Intervention de Jean-René Lecerf

Réunion du 31 janvier 2012 à 22h00
Exécution des peines — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf :

… comme en qualité de rapporteur de nombreux textes touchant à l’univers carcéral et, surtout, en qualité de rapporteur de la loi pénitentiaire.

Comment ne pas rappeler, une fois encore, les travaux simultanés menés en 2000 par les commissions d’enquête des deux assemblées, qui faisaient écho à l’ouvrage du docteur Véronique Vasseur, médecin-chef à la prison de la Santé, et à l’émotion qu’il avait suscité dans l’opinion ?

Comment ne pas rappeler, une fois encore, le rapport sénatorial Prisons : une humiliation pour la République, dont le titre traduit dans sa brutalité l’opinion très largement partagée des parlementaires et l’ardente obligation de réformes que l’on souhaitait aussi ambitieuses qu’urgentes ?

Pourtant, les paroles prononcées par le Président de la République à Versailles devant le Congrès, près de dix ans plus tard, le 22 juin 2009, montraient bien l’étendue du chemin restant à parcourir.

Permettez-moi de citer Nicolas Sarkozy : « Comment accepter à l’inverse que la situation dans nos prisons soit aussi contraire à nos valeurs de respect de la personne humaine ? La détention est une épreuve dure, elle ne doit pas être dégradante. Comment espérer réinsérer dans la société ceux qu’on aura privés pendant des années de toute dignité ?

« L’état de nos prisons, nous le savons tous, est une honte pour notre République […] »

Bien sûr, un certain nombre de progrès ont été réalisés. C’est ainsi que, au cours des trois dernières décennies, trois programmes de construction de nouvelles places de prison ont été mis en œuvre : le programme Chalandon de 13 000 places, le programme Méhaignerie de 4 000 places, enfin le programme Raffarin-Perben de 13 200 places, qui a été décidé par la loi d’orientation et de programmation pour la justice de 2002 et qui n’est pas encore totalement achevé aujourd’hui.

Toutefois, l’avancée la plus fondamentale, du moins j’en suis convaincu, réside dans le vote de la loi pénitentiaire par laquelle le Parlement, après des débats constructifs auxquels participèrent l’ensemble des sensibilités représentées, transforma largement le projet de loi en demi-teinte qui lui était présenté et apporta des améliorations considérables immédiates à la condition pénitentiaire, tout en ouvrant la voie à des progrès futurs.

Sur bien des aspects – attention renouvelée au travail et à la formation, conseils de discipline, unités de vie familiale et parloirs familiaux, encellulement individuel –, je constate lors de mes visites des progrès significatifs, quoique fragiles, alors même que tous les décrets d’application de cette loi du 24 novembre 2009 ne sont pas encore publiés à ce jour.

Nous attendons toujours la mise en œuvre de l’évaluation du taux de récidive par établissement pour peines, qui nous permettrait d’approcher les incidences du régime de détention sur la réinsertion. Pour évoquer, par exemple, le cas des délinquants sexuels, je suis persuadé que l’on récidive moins à Casabianda qu’à Mauzac et moins à Mauzac qu’à Caen. Toutefois, si cela était scientifiquement démontré, nous pourrions en tirer un certain nombre d’enseignements.

Nous attendons toujours l’élaboration d’un règlement intérieur-cadre selon les grands types d’établissements – maisons d’arrêt, centres de détention, maisons centrales – qui viendrait limiter l’extrême variété des régimes de détention, souvent ressentie à l’occasion d’un transfert comme l’expression d’une forme d’arbitraire, et qui pourrait fixer un certain nombre d’usages, comme l’obligation de vouvoyer les personnes détenues qui le souhaitent.

J’ose à peine rappeler, car cela ne relève pas du domaine de la loi, la promesse du Gouvernement d’une réforme du code des marchés publics permettant d’instaurer un droit de préférence, à équivalence d’offres, aux entreprises donnant du travail aux personnes détenues.

Il m’arrive de songer à un État de droit où le Parlement ne pourrait légiférer de nouveau sur une même question avant que l’ensemble des textes d’application de la loi antérieure n’aient été pris.

Ce projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines me pose avant tout problème, mes chers collègues, au regard de son articulation, de sa compatibilité avec la loi pénitentiaire.

Voilà deux ans, nous avions fait de notre volonté de développer les alternatives à l’incarcération et les aménagements de peines la clef de voûte, la pierre angulaire de notre réflexion. La loi pénitentiaire fixe ainsi deux principes fondamentaux et simples : en matière correctionnelle et en dehors des condamnations en récidive légale, une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours ; lorsqu’une telle peine est prononcée, elle doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, faire l’objet d’une mesure d’aménagement.

C’est ainsi que le projet de loi pénitentiaire lui-même, c’est-à-dire le Gouvernement, portait d’un an à deux ans le quantum de peine susceptible de faire l’objet d’un aménagement. J’ai bien constaté sur ce point, çà et là, l’encre de la loi n’étant pas encore sèche, quelques tentatives de retour en arrière, mais sans succès jusqu’à présent.

De cette politique, nous attendions tout d’abord les garanties d’une meilleure réinsertion et d’une lutte plus efficace contre la récidive. Récemment encore, en mai dernier, une étude statistique de l’administration pénitentiaire confirmait l’impact positif des aménagements de peines et plus particulièrement de la libération conditionnelle. Elle constatait que les personnes condamnées dont les peines sont aménagées et qui n’effectuent pas de détention ont des taux de récidive nettement moindres que les personnes incarcérées. De même, parmi ces dernières, celles qui ont obtenu un aménagement de peine voient leur taux de récidive largement minoré par rapport à celles qui connaîtront des sorties sèches.

Néanmoins, bien évidemment, cette même politique permettait aussi de lutter contre l’inflation carcérale et la surpopulation pénale, donc de considérer que l’effort – hier essentiel, je le reconnais – de construction de nouvelles places d’emprisonnement était désormais derrière nous et de consacrer une part significative des moyens financiers disponibles au recrutement des personnels d’insertion et de probation indispensables à la réussite, sur la durée, de nos ambitions.

Nous proposer aujourd’hui de porter la capacité du parc pénitentiaire à 80 000 places à l’horizon 2017 inversera nécessairement les priorités, la quasi-totalité des moyens allant à l’investissement, car le coût d’une place supplémentaire oscille tout de même entre 120 000 euros et 152 000 euros, hors foncier, et au recrutement des personnels de surveillance, au détriment, bien évidemment, des conseillers d’insertion et de probation.

Ce dernier vendredi encore, en visitant la prison d’Annœullin et en m’informant des modalités de suivi du placement sous surveillance électronique à la direction interrégionale des services pénitentiaires, j’ai pu constater le remarquable travail mené par des équipes restreintes pour suivre des centaines, presque des milliers de personnes sous bracelet. Toutefois, ce dernier n’est qu’un outil, et sans l’accompagnement de personnels qualifiés, la récidive, l’échec, l’inflation carcérale, le désarroi des victimes risquent d’être au bout du chemin.

Je n’ignore pas l’importance du stock de peines d’emprisonnement ferme en attente d’exécution, mais je sais aussi que la moitié de ces peines sont inférieures à trois mois, 90 % inférieures à un an, 95 % aménageables. Combien de fois faudra-t-il répéter que les aménagements ne sont pas des cadeaux, bien au contraire, que de nombreux détenus préfèrent les refuser, qu’une peine aménagée est une peine exécutée et qu’il ne faut pas confondre une peine inexécutée et une peine en cours d’aménagement ?

Je tente aussi avec persévérance d’approcher le coût considérable d’une politique qui viserait de nouveau à faire de l’encellulement la règle et de l’aménagement de peine l’exception.

Nos compatriotes savent-ils que le coût moyen, hors investissement, d’une journée de détention en établissement pénitentiaire est supérieur à 71 euros, plus de 2 000 euros par mois, que ce prix de journée monte à 500 euros par mineur dans un établissement de placement éducatif, à 512 euros dans un centre éducatif renforcé et à 614 euros dans un centre éducatif fermé ? Une somme de 120 000 euros pour un séjour de six mois, cela incite aussi à l’imagination pour trouver des solutions alternatives.

Je ne voudrais pas que, face au prix fort payé par la société pour les centres éducatifs fermés ou pour les établissements pénitentiaires pour mineurs, face également au coût important des partenariats public-privé, nous ne soyons un jour contraints de renverser la célèbre citation de notre illustre collègue Victor Hugo pour dire que chaque fois que nous voudrons ouvrir une prison, il nous faudra fermer une école.

Cependant, il est bien sûr aussi, dans ce projet de loi, de nombreuses dispositions intéressantes et porteuses d’avenir.

Je me permettrai simplement de souligner deux d’entre elles et je conclurai par là mon intervention.

Tout d'abord, j’approuve sans réserve la volonté de créer, aux côtés de la maison d’arrêt de Fresnes et du centre pénitentiaire de Réau, trois nouveaux centres régionaux d’évaluation.

Je suis convaincu qu’il s’agit là de l’une des mesures les plus pertinentes pour lutter contre la récidive et que bien des drames récents auraient pu être évités si s’était substituée à l’expertise nécessairement très limitée dans le temps d’un psychiatre l’évaluation pluridisciplinaire de six semaines, qui rend incomparablement plus difficile la manipulation.

De même, je me félicite de la volonté de lancer une seconde ou une deuxième – le Gouvernement choisira ! – expérience, telle que celle qui a été mise en place à Château-Thierry, comme mes collègues Gilbert Barbier, Christiane Demontès, Jean-Pierre Michel et moi-même l’avions d’ailleurs recommandé dans un rapport commun. Nous pensons qu’il s’agit là aussi d’une piste très intéressante.

Telles sont, mes chers collègues, les quelques réflexions, parfois contradictoires, que m’inspire ce projet de loi, dont je crains, cependant, qu’il ne rouvre de vieilles querelles partisanes sur la question si importante de la prison. Or des progrès décisifs ne pourront être obtenus que par la recherche d’un très vaste consensus dépassant les clivages traditionnels, un consensus auquel nous étions presque parvenus lors de la discussion de la loi pénitentiaire.

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