La situation de la Grèce est évidemment très inquiétante. La totalité de l’argent prêté à ce pays devrait aider à relancer l’économie, or il sert très prioritairement à rembourser les différents prêteurs. Il eût été préférable d’admettre son insolvabilité et d’accepter de réduire sa dette dès le début, en 2010. Cela aurait permis de réaliser une opération de sauvetage très sensiblement moins coûteuse.
L’accord du 21 février prévoit à ce stade un retour de la dette publique grecque à 120, 5 % du PIB en 2020, mais le détail de sa mise en œuvre n’est pas encore précisé, monsieur le ministre. À cet égard, je comprendrais que l’on soit un peu comme saint Thomas, si vous me permettez une telle analogie ! §
À cela s’ajoute un grave problème de rupture du lien démocratique : rupture entre le peuple grec et ses élites – les députés grecs, me dit-on, doivent se déplacer sous la protection de gardes de sécurité – et rupture de la Grèce avec l’Europe, c'est-à-dire rupture psychologique de l’un des États fondateurs avec l’ensemble de l’Union européenne.
Mes chers collègues, il n’y a pas, me semble-t-il, d’autre scénario de sortie de crise que celui d’une réduction drastique de la dette publique. L’accord du 21 février oriente vers cette solution ; nous verrons bien s’il s’agit du dernier épisode de l’histoire.
Mais il est un élément qu’il faut bien noter : que ce soit ou non le dernier épisode, le cas de la Grèce est différent de celui des autres pays. Il faut absolument combattre l’idée fausse du « château de cartes » et de la « contagion ».
L’Irlande est dans une situation très particulière, dont elle est totalement responsable, du fait de la gestion aventureuse de ses propres banques, dont le capital était entièrement contrôlé par les milieux économiques dirigeants du pays.
Il n’y a aucune raison qu’un défaut de la Grèce entraîne celui des autres États, y compris du plus fragile d’entre eux en apparence, à savoir le Portugal. Ce pays devrait afficher un déficit de 4, 5 % du PIB pour 2011 : c’est mieux que l’objectif initial, qui était de 5, 9 %. Sa dette publique est, selon l’OCDE, légèrement supérieure à 100 % du PIB, celle de l’Italie étant au-dessus de ce seuil. Le seul véritable point noir est le commerce extérieur, mais c’est malheureusement également le cas pour un certain nombre d’autres États de la zone euro.
Nous sommes là confrontés à l’une des conséquences potentiellement dramatiques de l’instauration de la monnaie unique. L’impossibilité de dévaluer les monnaies nationales a conduit des pays comme le Portugal et l’Espagne, dont les finances publiques étaient saines – elles n’étaient ni plus ni moins dégradées que celles de la France –, à subir des déficits extérieurs courants de l’ordre de dix points de PIB. Et c’est cette panne de modèle économique qui explique le désastre, en tout cas les difficultés et les problèmes de liquidité rencontrés par ces pays, qui peuvent sans doute retrouver un chemin de compétitivité.
On nous propose un système comportant trois piliers.
Étonnamment, le premier pilier est la Banque centrale européenne. La BCE est parvenue, grâce à une solution innovante, à savoir le programme de refinancement bancaire à trois ans, à ramener le calme sur les marchés. Elle l’a fait en toute indépendance. Cette intervention a été cruciale ; elle a permis de rassurer les marchés sur le fait que le système bancaire n’allait pas exploser par manque de liquidités en 2012. Je rappelle qu’il y avait 600 milliards d’euros de dette bancaire arrivant à maturité en 2012. La Banque centrale européenne a offert la possibilité aux banques de revenir sur le marché des dettes souveraines.
Ainsi, quoi qu’il y paraisse et quoi que l’on dise, le premier pilier, c’est la Banque centrale européenne, dans le respect de son indépendance.
Le deuxième pilier, mes chers collègues, ce sont les États eux-mêmes. Il ne faut pas les oublier et nous ne devons pas éluder nos responsabilités. Même si la facilité de refinancement de la Banque centrale européenne a constitué un choc, qui a rassuré les investisseurs sur la viabilité et la pérennité de l’union monétaire, il n’en reste pas moins que les États doivent réduire leurs déficits publics. « Six pack » ou non, traité ou non, il y va de l’indépendance nationale à l’égard de nos créanciers ; c’est une simple question de bon sens.
Dans ce pays, l’on agit difficilement à froid, et il faut être poussé par les événements pour prendre certaines décisions. Pourtant, monsieur le ministre, vox clamans in deserto, la commission des finances du Sénat demande depuis de longues années que l’on procède aux changements qui s’imposent avant qu’un système européen et une législation européenne ne nous contraignent à le faire.