Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devons nous prononcer cet après-midi sur deux projets de loi comprenant chacun un article : le premier vise à ratifier la modification du traité de Lisbonne afin d’instaurer un mécanisme de solidarité entre les États membres de la zone euro ; le second tend à ratifier le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité, adopté par les États membres de la zone euro le 2 février dernier.
Ainsi, après plus de trois ans de crise, il était temps que lesdits États prennent la mesure de la gravité de la situation en pérennisant un mécanisme de soutien de nature à intervenir rapidement et disposant d’un caractère dissuasif face à la spéculation. Toutefois, au regard du temps mis pour proposer ce texte, sa conception reste imparfaite. De plus, l’expérience du Fonds européen de stabilité financière, et de la politique que celui-ci impose à la Grèce, oblige aujourd’hui à beaucoup de prudence sur l’usage des nouvelles contributions demandées in fine aux citoyens européens, au travers des levées de fonds pour le MES.
La mise en place d’un mécanisme de solidarité impose nécessairement des outils de convergence budgétaire et de surveillance de la discipline budgétaire, car il n’y a pas de solidarité sans responsabilité. Cependant, nous n’avons pas, à cette heure, tous les éléments nous permettant de donner un avis circonstancié sur les conditions dans lesquelles le MES pourrait être amené à intervenir. En effet, il est indiqué, dans le considérant 5 : « Il est reconnu et convenu que l’octroi d’une assistance financière dans le cadre des nouveaux programmes en vertu du MES sera conditionné, à partir du 1er mars 2013, à la ratification du TSCG ».
Pourtant, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire ne fait pas partie des textes qui nous sont aujourd’hui présentés pour être ratifiés. Il doit en effet être signé au Conseil européen des 1er et 2 mars prochains. Ce TSCG, dont les termes sont déjà connus, est inadapté à la situation, car s’il parle légitimement de rigueur budgétaire, il n’évoque en rien la nécessaire politique de soutien de l’économie réelle, d’aide à l’emploi, à la préservation de l’appareil productif et des services publics.
Bref, le TSCG, tel qu’il est négocié, promet à tout pays en difficulté que l’application éventuelle du MES se fera à des conditions identiques à celles que subit actuellement la Grèce. Or nous ne le voulons pas, car cette politique est un échec pour tous. Rappelons que, malgré des plans d’austérité consécutifs, l’endettement de la Grèce est passé de 120 % à 170 % de son PIB en moins de trois ans, par la conjugaison d’engagements à des taux d’intérêt surévalués et de la contraction du PIB du pays.
L’aide accordée ne va pas au soutien de l’économie réelle, aux PME-PMI, au remboursement par l’État grec des entreprises lui ayant fait crédit, mais d’abord au remboursement d’obligations souscrites à des taux parfois usuraires.
Force est de constater que s’il n’existe pas de lien juridique entre la ratification du TSCG et le fonctionnement du MES, le rapport de force actuel entre les États membres de la zone euro est tel que, d’un point de vue pratique, la réalité est tout autre.
Voter aujourd’hui le MES, c’est accepter qu’il ne fonctionne qu’adossé à un traité visant à constitutionnaliser la « règle d’or » de la rigueur budgétaire et à renforcer les modalités de contrôle - la tutelle, diront certains - sur les États en difficulté. À nul moment n’est prévue une discussion sur les conditions à remplir pour ramener la croissance et donc la capacité de remboursement de ces États.
Le traité instituant le MES entre les États membres de la zone euro, signé à Bruxelles le 2 février dernier, aurait pu être une avancée décisive dans la construction européenne. Pourtant, ce n’est qu’un leurre. Il sera dirigé par un conseil des gouverneurs, composé des ministres des finances des États de la zone euro. Comment croire, dans ces conditions, que l’intérêt général primera sur l’intérêt national ?
On nous répondra que les situations d’urgence n’auront pas besoin de l’unanimité, que 85 % des droits de vote suffiront pour engager un financement sans tarder. Il s’agit encore d’un leurre, car les seuls États possédant un veto permettant d’empêcher d’atteindre ces 85 % des droits de vote sont l’Italie, avec un peu moins de 18 %, la France, avec un peu plus de 20 %, et l’Allemagne, avec un peu plus de 27 %. Or, parmi ces trois États, quels sont ceux qui peuvent très rapidement être amenés à recourir au MES ? Parmi ces trois États, qui peut avoir intérêt à bloquer l’utilisation du MES ?
On voit bien que, sous prétexte d’une solidarité entre les États membres de la zone euro, on cherche à nous faire accepter des principes de gestion correspondant non pas à la diversité des situations nationales, mais bien à des principes de gestion d’un seul État, l’Allemagne, dont le modèle économique n’est pas exempt de tout reproche et dont le gouvernement fédéral ne parvient même pas, d’ailleurs, à imposer à ses propres Länder ce qu’il veut aujourd’hui imposer à l’ensemble de l’Europe.
Une solution pour éviter une situation potentielle de chantage aurait été d’adopter un conseil de gouverneurs avec un mode de gouvernance et de fonctionnement comparable à celui de la BCE. Une discussion, en amont de ce traité, avec le Parlement européen aurait très certainement ouvert le champ à l’adoption d’une telle variante. Mais était-ce souhaité par les gouvernements ?
Mes chers collègues, notre discussion d’aujourd’hui touche à deux aspects de l’Union monétaire, qui sont, depuis le début, très discutés et très critiqués.
Le premier est l’absence de gouvernement politique dans la zone euro. Or ce n’est pas le TSCG qui répond à ces enjeux. Il fait juste semblant d’y répondre en aggravant l’absence de pilotage politique de la zone euro : d’une part, il n’aborde pas la question centrale d’un contrôle démocratique des processus de décisions au sein de la zone ; d’autre part, il pose comme postulat que l’austérité est la seule bonne politique possible.
Le second aspect concerne l’indépendance de la BCE. À nos yeux, il ne peut y avoir d’indépendance dans l’irresponsabilité. Est-il logique, aujourd’hui, que la BCE ne soit pas totalement et pleinement responsable de la supervision bancaire dans toute la zone euro et qu’elle ne puisse pas elle-même juger de la valeur des engagements de chacune des banques de la zone euro ?
Pourquoi cette irresponsabilité conduit-elle aujourd’hui les gouvernements européens à proposer un mécanisme de solidarité spécifique, dont les moyens seront limités face aux besoins potentiels ? En effet, nous discutons aujourd’hui d’une somme de 500 milliards d’euros, alors que pour être vraiment dissuasif face aux besoins d’un pays de taille importante devant faire face à des difficultés, il faudrait plutôt pouvoir lever aux environs de 1 000 milliards d’euros.
Par ailleurs, pour faire face à cette impasse financière, le MES, d’une part, acceptera des cofinancements d’États tiers - on pense à la Chine - et, d’autre part, recherchera des partenariats avec la FMI. Est-ce cohérent ? Est-ce légitime ? Est-ce en accord avec les valeurs intrinsèques de la construction européenne ?
Voilà pourquoi il convient d’exprimer des réserves face au MES, tel qu’il nous est proposé aujourd’hui. En effet, il est révélateur d’un projet européen en panne, avec des gouvernements qui agissent « à la petite semaine », dans la précipitation et sans vision globale.
Toutefois, le MES, même imparfait, constitue un outil pour répondre aux spéculations sur les dettes souveraines, lesquelles sont, dans le cas de la France, le symbole de l’échec de la politique économique et sociale menée depuis 2007 et menacent notre pays à très court terme.
La construction européenne est une démarche de patience et de compromis. Tel qu’il est présenté, le MES n’est pas la panacée, mais il constitue un compromis acceptable, compte tenu des positions traditionnelles des pays de la zone euro et de la crédibilité actuelle du gouvernement français. Alors que le tsunami menace, nous nous résolvons aujourd’hui à la mise en place d’un outil loin d’être idéal mais qui a l’avantage de répondre à un besoin urgent de la zone euro. Cependant, à nos yeux, il ne peut être lié à un TSCG inacceptable. Par notre abstention, nous nous engageons auprès des Français à demander à nos partenaires, dès le mois de mai, de négocier un nouveau traité non pas de seule convergence budgétaire, mais de convergence budgétaire et de croissance.
L’exemple grec ne suffit-il pas à démontrer à tous qu’il convient de mener une autre politique de soutien à un pays en grande difficulté financière ? À quoi cela sert-il de parler de convergence budgétaire sans convergence fiscale ? Pourquoi les citoyens et les entreprises seraient-ils mis à contribution différemment dans l’effort commun, selon leur pays de résidence ?
À l’occasion de ce futur traité, il conviendra d’évaluer les effets pervers des politiques de cohésion menées envers certains pays, qui ont conduit à de trop gros endettements des États nationaux et des collectivités territoriales pour pouvoir cofinancer des projets éligibles aux fonds de cohésion.
Nous parlons de marchés financiers, de déséquilibres budgétaires, mais l’idée européenne se réduit-elle à ces seules considérations financières ? L’Union européenne a toujours eu un moteur – construire la paix sur notre continent - et une valeur essentielle, la démocratie.
Les orientations que l’on doit prendre pour sortir de la crise actuelle sont essentielles pour l’avenir de l’Union. Si elles devaient renier cette valeur démocratique, cette capacité des peuples à choisir leur avenir, leur destin ensemble, elles seraient dangereuses pour l’avenir de l’Union européenne et pour notre démocratie. Comment aujourd’hui justifier que 99 % du temps consacré à l’Europe est passé sur les affaires budgétaires, lorsque la liberté de la presse est menacée en Hongrie ?
Europe, as-tu perdu tes valeurs ? Qu’en as-tu fait ? Pensez-vous que nous pourrons encore aller bien loin sans faire le constat que la seule voie possible pour les mutualisations de politiques qui s’imposent passe par un contrôle démocratique renforcé sur les politiques et les orientations communautaires ? Une dose de fédéralisme - osons le mot ! - pour définir des orientations budgétaires et fiscales est indispensable.
Comment voulez-vous continuer à défendre l’idée européenne lorsque, dans un peu moins de la moitié des pays européens, entre un quart et la moitié de la jeunesse est sans emploi ? Ne convient-il pas de faire de l’Europe d’abord un espace où l’on répond aux préoccupations des citoyens, plutôt que d’imposer des politiques qui aggravent leur situation ?
Ayons le courage de voir que la crise actuelle oblige à se poser la question d’outils de contrôle démocratique nouveaux, qui ne sont en rien évoqués par les Conseils européens. C’est normal, me direz-vous : les droites actuelles se sont arc-boutées sur leurs frontières nationales pour éviter de réelles avancées dans la construction européenne. Il est bien loin le temps des conférences intergouvernementales où étaient placés sur un pied d’égalité les États, le Parlement européen et l’opinion publique européenne. Mais que peut-on attendre d’une famille politique où se côtoient Mme Merkel et MM. Berlusconi, Orbán et Sarkozy ?
Constatons que les sujets au cœur la crise européenne actuelle sont non pas le fruit des derniers élargissements, mais plutôt celui de l’impérative nécessité d’accepter un contrôle démocratique à l’échelon européen sur l’ensemble des politiques communes auquel les gouvernements nationaux ne veulent se résoudre. Cela imposerait un rôle accru du Parlement européen. Or rien de tout cela n’est prévu !
Constatons également que ce n’est pas grâce à un axe exclusivement franco-allemand, lequel représente un peu moins de 30 % des citoyens et un peu plus de 30 % du PIB européen, que nous résoudrons la crise. « L’Europe de papa » est morte ! Aujourd’hui, l’Union se construit à vingt-sept et même à vingt-huit, et c’est tous ensemble qu’il convient de se mobiliser pour trouver des solutions.
Ne cédons pas non plus à la facilité en voulant tout traiter dans la zone euro, alors que nos règles sont communes et sont valables dans l’ensemble de l’Union européenne. C’est une question de lisibilité vis-à-vis des citoyens européens et, plus largement, du monde.
J’exhorte ceux qui doutent de la pertinence de ces orientations, car ils constatent que l’Europe ne permet pas aujourd’hui de mener la politique qu’ils souhaitent, à se mobiliser pour une Europe démocratique et sociale, à accepter le combat politique dans l’espace aujourd’hui pertinent pour changer notre cadre économique et social. Ce combat, il nous faudra le mener tous ensemble pour un nouveau traité de convergence budgétaire, fiscale et de croissance, en lieu et place du TSCG.
Mais ne dispersons pas nos forces, ne nous trompons pas d’ennemis. La renégociation du TSCG pour en faire un outil de croissance économique doit être notre priorité. Elle est indispensable et doit être au cœur de notre projet européen. Néanmoins, combattre le MES seulement en nous appuyant sur les imperfections que j’ai soulignées serait improductif. Soyons-en conscients : sans capacité d’intervention, l’Europe sera plus que jamais livrée aux forces de l’argent, aux oligarchies, et cela ne fera qu’aggraver la détresse de ses citoyens.
Monsieur le ministre, nous aurions pu voter ces deux projets de loi si nous avions eu des réponses aux trois questions suivantes : quels outils la gouvernance de la zone euro se donne-t-elle pour relancer la croissance et, de la sorte, rendre supportables les politiques de rigueur qu’implique le recours au MES ? Quelles réformes faut-il préparer pour faire du MES un outil à la disposition de la BCE et au service des Européens ? Enfin, comment assurer un contrôle démocratique sur les orientations budgétaires qui seront imposées par le TSCG ?