En effet, ce texte, dont Mme Jouanno vient toutefois de nous donner une lecture plus ouverte, est un vibrant plaidoyer en faveur du « tout-nucléaire », de cette spécificité bien française qui fait que l’on ne peut guère parler de mix énergétique, tant notre production d’électricité est dépendante du nucléaire.
Il n’y a, pour les rédacteurs de cette proposition de résolution, pas d’après-Fukushima ; il n’y a pas de place pour le doute, fût-il scientifique, ni pour une analyse comparée des choix stratégiques français et de ceux qui ont été faits par d’autres pays, développés ou émergents.
Je voudrais tout d’abord m’arrêter sur l’affirmation selon laquelle le nucléaire étant une source d’énergie décarbonée, il permettrait de lutter contre le réchauffement climatique. Nous le savons tous, il s’agit d’un problème de dimension mondiale : à l’instar des nuages radioactifs, les émissions de CO2 ne connaissent pas les frontières.
L’énergie nucléaire est une solution nationale, franco-française, puisqu’elle ne représente qu’à peine 5 % de l’approvisionnement énergétique mondial. Même si les rêves les plus ambitieux des constructeurs de centrales nucléaires devaient se réaliser, cette part ne variera pas significativement, l’énergie nucléaire pouvant au mieux accompagner l’accroissement de la consommation énergétique mondiale. Le nucléaire n’est donc en rien une solution efficace dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Les auteurs de la proposition de résolution évoquent à la fois le développement international de la filière nucléaire et notre capacité à répondre aux besoins en énergie nucléaire de pays tiers.
S’il s’agit d’exporter l’électricité nucléaire, une telle ambition suppose une prolifération des réacteurs sur le territoire français, dont je doute que nos concitoyens soient demandeurs : notre pays est déjà celui qui compte le plus de centrales nucléaires par habitant, et je ne crois pas qu’ils souhaitent que l’on poursuive la mise en œuvre d’une stratégie visant à faire de la France le « grenier nucléaire » de l’Europe.
S’il s’agit d’exporter des centrales nucléaires, je voudrais attirer l’attention des partisans d’une telle voie sur les incertitudes pesant sur le carnet de commandes.
Dans nombre de démocraties, les opinions publiques sont maintenant quelque peu réticentes à accepter l’implantation de nouvelles centrales. Il reste donc, pour acheter nos centrales nucléaires, les dictatures ou les démocraties qui, comme l’Inde, refusent la mise en place d’une autorité de sûreté indépendante.
Or la transparence est une condition de la sûreté nucléaire mondiale. La France serait irresponsable de vendre des centrales nucléaires à des pays ne garantissant ni la transparence, ni la démocratie, ni un niveau de contrôle et d’organisation de la protection civile à la mesure du risque nucléaire.
Les auteurs de la proposition de résolution évoquent en outre une modification « sensible » de notre bouquet énergétique. Cela s’apparente davantage à une figure de style, à une concession à l’air du temps, qu’à l’expression d’une véritable volonté de changer la donne énergétique, d’autant que cette « modification sensible » devrait sauvegarder la prédominance de l’énergie nucléaire. Le texte est assez clair sur ce point.
Nous sommes bien là au cœur de la faiblesse du système énergétique français, dont toute l’architecture est organisée, depuis les années soixante-dix, autour de l’industrie nucléaire, par et pour elle.
Que constatons-nous aujourd’hui, avec une quarantaine d’années de recul ?
Tout d’abord, la France consomme davantage d’électricité que ses voisins, en particulier l’Allemagne, sans pour autant consommer moins de pétrole.
Ensuite, si le prix du kilowattheure est moins élevé en France qu’en Allemagne, la facture finale n’est pas pour autant moins lourde pour les ménages. Le modèle économique du nucléaire est un modèle de surconsommation : il faut consommer beaucoup pour produire beaucoup. Il est en cela difficilement compatible avec une maîtrise et une réduction de la consommation. Le fait que nos voisins Allemands n’aient pas emprunté la même voie que nous explique sans doute qu’ils aient pu abaisser significativement leur consommation d’électricité.
Enfin, la France est en retard en matière de développement des énergies renouvelables. Nos filières industrielles ont été grandement fragilisées, particulièrement au cours des cinq dernières années, par la mise en œuvre d’une politique erratique en matière de photovoltaïque et par la multiplication des obstacles au développement de l’éolien.