onsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des finances a adopté, le 25 janvier dernier, trois projets de loi visant à approuver des avenants à des conventions fiscales de suppression des doubles impositions conclus entre la France et, respectivement, l’Arabie saoudite, l’Autriche et l’île Maurice.
Je comprends les interrogations de nos collègues communistes au sujet des quarante-neuf accords fiscaux relatifs à l’échange de renseignements examinés par notre assemblée ces trois dernières années, interrogations qui les ont conduits à demander l’inscription à l’ordre du jour de notre débat d’aujourd’hui.
L’évaluation de l’efficacité du réseau conventionnel doit être l’une de nos préoccupations majeures et permanentes. Au-delà du présent débat, l’initiative du groupe CRC de demander la constitution d’une commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, présidée par Philippe Dominati et dont Éric Bocquet est le rapporteur, était bienvenue.
Je présenterai brièvement l’économie de ces accords et leurs enjeux avant de revenir plus largement sur l’efficacité de la politique conventionnelle française, qu’il est important de mesurer au terme du mandat présidentiel et de la législature.
Les trois accords, qui ont été conclus avec des États qui semblent n’avoir pas grand-chose en commun, ont pour objet d’imposer à l’île Maurice, à l’Arabie saoudite et à l’Autriche une obligation de transmission des renseignements conforme aux derniers standards de l’OCDE.
En effet, la rédaction actuelle des conventions franco-mauricienne et franco-autrichienne, conclues respectivement en 1980 et en 1993, n’exige pas de ces pays qu’ils communiquent des informations détenues par une banque. Ces États peuvent également s’opposer à une demande de renseignements qui ne présenterait pas d’intérêt national propre pour l’application de leur fiscalité. Une fois ratifiées les conventions ainsi amendées, ces refus seront interdits.
Quant à la convention franco-saoudienne, elle ne contient pas à ce jour de clause d’échange de renseignements ; le présent accord a vocation à y remédier.
Si les clauses d’échange de renseignements sont similaires et conformes au modèle de l’OCDE, notre commission s’est interrogée sur les enjeux de leur ratification.
Tout en constituant un certain progrès, la mise en conformité de l’avenant autrichien n’a qu’une portée mineure en termes de lutte contre l’opacité fiscale. Je rappelle que le vecteur principal de la diffusion de la transparence fiscale est l’échange automatique, et non l’échange sur demande.
Quant aux avenants signés avec l’Arabie saoudite et l’île Maurice, ils marquent une étape formelle de définition des conditions de la coopération fiscale.
Nous avions eu l’occasion, lors de l’examen du projet de loi visant à ratifier la convention signée avec le Panama, de contrôler la réalité du lien conventionnel qui se nouait. En effet, la ratification demandée intervenait avant l’évaluation du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales de l’OCDE, qui permet généralement de confirmer la capacité normative du pays concerné à échanger des renseignements. En toute logique, nous avions donc en l’occurrence conclu négativement, puisque l’examen concernant Panama n’était pas achevé.
La situation est différente s’agissant de l’île Maurice, puisque le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales a confirmé, certes au terme de deux examens, que ce pays disposait bien d’un cadre juridique suffisant pour coopérer.
Quant à l’Arabie saoudite, il est vrai que le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales ne s’est pas encore prononcé. Cependant, force est de constater que la convention actuelle qui nous lie à cet État ne l’oblige nullement à échanger des renseignements. De surcroît, la ratification de l’avenant n’entraînera pas la radiation de l’Arabie saoudite de la liste des États et territoires non coopératifs puisqu’elle n’y figure pas.
C’est bien là toute la différence entre le refus de ratifier la convention avec le Panama qu’avait exprimé le Sénat et l’autorisation des avenants conclus avec l’île Maurice et l’Arabie saoudite.
La ratification de l’accord avec le Panama devrait emporter prochainement la radiation de ce pays de la liste française et donc la levée des sanctions fiscales, tandis que, en l’espèce, aucune radiation de la liste française n’est en jeu. Au contraire, les présentes ratifications permettent de renforcer les obligations d’assistance fiscale. En revanche, en l’absence de coopération, nous veillerons à ce que ces pays soient inscrits sur notre liste.
Mais, au-delà de ces trois avenants, il faut apprécier l’efficacité de la « politique de négociation sans frontières » menée depuis plus de trois ans.
Tout d’abord, monsieur le ministre, l’opacité des informations disponibles ne permet pas au Parlement d’être suffisamment informé sur le phénomène contre lequel nous luttons.
Nous attendons toujours le « jaune » budgétaire dressant un bilan du contrôle des filiales détenues à l’étranger par les entreprises françaises qui devait accompagner le projet de loi de finances pour 2012. Le Gouvernement devait nous transmettre des éléments tangibles d’évaluation, tels que le nombre de réponses à nos demandes d’assistance.
Monsieur le ministre, je ne me lasse pas de poser cette question : quand disposerons-nous de cette annexe ? Je rappelle que la loi de finances pour 2011, qui l’a créée, précise que le bilan ainsi dressé doit permettre « d’actualiser la liste nationale des territoires non coopératifs ».
Cela m’amène à vous interroger également sur la date de publication de la liste nationale, qui doit être mise à jour annuellement à compter du 1er janvier, ainsi que sur les États qui en seront radiés ou y seront inscrits.
En ces domaines, l’information du Parlement est soit rare, soit tardive, quelquefois les deux à la fois ! Le bilan relatif au réseau conventionnel de la France en matière d’échange de renseignements, dressé dans une autre annexe au projet de loi de finances, ne nous est parvenu que récemment, avec près de quatre mois de retard.
Sur le fond, ce bilan est inquiétant : le taux de réponse aux demandes françaises de renseignements est de 30 %, et la plupart des éléments fournis étaient déjà connus de nos services. Il ne marque aucun progrès et révèle les limites de cette politique conventionnelle.
Pour aller plus loin, il faudrait notamment envisager que les obligations déclaratives des entreprises soient renforcées et que les manquements soient plus fermement condamnés. Je le dis tout particulièrement à l’intention du rapporteur de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, ici présent.
Par ailleurs, il n’est nul besoin de s’évader dans un paradis lointain pour constater que certains de nos voisins continuent d’avoir des pratiques fiscales dommageables. Je l’ai déjà évoqué : la voie la plus efficace vers la suppression de telles stratégies nationales est l’échange automatique d’informations, a fortiori, monsieur le ministre, au sein de l’Union européenne !
La directive « Épargne » de 2003 prévoit un tel mécanisme entre les États membres. Cependant, son champ est trop restreint quant aux personnes et aux produits visés. L’opposition à sa révision du Luxembourg et de l’Autriche, bénéficiaires d’un mécanisme transitoire de retenue à la source en lieu et place de l’échange automatique d’informations, doit être surmontée ; nous attendons que la France rouvre ce chantier.
Le blocage s’appuie sur la conclusion, avec l’Allemagne et le Royaume-Uni, des accords dits « Rubik ». Ces derniers permettent à la Suisse de maintenir le secret bancaire, en contrepartie d’un impôt libératoire prélevé sur les avoirs allemands et anglais détenus dans les banques suisses.
Là encore, le Parlement n’a reçu que très récemment le rapport sur les avantages et inconvénients de ces accords, alors qu’il devait nous être remis avant le 1er décembre dernier.
Ce rapport conclut que la mise en œuvre d’un tel accord « procurerait une rentrée budgétaire aléatoire », estimée à 1 milliard d’euros pour la seule régularisation des avoirs, mais qu’elle « amputerait la capacité de contrôle de [notre] administration ». Un tel accord serait enfin « peu compatible avec nos principes républicains » – en particulier celui du consentement à l’impôt – « et avec nos engagements, tant européens qu’internationaux ».
Il faut donc faire prévaloir le point de vue selon lequel la possibilité de retenue à la source qui est aujourd’hui prévue par la directive « Épargne » a vocation à disparaître. Cette possibilité n’est que transitoire et ne saurait être considérée comme durablement équivalente à l’échange automatique, contrairement à ce qu’affirme le Luxembourg.
L’occasion de réviser la directive se représentera certainement. À court terme, certains facteurs bloquants pourraient être surmontés : d’une part, des interrogations demeurent sur la conformité au droit européen des accords « Rubik », que la Commission européenne examine actuellement de manière approfondie ; d’autre part, la ratification de l’accord « Rubik » concernant l’Allemagne rencontre dans ce pays même des oppositions qui ne manqueront pas de grandir ; enfin, la réglementation américaine dite « FATCA » – Foreign Account tax compliance act –, laquelle prévoit un échange automatique d’informations sur tous les comptes détenus par des contribuables américains dans le monde, sera appliquée dès le 1er janvier 2013.
À ce jour, nous ne connaissons pas l’impact de cette réglementation, dont la mise en œuvre est en marche puisque, eu égard au coût qu’elle engendrera éventuellement pour les groupes bancaires, la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Espagne et les États-Unis ont publié, le 8 février dernier, une déclaration commune sur ce sujet. Ces États sont convenus d’explorer une approche commune pour la mise en œuvre de la réglementation FATCA, ainsi qu’une réciprocité fondée sur les conventions bilatérales existantes.
À cet égard, monsieur le ministre, où en sont les démarches pour permettre la transmission des informations au fisc américain par les autorités administratives plutôt que directement par les établissements ? En quoi consisteraient les adaptations de cette réglementation pour les établissements financiers, les clients ou les produits ? Quels éléments vous permettent de penser que les Américains accepteraient de se soumettre aux règles qu’ils imposent aux établissements financiers non américains, conformément au principe de réciprocité ?
En tout état de cause, la réglementation FATCA peut constituer un vecteur mondial de la diffusion de l’échange automatique d’informations et s’oppose directement à la logique de conservation du secret bancaire des accords « Rubik ». Des mesures favorables à la transparence fiscale peuvent donc nous arriver d’outre-Atlantique : saisissons-nous-en !
J’observe d’ailleurs que si la Suisse envisage de présenter d’ici à septembre des mesures destinées à atténuer son image en matière d’évasion fiscale, elle n’accepte toujours pas le principe de l’échange automatique et continue de promouvoir la conclusion d’accords de type Rubik.
Dans ces rapports de force où des intérêts puissants s’affrontent, il importe que la France joue tout son rôle pour faire prévaloir la cause de la transparence et de l’échange automatique d’informations. « Les paradis fiscaux, c’est fini », avait déclaré le Président de la République. §