Intervention de André Gattolin

Réunion du 28 février 2012 à 21h30
Débat préalable au conseil européen des 1er et 2 mars 2012

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Cette génération-là a fait fructifier le legs laissé par les pères fondateurs. Elle a cependant commis aussi des erreurs, tant elle supposait que tout serait facile pour construire l’Europe dont elle rêvait, d’où, notamment, un élargissement parfois trop rapide et, surtout, une unification encore trop focalisée sur l’économie au détriment du social et de la politique.

La troisième génération, celle qui se trouve actuellement aux responsabilités en Europe, loin de réparer les erreurs de la génération précédente, les a plutôt aggravées.

Le problème n’est pas que les actuels dirigeants, français et allemands, par exemple, ne parlent jamais d’Europe, mais qu’ils en parlent avec des expressions qui varient selon le contexte, le lieu où il se trouve et le public auquel ils s’adressent.

Il y a cinq ans, Nicolas Sarkozy s’en prenait indirectement à l’Allemagne en rappelant que la France, contrairement à d’autres, n’avait « pas inventé la solution finale », phrase qui n’a pas été sans produire quelques échos. Aujourd’hui, l’Allemagne est son modèle.

Il y a quelques mois, Angela Merkel disait tout le bien qu’elle pensait d’une Europe qui serait enfin pleinement politique. Dans le même temps, elle agissait exactement comme si elle voulait aller dans la direction opposée, et c’est ce qu’elle continue à faire.

Ces actes et ces discours n’ont en réalité qu’un seul point commun : l’Europe n’est plus présentée comme incontournable, mais comme une contrainte. Là où elle était ouverture, elle est désormais frontière à protéger. Là où elle était un projet, elle n’est plus qu’un outil à utiliser.

Surtout, à écouter ces discours, on comprend que sa construction ne relève plus de notre choix collectif. C’est quelque chose qu’on nous imposerait. Quoi de plus commode pour un chef d’État ou de gouvernement à la peine dans l’opinion ? S’il ne parvient pas à obtenir telle ou telle chose, c’est la faute de l’Europe ! S’il veut mettre en place des réformes impopulaires, c’est encore et toujours la faute de l’Europe ! Et si jamais l’Europe doit réussir quelque part, c’est bien entendu de son fait à lui…

Vous vous demandez sans doute pourquoi, monsieur le ministre, je m’attarde sur ces considérations. En réalité, elles sont directement liées à l’objet de notre débat. En effet, l’ordre du jour du Conseil européen auquel vous vous rendrez jeudi illustre parfaitement la dégradation que je viens de décrire.

En l’occurrence, c’est ce que cet ordre du jour ne comporte pas qui me préoccupe.

Comment se fait-il que le débat que nous avons ce soir n’ait pu avoir lieu, devant le Parlement, qu’à la veille d’un Conseil européen aux enjeux, il faut bien le dire, assez limités ? Nous n’avons malheureusement pas eu l’honneur de débattre avant le Conseil informel du 30 janvier dernier, celui qui scella à la fois les négociations portant sur le Mécanisme européen de stabilité et sur le nouveau traité intergouvernemental.

Certes, nous échangeons sur une base régulière : fin octobre, mi-décembre, de nouveau aujourd’hui. Mais, lorsqu’il apparaît qu’autant de décisions, a fortiori controversées, sont prises lors de réunions « informelles » du Conseil européen, ne vaudrait-il pas mieux qu’un véritable débat ait lieu de manière systématique, devant la société française et sa représentation, avant chacune de ces réunions ?

En Allemagne ou au Danemark, lequel préside actuellement le Conseil européen, le Parlement est étroitement associé à la politique européenne de l’exécutif quand le Gouvernement n’est pas lié, comme c’est le cas au Danemark, par le mandat que lui donne le pouvoir législatif.

Pourriez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, pourquoi la France est le seul pays dont la politique européenne soit à ce point accaparée par le chef de l’État et aussi peu discutée publiquement, sans donc que le pays et sa représentation parlementaire y soient associés en amont ?

Le Sénat a récemment adopté, sur l’initiative de sa commission des affaires européennes, une résolution sur le contrôle démocratique des politiques européennes et des politiques économiques. Le Gouvernement devrait s’en inspirer s’il veut éviter que de nouveaux malentendus et de nouvelles fractures n’apparaissent entre les citoyens et ceux qui sont censés les représenter.

Depuis plusieurs jours, les parlementaires, donc les sénateurs, ne cessent de recevoir des courriers relatifs au Mécanisme européen de stabilité.

Quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir sur ce mécanisme, je suis sûr que nous pourrons être d’accord pour dire que les conditions dans lesquelles il a été discuté ne sont pas satisfaisantes. Les citoyens et les parlementaires ont été mis sur le côté, de sorte que ces textes se retrouvent votés en urgence et instrumentalisés de part et d’autre. Cela n’est pas raisonnable et c’est totalement contre-productif.

Je reviens à l’ordre du jour du Conseil européen.

Celui-ci aura d’abord pour objet de clore la première phase du semestre européen. Il s’agit notamment d’examiner dans quelle mesure les États membres appliquent les recommandations qui leur sont adressées par le Conseil et la Commission en matière de coordination économique.

C’est une réforme un peu étrange, si l’on y réfléchit, puisqu’elle est à mi-chemin entre la méthode communautaire et la méthode intergouvernementale.

C’est aussi une réforme potentiellement dangereuse puisqu’elle est aujourd’hui synonyme d’une stricte austérité et qu’elle porte atteinte aux compétences traditionnellement reconnues aux parlements nationaux comme au Parlement européen dans ce domaine.

Mais, s’il était possible d’y voir une réforme réellement et pleinement européenne, cela ne serait pas si grave. Si cette réforme avait donné plus de poids à une approche intergouvernementale intelligente et réellement équilibrée, il serait encore possible de l’envisager comme un progrès. Or, non seulement cette réforme tourne le dos à une approche fédéraliste et communautaire, mais elle tend aussi à aggraver les déséquilibres profonds qui existent déjà entre États membres en matière de reconnaissance politique.

J’en veux pour preuve l’exercice auquel s’est livré, voilà deux semaines, le commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires, Olli Rehn, que citait précédemment Jean-Pierre Chevènement. Alors qu’il évoquait, conformément à la législation établissant le semestre européen, les déséquilibres macroéconomiques qui frappent la zone Euro, M. Rehn a pointé du doigt dix-sept États membres considérés comme devant faire l’objet d’une attention particulière de la part de ses services. La Grèce, l’Espagne, l’Irlande et le Portugal en font naturellement partie... La France aussi. Elle est, comme le Royaume-Uni et la Belgique, jugée insuffisamment compétitive et perdant trop de parts de marchés à l’exportation.

En revanche, l’Allemagne est absente de cette liste. Aucun déséquilibre économique ne lui est reproché, alors que la balance de ses comptes courants est largement excédentaire depuis des années. C’est le signe, selon les critères du fameux six pack, de salaires trop peu élevés et d’une demande intérieure trop peu développée, au détriment de la population allemande comme de l’ensemble de l’Union européenne.

Pourtant, la Commission européenne, en dépit des obligations résultant du six pack, fait mine de ne rien remarquer ! Pourquoi ? Tout simplement parce que l’Allemagne, inquiète de voir sa réputation entamée, alors qu’elle mène une croisade en faveur de l’austérité, a fait pression sur la Commission pour que celle-ci omette de l’épingler.

C’est ainsi que le gouvernement du pays le plus influent de l’Union semble mépriser toute idée de solidarité européenne et de responsabilité partagée. Personne ne semble s’en offusquer, et surtout pas le gouvernement français !

En effet, pour maintenir un semblant d’influence au sein du concert européen, le président Sarkozy a bien compris que son intérêt n’était plus de peser en faveur d’idées qu’il défendait il n’y a pas si longtemps – je pense à la création d’euro-obligations – mais de conclure une alliance tactique et, je dois le dire, assez opportuniste avec Mme Merkel. Cette dernière a besoin de lui pour ne pas paraître trop isolée face à des États qui, comme la Pologne, commencent à protester.

Ainsi, l’Europe qui se réunira cette semaine n’est ni fédéraliste, ni communautaire, ni même intergouvernementale à proprement parler. Dans l’esprit des deux dirigeants, français et allemand, elle ne saurait être qu’une forme de directoire plus ou moins affirmé.

De son côté, M. Mario Monti, président du Conseil italien et habitué des arcanes européens, a pris voilà peu position sur cette problématique en des termes très forts, notamment dans un article du journal Le Monde cosigné avec Sylvie Goulard.

Cette méthode – la confiscation de l’Union européenne par deux États membres et une sorte d’alliance objective entre gouvernements conservateurs et technocratie au détriment du Parlement européen et des parlements nationaux – ne fonctionnera pas. Bien plus que l’autoritarisme supposé d’une Commission européenne, réduite plus que jamais à l’état de secrétariat des grands États membres, elle risque de conduire à la dislocation du projet européen.

C’est cette méthode qui a précipité la Grèce, déjà lourdement abîmée par la faute de ses propres dirigeants, dans l’état où elle est aujourd’hui.

C’est aussi au nom de cette méthode qu’il est jugé inutile et inopportun de s’intéresser à des questions telles que les libertés fondamentales en Hongrie. Le Premier ministre Viktor Orban, qui est aussi le vice-président du parti populaire européen, n’a-t-il pas été récemment invité à ce titre par l’UMP à Marseille, alors que sa dérive autoritaire, dont témoigne la transformation des institutions de son pays, ne fait aucun doute ? La lutte contre de telles dérives n’est-elle pas l’un des fondements du projet européen ? C’est là un point que l’on aurait aimé voir figurer au programme de travail du Conseil européen de cette semaine.

Monsieur le ministre, jeudi prochain, lors de ce sommet, que comptez-vous répondre aux critiques du président Mario Monti, lorsque vous le croiserez avec le Président de la République ? Inciterez-vous le Conseil européen à s’intéresser enfin de plus près à la situation préoccupante des libertés fondamentales en Hongrie ?

Avant de conclure, je voudrais saisir l’occasion de ce débat pour réitérer une question que j’ai posée le 9 février dernier à votre collègue M. Lellouche lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement et qui n’a reçu aucune réponse.

La Grèce demeure aujourd'hui plongée dans des difficultés considérables et reste soumise à des contraintes socialement insoutenables. Pourtant, jamais depuis la crise de 2008 ceux qui assument au plus haut niveau la responsabilité de notre diplomatie ne se sont rendus sur place, à Athènes, pour discuter directement avec les principaux intéressés. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer si un tel voyage, qui serait un acte de considération fort à l’égard du gouvernement de la Grèce et, surtout, de sa population, est envisagé dans les semaines à venir par le Président de la République, le Premier ministre, le ministre des affaires étrangères et européennes ou vous-même ? §

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