Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais à mon tour saluer la décision de la nouvelle majorité sénatoriale et du président Jean-Pierre Bel de créer une commission pour le contrôle de l’application des lois. Je suis convaincue que le président de cette commission, David Assouline, aura à cœur de la faire travailler et de la faire respecter dans cette assemblée et au-delà.
Cette initiative traduit la volonté du Parlement de reconquérir une partie des prérogatives que la Constitution de 1958, d'une part, et les pratiques des gouvernements et de la technostructure, d'autre part, ont quelque peu grignotées.
On peut certes adopter une approche quantitative, comptable de l’application des lois : combien de décrets d’application, quelle proportion d’engagements pris, combien ont déjà été menés à bien ? Toutefois, à en juger par l’exemple des lois Grenelle I et II, qui ont déjà été citées, j’ai le sentiment qu’il en va de l’application des lois comme du froid : il y a les statistiques « sous abri » mais aussi le ressenti !
S'agissant des lois Grenelle I et II, les statistiques « sous abri » indiquent qu’environ 50 % – entre 48 % et 51 % selon les calculs – des décrets d’application ont été publiés, mais le ressenti c’est que le compte n’y est pas ! Nos collègues députés Philippe Tourtelier et Bertrand Pancher ont présenté en juin dernier un rapport d’étape sur le suivi des lois Grenelle, selon lequel 20 % des décrets d’application avaient été publiés, 22 % étaient en cours d’examen par le Conseil d'État et 31 % devaient encore faire l’objet d’un arbitrage interministériel. C’est donc par une addition un peu étrange que nous atteignons le chiffre de 50 % de décrets publiés : cela revient à considérer que les décrets examinés par le Conseil d'État seront forcément publiés – ce n’est pas toujours le cas – ou que les décrets qui doivent faire l’objet d’un arbitrage finiront tous par être soumis au Conseil d'État puis publiés.
Au-delà des statistiques, je voudrais évoquer quelques-unes des mille et une façons de paralyser l’application des lois.
La première, la plus courante, est de manquer de vélocité dans la publication des décrets. La cause du retard peut être la surcharge de travail des administrations centrales ou leurs difficultés à produire des normes souvent complexes qui exigent des expertises et des compétences pointues. C’est souvent le cas des textes d’application des lois relatives à l’environnement. À ce propos, j’attire l’attention de nos collègues de la majorité gouvernementale : il est quelque peu contradictoire de dénoncer le matin le trop grand nombre de fonctionnaires dans notre pays et de demander le soir que plus de décrets soient rédigés et publiés !
La deuxième façon de retarder l’application des lois est la résistance passive. On dit que le décret est en cours de rédaction… En réalité, cela signifie qu’il est bloqué quelque part car le pouvoir exécutif ne veut pas le publier. C’est un peu comme lorsque vous attendez une livraison et qu’on vous dit que votre colis est « parti »… Parfois celui-ci n’arrive pas ! Il en va de même de certains décrets.
La troisième façon consiste à reporter la date d’application d’année en année. Je choisirai à nouveau mon exemple dans la loi Grenelle I. Celle-ci prévoyait la création d’une éco-redevance poids lourds : en 2009, la date d’entrée en vigueur a été fixée à 2011 ; le Gouvernement a ensuite annoncé que ce serait pour 2012 ; un peu plus tard, le même gouvernement a indiqué que finalement ce serait 2013…
Même si les relations entre le Parlement et le Gouvernement ne sont pas de nature contractuelle, j’attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait que la date de publication des textes d’application d’une loi est une condition substantielle de cette loi. Nous ne votons pas des déclarations d’intention ! Reporter indéfiniment la date de publication constitue donc une forme de dol.
La quatrième façon de paralyser l’application des lois est de publier des décrets qui trahissent l’esprit du législateur. Nos collègues députés Philippe Tourtelier et Bertrand Pancher, qui sont plus délicats que moi, n’emploient pas le verbe « trahir » mais notent que certains décrets « écornent la loi ». C’est le cas du décret relatif à l’affichage public, qui devait à l’origine limiter les pollutions visuelles provoquées par l’affichage publicitaire, mais qui, après un an de concertation, de lobbying et de pressions diverses de différents ministères, a atteint l’objectif inverse, puisqu’il accroît les surfaces où la publicité est autorisée et permet l’affichage publicitaire dans des lieux où il était auparavant interdit.
M. le ministre a évoqué l'inflation des articles d'origine parlementaire. Son observation est juste, même si elle est malicieuse. Néanmoins, de la part d'un Gouvernement qui lui-même s’est adonné à une certaine logorrhée législative en faisant voter sept lois sur la récidive en dix ans, la critique à notre égard perd quelque peu de sa force.
Mes chers collègues, je conclurai par une remarque. Il en va de la santé de la démocratie comme de celle des individus : il faut des contrôles, des examens de routine, mais il faut aussi de la prévention et une hygiène de vie. C'est à nous, parlementaires, de faire preuve de plus de rigueur quand nous examinons des textes : il nous faudrait prendre l'habitude de voter davantage d'articles et de dispositions qui soient directement applicables.
La critique que nous formulons à l'encontre du Gouvernement, nous pouvons en partie la retourner à nous-mêmes : la loi est un outil de régulation, pas un outil de communication. §