Intervention de Daniel Raoul

Réunion du 28 février 2012 à 21h30
Débat préalable au conseil européen des 1er et 2 mars 2012

Photo de Daniel RaoulDaniel Raoul, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la veille de ce Conseil européen, je souhaiterais revenir sur un certain nombre de points qui y seront abordés. J’insisterai notamment sur les mesures qui auraient dû être prises en compte dans le cadre d’un volet dédié à la croissance, qui, en l’occurrence, a été largement sous-dimensionné.

En effet, mes chers collègues, en la matière, le compte n’y est pas ! Promouvoir la croissance et la compétitivité ne peut se résumer à une dérégulation mortifère, qui fait que nos marchés sont largement préemptés par nos concurrents hors d’Europe.

La croissance et la compétitivité ne peuvent pas plus se concevoir au travers d’une multiplication de plans d’austérité. Plusieurs rapports et plusieurs avis d’experts vont dans ce sens. Juger les États membres de l’Union européenne au trébuchet de la seule austérité sape la croissance et accroît les inégalités. La traduction politique en sera la montée des populismes et des extrêmes, auxquels succéderont les replis nationaux.

La réponse ne peut pas non plus passer seulement par des plans de relance nationaux. On le sait, dans un monde parcouru de problématiques globales et d’acteurs économiques d’envergure continentale, sinon planétaire, cet échelon manque aujourd’hui de pertinence. Sans qu’il soit nécessaire d’évoquer le cas d’Arcelor-Mittal, les acteurs auxquels je fais allusion sont évidents pour chacun d’entre vous.

Les réponses visant à compléter le volet dédié à la croissance sont connues. Il faut avoir le courage de les mettre en œuvre si nous souhaitons sortir par le haut de cette situation et ne pas assécher les finances des États membres de l’Union européenne par d’incessantes politiques d’austérité.

Je m’attarderai sur quatre de ces réponses possibles.

Tout d’abord, il semble nécessaire d’inscrire des objectifs économiques et sociaux au cœur du processus de décision politique, et donc dans le traité, au même titre que les objectifs de stabilité budgétaire et monétaire.

Ensuite, la Banque centrale européenne doit pouvoir avoir le droit d’acheter des obligations d’État quand la monnaie est attaquée.

En outre, le budget européen doit être revu à la hausse pour financer l’innovation, la recherche, le développement durable et les mesures visant à lutter contre le changement climatique. Cela signifie que l’Union européenne doit trouver de nouvelles ressources propres, qui peuvent reposer, éventuellement, sur des taxes sur l’énergie ou sur les transactions financières.

Enfin, on pourrait imaginer que les investissements européens soient financés par des project bonds. Des emprunts obligataires seraient ainsi émis par l’Union européenne et garantis par la BCE.

Accomplir cela, c’est permettre à l’Union européenne de renouer avec une croissance durable. Accomplir cela, c’est s’autoriser à relever les cinq défis posés par la stratégie Europe 2020, dont celui du changement climatique et de l’économie décarbonée.

Le conseil Energie, dans une première session formelle, traitera de la question des infrastructures et de l’efficacité énergétique. Il sera question de l’élaboration d’une réglementation visant à encourager l’investissement dans les infrastructures énergétiques transeuropéennes. Les interconnexions dans le domaine de l’énergie, des transports et des télécommunications, couvertes par le mécanisme pour l’interconnexion en Europe, ou MIE, sont nécessaires mais notoirement insuffisantes.

Pardonnez-moi de jouer les Cassandre, mais si nous nous obstinons à ne pas nous doter d’une véritable politique européenne dans le domaine énergétique, nous n’atteindrons jamais ces objectifs.

Pourtant, contrairement à une idée préconçue, il est possible et souhaitable d’articuler les solutions visant à juguler les crises économiques et financières et celles répondant au défi posé à l’humanité par le réchauffement climatique. En effet, l’économie verte recèle un gisement de croissance encore largement inexploité. Cela exige, entre autres, que nous armions l’Europe d’une véritable politique énergétique.

Les actions pouvant participer à cette politique au niveau européen sont nombreuses, aussi vais-je me cantonner à l’énumération de quelques propositions.

Le seul fait que l’Union européenne importe plus de 50 % du gaz qu’elle consomme justifierait, pour le moins, une politique d’achat commune, ou à défaut une coopération structurée. Dans l’idéal, seule une agence européenne d’achat du gaz pourrait régler de façon efficiente et concertée les problèmes d’approvisionnement de gaz naturel. Il existe déjà, me direz-vous, la Caspian Development Corporation, une agence pilotée par la Commission, dédiée à l’achat du gaz. Il faut cependant élargir son périmètre. La sécurité des approvisionnements est une question géopolitique à laquelle nous sommes d’ores et déjà confrontés. Face à Gazprom, il est impératif d’avoir un acheteur unique.

Vous noterez que cette proposition n’est pas totalement déconnectée de la question de l’efficacité énergétique. Moins l’Europe consommera d’énergie, plus l’objectif de sécurité des approvisionnements sera facile à atteindre.

Dans le secteur de l’électricité, l’existence d’un opérateur unique européen disposant d’une vision centralisée du parc de centrales et du réseau de distribution peut également être envisagée. La constitution d’un noyau dur des réseaux interconnectés partageant cette approche constituerait un premier pas. Cela ne requiert pas de nationaliser les producteurs d’électricité. Parallèlement, les tarifs pourraient être fixés par une agence spécialisée, elle aussi européenne, ce qui permettrait de prendre en compte non seulement les spécificités des clients, selon qu’il s’agit d’entreprises ou de foyers, mais également le revenu de ceux-ci.

Pour rester dans le domaine de la régulation, je ferai remarquer que les attributions de l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie, ou ACER, sont notoirement insuffisantes. Plutôt que d’élaborer des systèmes de régulation fondés sur le seul objectif d’assurer la protection du consommateur et la libre concurrence, nous devrions être en mesure de stimuler les investissements en infrastructures. De fait, il faudra sans doute réformer l’ACER afin de promouvoir le développement d’infrastructures énergétiques à l’échelle de notre continent et de développer nos capacités d’investissement.

Les objectifs de la stratégie pour 2020 étaient un bon ballon d’essai. Cependant, force est de constater qu’ils ne vont ni ne voient assez loin. Il faut accorder le temps économique du secteur de l’énergie, qui va au-delà de 2020, avec le temps politique, qui ne va pas aussi loin, et les impératifs environnementaux qui s’imposent désormais à nous.

Dans le domaine nucléaire, la question de la sureté des centrales est revenue sur le devant de la scène, et avec quelle acuité ! Là encore, les risques, qui sont de nature transfrontalière, devraient nous inviter à une gestion commune.

Enfin, la création d’un marché européen de quotas d’émission, un « marché vert », avec des prix minimaux pour les émissions de CO2, peut être imaginée.

Selon moi, la priorité des priorités reste bien la lutte contre le changement climatique, et donc la réduction active et rapide de l’émission des gaz à effet de serre, afin de ralentir l’augmentation de la température terrestre. En l’état actuel de l’urgence planétaire, la responsabilité des pays développés est première. Cela suppose une action à l’échelle de l’Union européenne via l’imposition d’un cadre réglementaire draconien, qui aille bien au-delà des directives relatives à l’efficacité énergétique. Il faut mettre fin à l’hypocrisie qui prévaut à ce sujet au sein des pays de l’Union européenne. Il ne suffit pas de fermer quelques centrales nucléaires et de fabriquer de l’électricité à l’aide d’énergie carbonée. Vous voyez à quel État je fais allusion…

L’enjeu réside donc dans la liaison entre l’évolution de nos sociétés vers une économie « décarbonée » et la croissance économique. L’énergie est essentielle à la qualité de la vie de nos concitoyens. Elle est au centre du questionnement fondamental qu’est la recherche d’un autre modèle de société. §

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