Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 31 janvier 2012 à 22h00
Exécution des peines — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

J’en ai d’autres en réserve, madame Férat !

Les conditions d’hygiène et de surpopulation dans certains établissements nuisent à la santé des détenus, comme le montrent de nombreux rapports de la DDASS.

De même, l’accès aux soins reste difficile en détention, alors que les besoins sanitaires de la population incarcérée sont bien plus importants que ceux de la population générale.

Votre politique pénale a abouti à un transfert de prise en charge des personnes les plus marginalisées et atteintes de troubles psychiques sévères de l’hôpital vers la prison. Saturé, et souffrant d’un manque patent de solutions d’accueil adaptées, le secteur de la psychiatrie générale laisse à la rue nombre de personnes atteintes de troubles mentaux, jusqu’à ce que leurs symptômes les fassent basculer dans la criminalité ou la délinquance. Le résultat est que plus de 20 % des détenus seraient atteints de troubles psychotiques. Or la prison ne peut être considérée comme un lieu de soins !

La figure du « fou criminel », que vous véhiculez, gagne les esprits et l’approche sécuritaire contamine les politiques de santé publique, quand bien même le passage à l’acte serait davantage favorisé par les ruptures de soins et l’isolement social que par les troubles psychiques en eux-mêmes.

S’agissant des droits de communiquer avec l’extérieur ou de recevoir des visites, la législation reste marquée par une accumulation de restrictions et de mesures de surveillance.

La réglementation française continue de méconnaître les droits des personnes détenues à la liberté d’opinion et d’expression, l’administration étant notamment autorisée à censurer tout écrit des détenus en vue d’une publication.

Soustrait à l’application du droit commun, le travail carcéral s’exerce dans des conditions dignes du XIXe siècle. Comme l’indique le règlement intérieur de certaines maisons d’arrêt, « la personne détenue qui travaille n’est pas un salarié ». Elle n’est donc pas susceptible de bénéficier de la protection du droit du travail.

Les règles du salaire minimum ne s’appliquant pas aux détenus, leurs rémunérations mensuelles nettes en 2010 n’ont pas dépassé, en moyenne, 318 euros par mois pour un équivalent temps plein. La loi pénitentiaire a été, par votre faute, une nouvelle occasion manquée de satisfaire aux exigences de l’Organisation internationale du travail, tendant à offrir aux personnes détenues des garanties similaires aux travailleurs libres en matière de rémunération, de protection sociale et de sécurité au travail. Le travail carcéral reste ainsi aux antipodes de l’objectif visé, à savoir favoriser la réinsertion des détenus.

Majoritairement issue de milieux défavorisés, la population pénale se trouve souvent dans une situation de grande précarité en détention et sort appauvrie, économiquement et socialement, de son expérience carcérale.

En refusant aux détenus l’accès aux « moyens convenables d’existence » dont bénéficient les personnes exclues du travail ou les travailleurs pauvres, vous avez pris la responsabilité de les maintenir dans une situation de grande pauvreté pendant leur incarcération et à leur libération.

Par là même, vous fabriquez ces récidivistes et ces exclus que vous montrez du doigt, encore une fois, avec cette nouvelle loi d’affichage.

La justice des mineurs n’a bien évidemment et malheureusement pas échappé à ces régressions. Confrontée à d’incessantes modifications et en proie à votre obstination, l’ordonnance du 2 février 1945 a été vidée de ses principes essentiels, qui étaient la primauté de l’éducatif sur le répressif et la spécialisation de la justice des mineurs.

Dans le présent projet de loi, il était question de multiplier les centres éducatifs fermés, lesquels devenaient la réponse unique à tous les problèmes, alors que leur fonctionnement a fait l’objet de nombreuses critiques, notamment de la part du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Cette multiplication se serait faite au détriment des foyers classiques, des lieux de vie ou des familles d’accueil.

Le placement en centre éducatif fermé est certainement une alternative à l’incarcération qui aurait pu être intéressante, mais il est dommage que le caractère fermé de ces centres prenne le dessus sur l’aspect éducatif, en raison des très faibles moyens qui leur sont accordés.

Les structures éducatives alternatives à ces centres font aussi les frais de cette pénurie de crédits. Il y a déjà eu 68 fermetures en 2011 et 28 autres structures de ce type vont fermer en 2012. Or elles permettent aux mineurs d’être extraits de leur milieu habituel, ce qui peut être primordial pour un jeune en reconstruction.

Malheureusement, la politique que vous menez en matière d’enfance consiste plutôt à agiter la délinquance des mineurs comme un épouvantail et à s’auto-congratuler ensuite. Mais les services spécialisés, comme la Protection judiciaire de la jeunesse, n’ont de cesse de dénoncer un abandon de la justice des mineurs, une politique vidant de tout contenu une justice adaptée et marquant un recul de plusieurs siècles de notre conception de la place de la justice dans la société.

Mes chers collègues, aujourd’hui, le chiffre de 85 000 peines non exécutées est brandi pour justifier ce nouveau projet de loi, alors qu’il s’agit à 95 % de courtes peines en attente d’aménagement dans des services d’application des peines engorgés.

Les annonces de programmes de construction se sont succédé et c’est désormais un objectif de 80 000 places de prison qui est annoncé, soit une augmentation de 60 % en douze ans.

Pourtant, le phénomène est connu : l’accroissement du parc carcéral a tendance à susciter une augmentation des incarcérations, si bien qu’il n’apporte pas en soi une réponse durable au problème de la surpopulation et de la récidive.

Cette annonce sous-tend en réalité un renoncement à l’exécution des courtes peines en milieu ouvert, là encore en dépit des études montrant que les aménagements de peines sont plus favorables à la prévention de la récidive que la détention.

En matière tant pénale que pénitentiaire, vous avez donc nagé à contre-courant, si je puis dire, et témoigné à plusieurs reprises de votre méconnaissance des problèmes.

Nous proclamons, pour notre part, que la peine doit être un temps pour se reconstruire et se réinsérer. Nous souhaitons pour cette raison que la législation en matière pénitentiaire se fonde sur une approche éducative, sur la responsabilisation et le respect des droits et de l’expression des détenus comme des personnels.

Comme nous le rappellent les normes européennes, les contacts avec le monde extérieur sont indispensables pour lutter contre les effets potentiellement néfastes de l’emprisonnement. Plus concrètement, les règles pénitentiaires européennes indiquent que les personnes détenues doivent pouvoir « communiquer aussi fréquemment que possible – par lettre, par téléphone ou par d’autres moyens de communication – avec leur famille, des tiers et des représentants d’organismes extérieurs, et recevoir des visites des dites personnes » ; « se tenir régulièrement informées des affaires publiques » ; « communiquer avec les médias » ; « participer aux élections, aux référendums et aux autres aspects de la vie publique ».

Une première étape pour limiter la récidive réside dans le fait d’éviter l’emprisonnement le plus possible, en ce qu’il aggrave la situation sociale, psychique, familiale des personnes et qu’il a tendance à perpétuer les phénomènes de violence et à renforcer les personnes dans un « statut de délinquant ». En ce sens le prononcé de peines alternatives doit être privilégié et l’emprisonnement constituer un dernier recours, comme le réaffirme la loi pénitentiaire que vous remettez implicitement en cause avec ce texte.

La sécurité passe, notamment, par le fait d’aménager la vie en prison de manière aussi proche que possible de la vie en société. Il faut offrir aux détenus des conditions matérielles appropriées et des occasions de développement physique, intellectuel et émotionnel, leur donner la possibilité de faire des choix personnels dans autant de domaines que possible.

Par exemple, participent tant de la prévention des violences que de la réinsertion le fait de permettre aux détenus de bénéficier d’activités les occupant en dehors de leur cellule au moins huit heures par jour, de percevoir une rémunération conforme aux salaires pratiqués dans l’ensemble de la société ou de se voir proposer un travail conforme aux normes et techniques contemporaines.

De même, concourt à la sécurité et à l’apprentissage de la responsabilité le fait d’autoriser les détenus à discuter collectivement de questions relatives à leurs conditions générales de détention et de communiquer à cet égard avec les autorités pénitentiaires. Les groupes de travail sur la violence en prison, qui se sont constitués en France au sein de la direction de l’administration pénitentiaire ou sur ordre de mission de la Chancellerie, ne disent pas autre chose : la prévention des tensions passe par « une humanisation des rapports sociaux » et le développement de « la vie sociale en détention », notamment par la mise en place « d’espaces de parole ».

Sans acceptation de ces principes, et sans remise en cause de votre politique pénale en œuvre, la fuite en avant continuera.

Je voudrais saluer les nombreux efforts accomplis par Nicole Borvo Cohen-Seat, notre rapporteure – j’insiste sur le féminin –, pour refondre complètement ce projet de loi, même si la procédure accélérée, sur un sujet aussi important, ne nous permet pas de travailler dans des conditions permettant de revenir complètement sur plus d’un quinquennat de lois destructrices.

Néanmoins, nous y reviendrons très vite et nous réussirons, avec l’aide des organisations spécialisées, telles que l’Observatoire international des prisons ou la Protection judiciaire de la jeunesse, à donner à la politique pénitentiaire une orientation qui concilie humanité, respect des droits des détenus et sécurité des citoyens. §

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