Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 28 février 2012 à 14h30
Mécanisme de stabilité pour les états de la zone euro. - mécanisme européen de stabilité — Exception d'irrecevabilité

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Les capitalistes européens n’ont pas plongé la Grèce dans l’austérité, mais dans une crise de civilisation, dans une nouvelle barbarie – libérale, cette fois-ci.

« Nous ne voulons pas laisser tomber la Grèce »… Mais qui est responsable de la crise qui sévit partout en Europe ? Non pas seulement en Grèce, mais dans l’ensemble des pays d’Europe, y compris en Allemagne, n’en déplaise à ceux, comme M. Sarkozy, qui l’idolâtrent aujourd’hui. Ce sont ceux qui ont instauré une Europe dont l’objectif de domination était l’optimisation des capitaux.

L’Europe libérale n’est pas un mythe. Le désastre grec et celui qui menace au Portugal, en Espagne et en Italie démontrent qu’en laissant la voie libre aux spéculateurs – dois-je vous rappeler les dogmes maastrichtiens de la libre circulation des capitaux et de la concurrence libre et non faussée ? –, on a fait le malheur des peuples et, bien entendu, celui des plus défavorisés.

Cela fait bien longtemps que les partisans de cette Europe ont laissé tomber les peuples, les Grecs comme les autres. Aujourd’hui, ils entendent utiliser ces malheurs pour justifier un nouveau recul démocratique, qui, n’en déplaise à M. Fillon, constitue la suite logique du traité de Maastricht qui a érigé la finance en vertu cardinale de la construction européenne.

La mondialisation financière porte des coups terribles aux principes démocratiques. Qui décide ? Qui détient vraiment le pouvoir ? Tout porte à croire que l’oligarchie financière qui est à la tête des 147 multinationales dirigeant l’économie mondiale tombe les masques. Jusqu’à présent, elle se contentait de tirer les ficelles par l’intermédiaire de grandes institutions internationales comme le FMI ; maintenant, elle place ses hommes aux commandes politiques.

Comment ne pas souligner le rôle des fossoyeurs de la Grèce, ces banques sans frontières comme Goldman Sachs, qui, avec la complicité des forces politiques au pouvoir, ont manipulé le pays et l’ont conseillé officiellement pour falsifier ses comptes publics ? On sait, par exemple, que Goldman Sachs a inscrit dans le bilan comptable de la Grèce des recettes à venir, afin de faire baisser le poids de la dette dans le PIB. On sait aussi que Goldman Sachs, conseil du gouvernement, a encouragé la spéculation en conseillant à ses clients des crédits de défaut sur la dette grecque, favorisant ainsi la hausse des taux d’intérêt.

Là où le bât blesse, c’est que M. Papademos, Premier ministre grec, M. Draghi, président de la BCE, et même M. Monti, chef du gouvernement italien, sont d’anciens responsables de Goldman Sachs. M. Draghi a même présidé la branche européenne de Goldman Sachs entre 2002 et 2005, au moment où la politique sournoise de cette banque à l’égard de la Grèce était mise en place. L’adage a rarement été si bien fondé : ce sont les pyromanes qui crient au feu !

Ce rappel n’est pas anecdotique : il doit susciter une grande vigilance à l’égard de décisions prises par des personnes qui ont mené une politique dévastatrice en Europe. Cette vigilance doit être d’autant plus grande que Mme Merkel et M. Sarkozy tentent aujourd’hui de donner les pleins pouvoirs à ces financiers sans scrupule qui n’ont que faire de l’intérêt général.

En Grèce, 350 milliards d’euros ont déjà été investis, dont 237 milliards d’euros aux termes du dernier accord. Posons-nous donc quelques questions : pourquoi cela ne marche-t-il pas ? Le peuple grec serait-il inférieur ? La réponse est simple : ces sommes ne sont pas investies dans le développement social, mais réinjectées directement ou indirectement dans le circuit spéculatif. C’est ainsi qu’une partie des 130 milliards d’euros versés directement par le MES sera versée aux banques fraîchement nationalisées, mais dont le destin est d’être rapidement rendues aux intérêts privés, une fois renflouées.

Les puissances d’argent, face à la colère légitime des peuples, ont décidé une fuite en avant : face à la crise qu’elles ont elles-mêmes provoquée, elles ont décidé d’enfoncer le clou.

Le ministre des affaires étrangères allemand l’a dit lui-même : les pays qui doivent être placés sous la protection des fonds de secours de la zone euro « doivent aussi être prêts à renoncer à certains pans de leur souveraineté, notamment pour que l'on puisse intervenir dans leurs budgets ».

Mes chers collègues, ces propos font écho à ceux du président du Conseil européen, qui, le 30 novembre 2011, a évoqué des « sacrifices de souveraineté » ; ils font aussi écho à ceux de M. Sarkozy lui-même, qui a exigé une « marche forcée » pour adopter et ratifier le traité instituant le MES.

J’observe d’ailleurs que nous examinons ces deux traités lourds de conséquences en procédure accélérée et que la France serait le premier pays à les ratifier. Cette précipitation n’est pas acceptable, alors que la souveraineté budgétaire de notre pays est en cause ! En effet, il faudra avoir accepté le traité européen qui sera signé le 1er mars pour pouvoir éventuellement bénéficier de fonds versés par le MES. Or je rappelle que ce traité fait fi du pouvoir budgétaire des gouvernements et des parlements nationaux en instaurant une règle d’or européenne.

Cette méthode a déjà fait la preuve de son inefficacité. C’est la croissance qui sauvera les économies européennes, certainement pas les montages financiers issus de cet ensemble de traités, liés étroitement les uns aux autres de manière machiavélique, qui s’attaquent frontalement à la souveraineté nationale et populaire en réduisant à néant la souveraineté budgétaire. Pour ces raisons, les traités dont nous débattons cet après-midi, en particulier le traité instituant le MES, sont manifestement contraires à notre Constitution.

À ce propos, dois-je vous rappeler que, le 14 juin 2011, nous avons débattu d’un projet de loi constitutionnelle tendant à introduire dans notre Constitution une règle d’or nationale ? Les choses étaient claires : pour entériner la soumission de nos politiques budgétaires aux choix européens, il fallait modifier la Constitution.

Le débat était identique, et mon amie Nicole Borvo Cohen-Seat, présidente de mon groupe, avait dénoncé la mise en place d’une « camisole financière européenne ».

Nous savons que ce projet de loi constitutionnelle n’a pas pu aboutir, au grand dam de Nicolas Sarkozy. Ce n’est pas étonnant, puisque des critiques venaient de son propre camp. Ainsi, M. Hyest, rapporteur du projet de loi constitutionnelle, avait reconnu dans son rapport que le Gouvernement et le Parlement abandonnaient « une part de leur liberté », soulignant que cela entraînerait « de graves inconvénients pour la cohérence des travaux parlementaires et le droit d’initiative des députés et sénateurs ».

Pourquoi ces critiques, provenant de l’UMP elle-même, ne seraient-elles plus valables aujourd’hui, alors que la Constitution est tout autant bafouée par le traité modifiant l’article 136 du TFUE et par celui qui tend à instituer le MES ? Pourquoi d’ailleurs les parlementaires socialistes qui avaient alors voté contre accepteraient-ils un abandon de souveraineté décidé directement par les autorités de Bruxelles ?

Faut-il le rappeler, l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 fonde la souveraineté budgétaire ? En voici les termes : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »

Je suis surprise, voire atterrée, d’entendre parfois des remarques cyniques sur l’ancienneté d’une telle disposition, fondatrice de notre République.

Pour justifier l’injustifiable, certains sont prêts à fouler aux pieds les éléments clés de la démocratie. Ils ignorent sans doute que le Conseil constitutionnel établit de manière constante sa jurisprudence en la matière sur l’article XIV précité. Il a par exemple précisé dans sa décision du 25 juillet 2001 que « l’examen des lois de finances constitue un cadre privilégié pour la mise en œuvre du droit garanti par […] la Déclaration » de 1789. Il a réaffirmé à cette occasion les principes d’annualité, d’irréversibilité et d’unité du budget.

Les articles 5 et 13 du traité relatif au MES ne sont donc pas conformes à la Constitution de notre pays.

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