Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Réunion du 28 février 2012 à 21h30
Débat préalable au conseil européen des 1er et 2 mars 2012

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement :

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le Conseil européen qui se réunira les 1er et 2 mars prochain va inévitablement se pencher sur la récession qui, selon la Commission européenne, frappera la zone euro en 2012.

La zone euro est la seule zone du monde qui verra diminuer son PIB. La Chine, elle, voit son PIB augmenter de 8, 2 %, l’Amérique latine de 3, 8 %, même les États-Unis connaîtront une hausse de 1, 8 %, alors que leur dette, leur déficit public et leur balance extérieure sont beaucoup plus dégradés que ceux de la zone euro.

Il n’est pas nécessaire de chercher bien loin l’origine d’un tel état de fait. C’est la logique de l’euro elle-même qui est en cause. La monnaie unique comporte un vice congénital : elle juxtapose, en effet, dix-sept économies hétérogènes à l’ombre d’une Banque centrale européenne copiée sur le modèle de la Bundesbank allemande.

La priorité donnée à la lutte contre l’inflation enferme la zone euro dans un chômage structurel équivalent à 10 % de la population active. La surévaluation de l’euro nous a fait perdre 30 % de compétitivité par rapport aux États-Unis depuis 1999. Au sein même de la zone euro, la déflation salariale organisée en Allemagne a accru l’écart de quinze points entre ce pays et le reste de la zone euro.

L’endettement d’États de moins en moins solvables devait aboutir à la crise des dettes souveraines. Le cas de la Grèce n’est que l’arbre qui cache la forêt, car la fragilité de la zone euro s’enracine dans les déséquilibres commerciaux et les écarts de compétitivité, qui ne touchent pas que la Grèce.

On l’a dit cet après-midi, le MES n’est pas un pare-feu suffisant. À supposer qu’il soit capable de lever 500 milliards d’euros, comment ferait-il face à un possible défaut de l’Italie, dont la croissance, en 2012, sera négative, en baisse de 1, 8 %, alors qu’elle devra lever encore 250 milliards d’euros de dette ?

M. Cohn-Bendit, dont l’influence s’est fait sentir cet après-midi sur plusieurs orateurs de la majorité présidentielle – cela nous permet de mesurer le temps passé depuis la mort du général de Gaulle ! – veut faire croire que ces 500 milliards d’euros pourraient servir d’amorce à la solidarité des peuples européens. Au mieux, soyons sérieux, ils ne serviront qu’à renflouer les banques !

M. Draghi met le malade sous morphine, mais cela n’ira pas sans effets pervers. Il ne suffit pas de donner de l’argent aux banques, on pourrait faire des avances aux États qui en ont besoin : ce serait mieux utiliser l’argent public.

Mal pensée dès le départ, la monnaie unique se révèle être un tonneau des Danaïdes où s’engloutira toujours davantage l’argent des contribuables.

Tout cela parce qu’on a voulu faire l’Europe en dehors des nations. Leur souveraineté monétaire a été aliénée à un aréopage de banquiers centraux qui n’ont de comptes à rendre à aucune instance procédant du suffrage universel. Tout cela me rappelle la formule lancée par Philippe Séguin en 1992, lors de la ratification du traité de Maastricht : « 1992 c’est l’anti 1789 ! » Eh bien, nous y sommes !

Certains nous parlent de « grand saut fédéral » ; je pense à M. Arthuis, que j’aime beaucoup par ailleurs – mais je constate qu’il n’est plus là pour entendre ma déclaration d’amour… §Trêve d’irréalisme ! Le système dans lequel on nous propose d’entrer est purement coercitif. Il ne comporte aucun élément de redistribution.

Le processus de dessaisissement des parlements nationaux s’est mis marche aussitôt la crise de l’euro déclarée. Je n’y reviens pas, c’était le « semestre européen » : stratégies budgétaires à moyen terme, vote de loi de finances triennales, Commission européenne saisie dès le mois d’avril d’un projet de budget que le Parlement vote autour du 20 décembre, etc. Est-ce cela la démocratie ?

Le Parlement européen a inclus, le 28 septembre 2011, le « semestre européen » dans un paquet « gouvernance économique », encore nommé « six pack » car comprenant cinq règlements et une directive, à quoi se sont ajoutés deux textes dits « two pack ».

S’est ainsi mis en place un appareil de surveillance précoce, de normes, bref, de contrôle et de supervision, visant à mettre sous tutelle les budgets des pays membres. On a même assisté à cette chose étonnante : M. Olli Rehn, commissaire européen aux affaires économiques, a envoyé au gouvernement de M. Berlusconi une lettre comportant trente-cinq conditions. Trente-cinq conditions, madame Demessine, c’est plus que vingt et une ! §Trois jours après, M. Berlusconi était remplacé par M. Monti…

Les États se trouvent, de la sorte, dépouillés de leur souveraineté budgétaire : six pack, two pack, Pacte européen pour l’euro plus… Derrière le cliquetis des mots, on perçoit comme un bruit de chaînes ! §

Mais ce n’est pas encore assez puisque l’Allemagne entend généraliser le système de « frein à l’endettement » qu’elle a adopté en 2010. M. Sarkozy a accepté de le faire pour la France puisqu’il a proposé la fameuse « règle d’or » : une loi organique devrait désormais préciser le contenu de « lois-cadres d’équilibre des finances publiques », s’imposant aussi bien aux lois de finances qu’aux lois de financement de la sécurité sociale. C’est très compliqué ! Que deviennent, alors, le droit d’initiative parlementaire, le droit d’amendement, le rôle des commissions ? On ne sait plus !

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