Cette délocalisation de notre industrie qui hypothèque l’avenir par la casse de l’emploi, la perte des savoir-faire et des qualifications, ainsi que la fermeture des sites s’étend également à la recherche.

Contrairement à l’Allemagne, la France n’a pas développé des liaisons recherche-formation-production suffisantes. Les efforts de recherche et d’innovation dans les entreprises industrielles ont été plus importants outre-Rhin.

En annonçant la suppression de 6 800 postes et la destruction de 5 000 emplois d’ici à la fin de l’année 2012, PSA a, pour la première fois, frappé en priorité la recherche et le développement. Sont concernés 2 100 emplois de chercheurs et tous les sites de R&D sont touchés : Poissy, Sochaux, Vélizy, où se situe pourtant le « navire amiral » – l’Automotive Design Network –, et La Garenne-Colombes, dans mon département des Hauts-de-Seine. L’essentiel des cadres touchés, soit 1 600 d’entre eux, seront des prestataires.

Le groupe PSA explique que les projets de recherche resteront inchangés « grâce à une meilleure productivité et aux partenariats noués avec des labos extérieurs ».

Cette pression accrue sur les travailleurs est insupportable. Pour le site de R&D de La Garenne-Colombes, selon une enquête du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le CHSCT, 15 % des salariés sont en souffrance.

Interrogé sur la fuite des cerveaux, le P-DG de PSA, explique qu’il « réorganise » sa R&D en France en reconnaissant supprimer des postes, mais se targue d’investir massivement dans ses centres étrangers. Inauguré en 2008, le China Tech Center de Shanghai va en effet passer de 450 à 1 000 salariés !

Avec la mise en place de plateformes permettant aux constructeurs de développer conjointement certaines pièces automobiles ou la délégation de la R&D aux équipementiers, il apparaît que toutes les techniques sont bonnes pour faire du profit à court terme.

Ces pratiques sont un désaveu de la politique de Nicolas Sarkozy, lequel a massivement subventionné la R&D via le coûteux crédit d’impôt recherche, qui a représenté 5, 3 milliards d’euros en 2012 et dont PSA est un gros bénéficiaire.

Pour Renault, mêmes constats : au Technocentre de Guyancourt, le regroupement de tous les sites tertiaires et d’ingénierie aurait pu laisser penser à un renouveau. En réalité, les nouveaux projets seront ou sont déjà en partie développés par des prestataires des sous-traitants de l’entreprise.

Dans le même temps se développent les centres d’ingénierie décentralisés en Roumanie, en Amérique du Sud, en Corée, en Inde et, bientôt, à Tanger, où se trouve, nous dit-on, M. le ministre Éric Besson, qui montre là ses préférences !

Le groupe finance très peu sa recherche, comptant sur les aides publiques de l’État ou des collectivités et, finalement, des contribuables.

De plus, cette politique d’externalisation puis de délocalisation de la recherche, ainsi que de recours au travail précaire et intérimaire rend impossible la transmission des savoir-faire.

Pour nous, la maîtrise sociale de la connaissance est une bataille aussi importante à mener que celle de l’appropriation sociale des moyens de production et d’échange. On ne peut plus laisser les actionnaires s’approprier les savoir-faire et les connaissances des salariés.

Il faut donc instaurer les outils d’une maîtrise par les salariés de la propriété et de l’usage des brevets. Il faut engager un effort massif de formation initiale et continue en faveur des filières scientifique et techniques.

Monsieur le secrétaire d'État, il est inadmissible que des groupes qui ont des résultats nets, « en temps de crise », de plusieurs milliards d’euros et qui ont bénéficié d’un soutien massif de l’État en 2009 et 2010 sacrifient les salariés pour satisfaire l’appétit sans limite d’actionnaires et de dirigeants.

Il est temps de rompre avec les politiques libérales et de remettre la valorisation de l’emploi de toute la chaîne industrielle au centre de notre politique industrielle.

Les annonces du Président de la République, qui, en fin de mandat, s’aperçoit qu’il serait utile de créer une banque industrielle – en réalité une filiale d’OSEO… – s’inscrivent dans la droite ligne des outils déjà mis en place, comme le FSI, le Fonds stratégique d’investissement. Or, comme vous le savez, faute de contrôle et de conditionnalité des aides, les entreprises dont le FSI a pris des participations ont licencié et délocalisé.

Vos politiques ont montré leur incapacité à servir l’intérêt général, la valorisation du potentiel industriel de notre pays.

Nous proposons une autre mission pour les banques – des banques, oui, publiques – qui permettrait de faire reculer la spéculation, notamment au travers de la création d’un pôle public financier avec pour objectif de réorienter les critères du crédit vers la production utile, l’emploi, l’innovation et la révolution écologique.

Nous proposons de supprimer les privilèges fiscaux, en particulier les 30 milliards d’euros d’exonération de charges des entreprises, et de taxer les revenus du capital au même niveau que ceux du travail.

Nous souhaitons contrôler l’utilisation des aides publiques et donner de nouveaux droits aux salariés dans les entreprises. D’ailleurs, le 16 février prochain, le groupe CRC défendra au Sénat sa proposition de loi visant à interdire les licenciements boursiers.

Enfin, en vue de relocaliser l’économie et d’œuvrer pour un renouveau technologique et économique, nous proposons d’agir pour permettre la mise en place de protections et de normes sociales et environnementales communes aux pays européens, face à la pression des mouvements de capitaux et des productions à bas coût sur des marchés désormais mondialisés.

Nous voulons une politique d’aménagement et de développement industriel du territoire fondée sur les exigences d’emploi, de qualification, de recherche et d’environnement ; nous voulons élaborer, dans les secteurs émergents voués à prendre davantage d’importance, des stratégies de filières intégrant recherche, innovation, développement, production et formation. Loin d’être un handicap, monsieur le secrétaire d’État, une telle politique serait au contraire un atout de coopération essentiel.

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