Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 7 février 2012 à 22h45
Devenir des permis exclusifs de recherche d'hydrocarbures conventionnels et non conventionnels — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand nous serons à la retraite, nous nous livrerons peut-être à des travaux d’écriture. Nous pourrons alors rédiger un essai qui s’intitulerait De la duplicité dans l’administration des affaires publiques. À cette fin, nous remémorant soigneusement tous les faits, nous conterons par le menu l’histoire des permis d’explorer les gaz de schiste qui, depuis plus de cinq ans, révèle de la part du Gouvernement des méthodes d’administration ni franches ni loyales à l’égard des citoyens français.

Je vois un premier exemple de duplicité dans l’attitude du ministre Borloo qui, pendant qu’il occupe la scène politique et environnementale avec le Grenelle de l’environnement, délivre en catimini plus de soixante permis d’exploration, au mépris total de l’esprit même du Grenelle, c’est-à-dire la codécision, la gouvernance partagée et citoyenne ainsi que la transparence.

Je vois un deuxième exemple de duplicité dans le comportement de la majorité gouvernementale, qui prône une politique énergétique décarbonée, le plus souvent d’ailleurs pour justifier son choix du nucléaire, mais n’hésite pas, en même temps, à laisser la porte ouverte à l’exploration des gaz de schiste, alors que cette énergie émet trois à cinq fois plus de gaz à effet de serre que le pétrole conventionnel !

Je vois un dernier exemple de duplicité dans le fait que, depuis que ces permis sont connus, depuis que le Gouvernement a eu affaire à des mouvements citoyens, environnementaux et à une mobilisation des élus locaux dans les territoires, le Premier ministre a déclaré, le 13 avril dernier, en réponse à une question d’actualité, que les autorisations qui avaient été données l’avaient été dans des conditions qui n’étaient pas satisfaisantes.

Et le Premier ministre de déplorer notamment le fait que la concertation et l’information aient été insuffisantes assurant, la main sur le cœur, « pour qu’il n’y ait aucun doute, dans le débat, entre les Français et le Gouvernement sur ce sujet », qu’il fallait « tout remettre à plat », « annuler les autorisations déjà accordées » et, pour finir, que le Gouvernement soutiendrait les propositions de loi déposées en ce sens. Alors que se multipliaient les manifestations contre les permis exclusifs de recherche – octroyés, il faut bien le dire, dans la plus grande opacité par le Gouvernement –, le Premier ministre ne pouvait pas faire moins !

Mais, alors que le Gouvernement s’était pourtant engagé à déplacer les montagnes, nous n’avons finalement assisté qu’à l’accouchement d’une petite souris : la loi promulguée le 13 juillet dernier ne règle en rien les problèmes soulevés par l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels, pas même d’ailleurs les problèmes soulevés par le Premier ministre et le Gouvernement !

Sur soixante-quatre permis octroyés, seuls trois ont été annulés : nous sommes bien loin du compte ! S’agissant de la mise en place des structures de consultation et de participation du public aux décisions, sur lequel le Gouvernement avait pris un engagement, rien n’a été fait. Je suis moi-même l’élue d’un département concerné par le permis d’exploitation évoqué par Nicole Bricq : nous n’avons vu aucune structure se mettre en place.

De même, nous attendons toujours le projet de loi de ratification de l’ordonnance portant codification de la partie législative du code minier, annoncé il y a des mois par la ministre de l’écologie.

Quant à l’engagement pris par le Premier ministre de soutenir les propositions de loi relative à l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste, il semble qu’il n’avait tout simplement pas encore pris connaissance de ces textes. Il lui aurait pourtant suffi d’en lire le titre : la proposition de loi déposée ici même, le 7 avril 2011, par les sénateurs du groupe UMP visait en effet « à abroger les permis exclusifs de recherches d’hydrocarbures non conventionnels et à interdire leur exploration et leur exploitation sur le territoire national ».

Si nous débattons aujourd’hui à nouveau de la question, c’est parce que la loi du 13 juillet 2011 n’a pas répondu à l’inquiétude des Français. Elle interdit le recours à la fracturation hydraulique, mais tout laisse à penser, comme l’a rappelé tout à l’heure Nicole Bricq, que le Gouvernement ne cherche qu’à gagner du temps : on autorise l’exploration et on attend.

Bien que mes collègues l’aient déjà fait plusieurs fois, permettez-moi de citer, parmi les indications et les expertises dont nous disposons sur la nocivité de cette source d’énergie, le rapport examiné le 3 octobre dernier par la commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen. On y conclut au caractère « inévitable » des conséquences environnementales de l’extraction des hydrocarbures de schiste, à commencer par « une occupation de terrain importante » nécessaire aux opérations de forage et de transport et l’on souligne également « les impacts potentiels importants » sur la pollution de l’air et de l’eau, ainsi que le risque d’accidents, comme ce fut le cas aux États-Unis.

J’évoque cette réflexion du Parlement européen parce que, dernière manifestation de la duplicité de la majorité gouvernementale, il semblerait que la France ait aussi mis fin à son soutien à une directive européenne visant à désigner les sables bitumineux canadiens comme la forme de pétrole de loin la plus néfaste pour le climat.

Plus grave encore, la France demanderait à la Commission européenne des études complémentaires n’ayant d’autre objet que de retarder les applications éventuelles de la directive de 2009. Il faut dire que les dirigeants du groupe Total passeraient beaucoup de temps dans le bureau de M. Besson, qui est généralement un bon relais pour défendre les groupes de production d’énergie…

Monsieur le ministre, ma question sera simple : quelle est exactement la position de la France à Bruxelles ? A-t-elle ou non rejoint le groupe des pays favorables à l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels ? Avec la réponse à cette question, nous en saurons davantage sur ce que vous voulez exactement faire de ces permis !

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