Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis quelques mois, la crise de la dette souveraine européenne s’accélère vertigineusement et les sommets de la dernière chance, mis en scène avec la dramaturgie qui s’impose, se succèdent.
C’est dans ce contexte agité que nous sommes appelés à nous prononcer aujourd'hui sur deux textes ayant de très lourdes implications non seulement pour nos finances publiques, mais aussi pour le devenir du projet européen.
J’évoquerai tout d’abord le recours à la procédure accélérée. Depuis le mois d’octobre, mes chers collègues, le Gouvernement l’a engagée pour pas moins de dix-neuf textes ! Et dire que la révision constitutionnelle de 2008 était censée revaloriser les droits du Parlement et améliorer les conditions du travail législatif…
En fait, il ne s’agit que de la dernière étape d’un processus qui a conduit à un évitement presque systématique du Parlement sur un sujet central et fondamental, celui de la gouvernance de la zone euro.
Nous sommes aujourd’hui devant un véritable « millefeuille » législatif, avec le pacte de stabilité et de croissance, les textes relatifs à la gouvernance économique et les traités signés en février, qui tous portent sur les mêmes sujets, sans que leurs dispositions ni leurs calendriers soient identiques.
La situation institutionnelle n’est pas non plus très claire : les parlements ont un droit de regard sur le droit communautaire dérivé, mais aucun sur la négociation des traités. Ainsi, le Parlement français n’a été ni informé ni consulté au cours du processus de négociation.
Dans la gouvernance future de la zone euro, qui peut dire aujourd’hui précisément quelle sera la place des parlements nationaux ?
Or quel est l’enjeu ? Il n’est pas technique, il est éminemment politique. Il s’agit de rien de moins que d’engager, à l’échelle européenne, une autre politique économique, non plus essentiellement fiscale et budgétaire, comme aujourd’hui, mais une politique d’investissement, de croissance et d’emploi, pour permettre à l’Europe de sortir de la crise. Mes chers collègues, cette question engage l’avenir et sa réponse devrait découler d’un grand choix de société, publiquement débattu et démocratiquement assumé.
Mais venons-en plus précisément aux deux textes qui nous occupent aujourd’hui. Mme la rapporteure générale a fort bien décrit leur objet : ils portent sur l’établissement d’une structure pérenne de réponse aux crises, une sorte de fonds monétaire européen destiné à remplacer le mécanisme provisoire du Fonds européen de stabilité financière. Ces deux textes ne sont en réalité que les deux premiers actes d’une séquence en trois temps, dont le dernier, encore à venir, soulève bien des questions.
Le premier acte, ce fut la révision de l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, décidée par le Conseil européen de mars 2011. Cette révision « simplifiée », dictée par l’urgence, n’en a pas moins conduit, de fait, à l’absence de convocation d’une convention où auraient siégé des parlementaires, ce qui est la procédure de révision « normale ».
Le deuxième acte, c’est la signature par les pays de la zone euro du traité établissant le Mécanisme européen de stabilité.
Le MES sera une instance de coopération intergouvernementale autonome de l’Union européenne, qui viendra en aide aux États de la zone euro en difficulté. Cette nouvelle institution financière internationale siégera à Luxembourg et disposera d’une capacité initiale de prêt de 500 milliards d’euros. La contribution de la France sera de 16, 3 milliards d’euros, étalés sur cinq ans. Notre pays sera le deuxième contributeur après l’Allemagne, dont la participation sera supérieure à 20 milliards d’euros.
Bien sûr, nous ne demandons qu’à croire le Gouvernement – je le dis en souriant, monsieur le ministre ! –lorsqu’il nous affirme que c’est le bon remède à la crise.
Je m’interroge tout de même, je l’avoue, sur la capacité de résistance du MES si un « gros » pays de la zone euro venait, un jour que je souhaite ne jamais voir arriver, à faire défaut. Le fait que la BCE ait injecté en quelques jours 489 milliards d’euros de prêts aux banques – soit la capacité d’intervention prévue du MES ! – n’est-il pas la véritable explication de la détente récemment constatée sur les marchés ? §
Mais c’est naturellement, mes chers collègues, sur le dernier volet du triptyque que nous devons porter nos regards, même si nous n’en sommes pas formellement saisis aujourd’hui : je veux parler du traité à vingt-cinq sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, le TSCG.
Ce traité, monsieur le ministre, validé en marge du Conseil européen du 30 janvier dernier et qui doit être signé incessamment, nous est présenté comme la réponse juridique et politique à la crise de la dette souveraine au sein de la zone euro. En réalité, convenez-en, il s’agit d’un texte négocié en quelques semaines, en dehors de la méthode communautaire et sous la pression des partisans de la stricte orthodoxie budgétaire, qui ont obtenu, en échange de la solidarité financière avec les États en difficulté de la zone euro, le renforcement des mécanismes nationaux et supranationaux de contrôle des États signataires.
Ce traité consacre une doctrine « budgétariste » si stricte qu’elle étoufferait à coup sûr tout début de reprise économique. Son article 3 prévoit que « les budgets des administrations publiques seront à l’équilibre ou en excédent ». En cas de dérapage, « le mécanisme de correction sera déclenché automatiquement ». Je ne reviens pas sur le contrôle juridictionnel prévu pour vérifier le respect des engagements des États ; il a déjà fait couler beaucoup d’encre…
Ce traité pose aussi problème sur le plan du contrôle démocratique. Le Parlement européen n’est pas compétent s’agissant des politiques budgétaires, qui relèvent du domaine national. Certes, l’article 13 du projet de TSCG prévoit bien une conférence des représentants des commissions compétentes des parlements nationaux, afin de discuter des politiques budgétaires et des autres questions couvertes par ce traité. Mais en dehors de la possibilité de débattre, quels seront les pouvoirs de cette conférence sur les décisions intergouvernementales ou nationales ? Très concrètement, comment pourra-t-on justifier demain, aux yeux de nos concitoyens, des sacrifices dont ils n’auront pas débattu démocratiquement et qu’ils n’auront pas volontairement consentis ? C’est là un point très important.
Mes chers collègues, le projet européen ne saurait se définir en dehors des peuples, non plus qu’à l’aune du seul impératif de rigueur budgétaire ! La solution à la crise de l’Europe se trouve ailleurs, notamment dans des mesures en faveur de la croissance et de l’emploi. Au lieu de cela, le futur traité préempte les grands choix démocratiques que vont bientôt être amenés à faire les Français et entraîne l’Europe dans l’austérité généralisée.
Permettez-moi, pour conclure, de tenter de replacer nos débats dans une perspective plus géostratégique, en considérant les effets de la crise des dettes souveraines sur l’Europe et sa place dans le monde.
Aujourd’hui, nous avons besoin de plus d’Europe, ainsi que d’un projet économique et politique partagé qui, seul, nous permettra de peser sur les évolutions du monde. Il ne faudrait pas que l’Europe se délite et qu’elle éclate finalement par cercles concentriques successifs. Nous savons bien qu’il peut exister des rythmes différents, mais nous devons être attentifs à notre cohésion. Quelle articulation trouver entre les différents niveaux : l’Europe à vingt-sept, la zone euro à dix-sept, les signataires du nouveau traité, qui sont aujourd'hui vingt-cinq mais seront sans doute moins nombreux à l’arrivée ?
Plus globalement, le fait majeur de ce début du XXIe siècle est la fin du monopole occidental de la richesse et de la puissance. Le centre de gravité de la planète se déplace, lentement mais inéluctablement, vers l’Asie. Si nous n’arrivons pas à la résoudre, la crise européenne ne fera qu’accélérer le grand mouvement de rééquilibrage avec les pays émergents. La vraie question qui se pose est la suivante : quelle politique l’Europe entend-elle mener pour faire en sorte que ce rééquilibrage ne signe pas notre déclin ?
L’Union européenne reste encore aujourd’hui le deuxième moteur de l’économie mondiale, elle dispose d’atouts immenses. Mais, à l’heure de la mondialisation et de la montée en puissance des pays émergents, que sera demain la France sans une Europe forte, rassemblée, unie autour d’un projet économique et politique, pleinement consciente de son rôle dans le monde ?
En ce qui concerne l’euro, nous sommes passés tout près du naufrage et nous avons apporté un début de réponse.