… ce type de déclaration hâtive et sans réel fondement n’a rien de surprenant ; nous y sommes désormais habitués…
La définition des paradis fiscaux du Tax justice network s’appuie sur de nombreux paramètres, tels que l’existence de politiques anti-trusts ou la sincérité dont font preuve les États en matière de coopération contre le secret bancaire.
Ainsi, la lutte contre les paradis fiscaux doit faire l’objet d’une politique globale et ne s’arrête pas à la ratification d’une liste de conventions, contrairement à ce qu’a voulu nous faire croire l’actuel Président de la République en faisant adopter des mesures de façade dans le cadre du sommet du G20 de Londres, en 2009.
Ce sommet avait donné lieu à l’établissement par l’OCDE de trois listes, permettant de classer les pays selon leur degré de coopération en matière de lutte contre la fraude fiscale : une liste noire recensait les États qui refusaient de respecter les règles ; une liste grise regroupait les pays qui, sans appliquer les nouvelles règles, promettaient de s’y conformer à l’avenir ; une liste blanche distinguait les États les plus vertueux.
La condition à remplir pour passer de la liste grise à la liste blanche était simple : il suffisait, pour un État, de renégocier les conventions le liant à certains de ses voisins, au moyen d’accords l’engageant à transmettre des renseignements bancaires aux autorités qui le demandent en cas de soupçon d’évasion fiscale.
Quelle audace il a dû falloir à M. Sarkozy et au G20 pour mettre en place un dispositif aussi contraignant ! Il est tellement contraignant qu’il suffit qu’un État signe douze accords de ce type pour sortir de la liste grise… C’est ainsi qu’en septembre 2009 le Gouvernement monégasque avait pu être blanchi par la signature d’accords de transparence fiscale avec douze États, dont l’Andorre, l’Autriche ou les Bahamas –eux-mêmes inscrits sur la liste grise –, mais aussi la France.
Pour ne pas cautionner ce qui s’apparente à un véritable blanchiment des paradis fiscaux, la majorité sénatoriale avait refusé, à la fin de l’année dernière, d’approuver la signature d’un tel accord avec le Panama, par exemple.
La situation est différente pour les avenants qui nous sont soumis aujourd’hui, puisque l’Autriche, l’Arabie saoudite et l’île Maurice ne figurent pas sur la liste française des États non coopératifs et ne peuvent donc pas, en l’état actuel des choses, être soumis à des sanctions spécifiques. Ainsi, nous suivrons les recommandations de la rapporteure générale, en partant du principe que, la signature de ces avenants n’entraînant la radiation d’aucune liste, nous n’avons rien à perdre à approuver l’adoption de ces trois textes.
Concernant le Royaume d’Arabie saoudite, l’adoption d’un tel avenant est d’autant plus utile et légitime que la convention actuelle ne comprend pour l’heure aucune clause d’échange de renseignements.
S’agissant de la convention qui nous lie à la République d’Autriche, l’avenant vise à permettre un échange automatique de renseignements. Un tel mécanisme est censé être garanti par la directive « Épargne » de 2003, mais il ne s’applique pas aux sociétés, ce qui limite considérablement son effet. Cette disposition bilatérale nous apparaît donc comme un pis-aller, dans l’attente de la révision – qui semble de plus en plus compromise – de la directive européenne.
Si nous voterons en faveur de la signature de ces trois avenants, nous ne sommes toutefois pas dupes. Nous savons en effet que, sans garantie quant à l’efficacité des administrations fiscales, de telles dispositions resteront lettre morte.
Ainsi, l’évaluation du cadre juridique mauricien par le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales est globalement satisfaisante, mais de nombreuses améliorations restent à apporter, notamment concernant les renseignements relatifs aux trusts non résidants.
Par ailleurs, l’évaluation du système fiscal saoudien est en cours. C’est seulement quand les résultats seront publiés que nous pourrons porter un jugement mieux fondé sur l’opportunité de la coopération fiscale avec l’Arabie saoudite.
Mes chers collègues, je ne cache pas ma frustration de voter aujourd’hui des demi-mesures de lutte contre l’évasion fiscale, alors que tout reste à faire dans ce domaine.
Il est regrettable de faire reposer la politique de lutte contre le secret bancaire sur un réseau conventionnel d’échange de renseignements dont l’efficacité n’est pas garantie. En effet, Mme la rapporteure générale nous a alertés, à la fin du mois de janvier, sur la médiocrité du bilan de notre réseau conventionnel, le taux de réponse à nos demandes d’informations n’excédant pas 30 %. Nous ne pouvons pas nous contenter de cette politique conventionnelle pour lutter contre l’évasion fiscale.
Outre-Atlantique, le Congrès américain a adopté, en mars 2010, une loi sanctionnant les institutions financières étrangères qui ne faisaient pas preuve de coopération, communément appelée « FATCA ». Dès 2013, cette législation permettra au fisc des États-Unis d’obtenir des informations sur les résidents américains ayant des comptes à l’étranger. Les établissements bancaires qui refuseront de communiquer ces informations se verront taxés à hauteur de 30 % sur l’ensemble de leurs revenus locaux : voilà un véritable acte volontariste contre l’évasion fiscale !
Au sein même de notre administration, nous pouvons également actionner de nombreux leviers. Ainsi, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2012, la majorité sénatoriale avait adopté un amendement visant à ce que l’État prenne en compte, dans le choix des banques avec lesquelles il contracte, la situation de leurs avoirs issus de pays « non coopératifs », ainsi que leur politique de lutte contre le secret bancaire. Par ailleurs, l’amendement tendait à contraindre les banques contractant avec l’État à rendre compte annuellement du détail de leurs avoirs, pays par pays. Mais ce mécanisme de transparence, déjà mis en place par la région d’Île-de-France, a été rejeté par la majorité présidentielle, qui juge sans doute plus opportun de s’attaquer à la fraude sociale et au montant de l’indemnisation des chômeurs, par exemple, qu’aux pratiques d’évasion fiscale des plus riches… §