Intervention de Catherine Tasca

Réunion du 31 janvier 2012 à 22h00
Exécution des peines — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca :

Ce qui frappe, monsieur le garde des sceaux, quand on reprend le fil des textes examinés et votés au Parlement au cours de cette mandature, c’est l’évidente détérioration de la qualité de la loi. Le rythme effréné avec lequel les textes se succèdent – c’est particulièrement vrai s’agissant de votre ministère – se fait au prix d’une absence de concertation avec les organisations professionnelles, d’un défaut d’analyse et d’une rédaction souvent médiocre des textes précédemment votés.

Néanmoins, ce qui frappe plus que tout, aujourd’hui, c’est qu’à la détérioration de la qualité de la loi ce projet de loi de programmation ajoute la faute démocratique.

En effet, l’inscription à l’ordre du jour des travaux du Parlement, à quelques semaines d’échéances majeures, d’un projet de loi de programmation, qui engage le budget jusqu’en 2017, est tout à fait malvenue. C’est une très mauvaise manière à l’endroit non seulement du Parlement, mais aussi de nos concitoyens. Vous signifiez à ces derniers que leur vote, quel qu’il soit, sera sans effet sur la définition des orientations de la politique pénale et pénitentiaire du prochain quinquennat.

Chacun voit bien la stratégie suivie par le Président de la République avec le présent texte : focaliser l’attention des Français sur l’horizon 2017, pour ne pas parler de 2012 et du bilan de l’actuel quinquennat et favoriser l’évitement des responsabilités et la dénégation des échecs.

Pourtant, les faits sont là. Pouvait-il en être autrement ? Le Gouvernement a multiplié les textes d’opportunité et d’affichage politique, sans analyse de la cohérence des dispositifs votés ni étude de leur efficience réelle.

Ce projet de loi de programmation vient tirer, en urgence, les conséquences des ratés de cette politique. Je ne prendrai qu’un exemple, celui des services pénitentiaires d’insertion et de probation.

L’insuffisance des moyens dévolus aux SPIP est connue de longue date. Déjà, l’étude d’impact réalisée en vue de l’adoption de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 fixait à 1 000 le nombre de créations de postes nécessaires pour faciliter la mise en œuvre des aménagements de peines.

Plus récemment, dans le cadre de son avis budgétaire, présenté au nom de la commission des lois, sur les crédits du programme « Administration pénitentiaire » au sein de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2012, notre collègue Jean-René Lecerf soulignait l’absolue nécessité d’un rééquilibrage des recrutements en faveur des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation.

Officiellement, selon le rapport de la mission menée conjointement par l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des services judiciaires, les effectifs alloués aux SPIP « ont augmenté plus rapidement encore que le nombre des personnes et des mesures suivies ». Mme la rapporteur a fait part de ses réserves sur ces conclusions, et je les partage.

Au fil des textes votés et des mutations de la procédure pénale, les missions des conseillers pénitentiaires se sont considérablement alourdies. En outre, le contexte de surpopulation carcérale et l’accroissement des flux d’entrées en détention sont générateurs d’importantes charges de travail et d’une pression accrue pour les SPIP.

Cette pénurie s’observe aussi sur le terrain. Jean-René Lecerf, dans l’avis budgétaire déjà cité, évoquait le cas de Dunkerque, où, sur 17 emplois théoriques, 10 seulement sont effectivement pourvus.

L’état des lieux est tout aussi préoccupant dans mon département des Yvelines : chaque conseiller intervenant pour la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy traite, par manque d’effectifs, 144 dossiers ! Des renforts temporaires ont bien été obtenus, mais il s’agit d’une réponse à courte vue dans la mesure où la moitié de ces renforts sont affectés par le biais de redéploiements.

Si le Gouvernement s’évertue à contester cette situation de pénurie, le présent texte, de fait, la reconnaît, puisqu’il s’emploie à en gérer les conséquences. À cette fin, il entend retirer aux services d’insertion et de probation, pour les confier au secteur associatif habilité, les enquêtes pré-sentencielles.

Sous prétexte de « recentrer » les missions des conseillers sur le suivi des personnes condamnées, le Gouvernement en abandonne un pan entier. Là où il faudrait renforcer les équipes avec des personnels permanents, formés et expérimentés, il choisit de mutualiser la pénurie.

Ce choix appelle une observation. Le transfert opéré entre le secteur associatif et les services d’insertion et de probation ne se fonde à aucun moment sur une appréciation qualitative ou une évaluation des missions accomplies et de leurs spécificités. Il repose exclusivement sur la nécessité de répartir des effectifs insuffisants.

Monsieur le garde des sceaux, vous laissez ainsi entendre que la nature des missions et la qualité des enquêtes réalisées sont équivalentes, ce que je conteste. Les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation bénéficient d’une formation d’une durée de vingt-quatre mois, qui associe cours théoriques et stages pratiques en réglementation pénitentiaire, sociologie, psychiatrie et criminologie. Le choix du Gouvernement revient à déconsidérer la formation, les compétences et l’expérience de ces professionnels. C’est un très mauvais signal que vous leur adressez.

Le dispositif proposé appelle deux observations complémentaires.

La première concerne la situation financière et matérielle des associations concernées, dans un contexte de sous-budgétisation des frais de justice. Comme je l’indiquais dans mon avis budgétaire, rendu lui aussi au nom de la commission des lois, sur les crédits pour 2012 des programmes « Justice judiciaire » et « Accès au droit et à la justice », les retards de paiement des frais de justice aux prestataires du service public de la justice grèvent lourdement leur trésorerie et menacent leur existence. Ces difficultés de paiement risquent même de dissuader les associations de continuer à collaborer à ce service public.

Les retards sont loin d’être résorbés, et, surtout, pour ce qui nous concerne aujourd’hui, il n’est envisagé, dans ce projet de loi de programmation, aucun budget complémentaire pour indemniser les associations habilitées, dont le périmètre d’action serait pourtant élargi.

Seconde observation : le projet de loi de programmation, sous prétexte de recentrer les missions des services pénitentiaires d’insertion et de probation, paraît renoncer à placer ces deux objectifs au cœur de la politique pénale et pénitentiaire de l’État.

Pourtant, au travers de l’insertion et de la probation, c’est la question de l’aménagement des peines et de la récidive qui est en jeu. De ce point de vue, le texte montre une certaine cohérence : clairement, la priorité est accordée au « tout carcéral » plutôt qu’à l’aménagement des peines.

D’ailleurs, si le Gouvernement est capable d’engager autant de moyens, c'est-à-dire plus de 3 milliards d’euros, en faveur du carcéral, c’est bien parce qu’il n’en consacre pas assez aux aménagements de peine et aux services pénitentiaires d’insertion et de probation.

Si j’ai choisi, monsieur le garde des sceaux, de pointer les problèmes des SPIP, c’est parce que leurs missions sont au cœur de notre conception des buts de l’incarcération. Pour nous, il s’agit de donner au condamné, dans son intérêt et dans celui de la société, les moyens de faire ses preuves et de retrouver les chemins d’une insertion réussie. Pour vous, il s’agit prioritairement d’accroître les capacités d’enfermement. Cette politique, à l’œuvre depuis 2007, a amplement montré qu’elle menait à une impasse.

La suppression de l’article 4 proposée par Mme la rapporteur, Nicole Borvo Cohen-Seat, et adoptée par la commission des lois répond à notre préoccupation de donner toute leur place aux services pénitentiaires d’insertion et de probation. Je souhaite que l'examen du texte en séance confirme les choix de la commission.

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