Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 28 février 2012 à 21h30
Débat préalable au conseil européen des 1er et 2 mars 2012

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernante au sein de l’Union économique et monétaire, arrêté le 30 janvier 2012 dans des conditions qui ont été rappelées, devrait être signé en marge du Conseil européen des 1er et 2 mars, avant autorisation de ratification par les parlements.

Je ne reviendrai pas sur le problème du processus démocratique : d’autres l’ont fait mieux que je ne le ferais. C’est bien ce qui est cœur du débat de ce prochain Conseil européen, à l’heure où les préoccupations de nos concitoyens portent sur l’emploi, la compétitivité et la croissance.

L’Europe est à la croisée des chemins depuis bien longtemps, mais, aujourd’hui, le reste du monde ne l’attend pas et ne la regarde plus, si ce n’est, parfois, avec dédain.

Pourquoi la juxtaposition de nations aussi développées, aussi puissantes, n’aboutit-elle très souvent qu’à une cacophonie continentale, loin des capacités et des ambitions des peuples qui la composent ?

Le groupe du RDSE est très attaché à la construction européenne, à la nécessité de rompre définitivement avec les nationalismes fauteurs de conflits sanglants grâce à une coopération étroite et nécessaire au sein du même espace continental, mais dans le respect de l’identité de chaque nation.

Aujourd’hui, l’Europe subit une crise dont l’épicentre était situé en Amérique du Nord. Elle a les plus grandes difficultés à définir une politique prospective, réagissant, hélas, par à-coups, pour ne pas dire au jour le jour, subissant l’événement au lieu de le prévoir.

Ce traité sur la stabilité en est l’illustration. Il a été négocié précipitamment, sans concertation suffisante et n’offre pas une réponse adaptée aux difficultés réelles de la zone euro, à sa fragilité aujourd’hui avérée.

Je le répète, il a été négocié dans l’urgence, hors cadre communautaire, alors qu’un accord aurait pu se concevoir à « traité constant », selon le président Van Rompuy lui-même. Il a en fait révélé une véritable crise institutionnelle.

D’ailleurs, il reprend pour l’essentiel des dispositions déjà adoptées par l’Union européenne, notamment dans le paquet « gouvernance économique » de juin 2011.

En réalité, la principale nouveauté du traité est l’obligation d’adopter une « règle d’or » contraignante dans l’ordre juridique interne, le non-respect de l’obligation de transposition pouvant être sanctionné par la Cour de justice de l’Union européenne. Pour nous, la « règle d’or » ne relève pas de la Constitution, mais de la volonté politique, de la sincérité, en particulier dans les lois de programmation.

Par ailleurs, ce traité généralise la règle de la majorité qualifiée inversée pour toutes les propositions ou recommandations de la Commission relatives à un État en déficit excessif et renforce l’automaticité des sanctions. Il n’y a pas de remise en cause des seuils du Pacte de stabilité, lesquels n’ont aucune justification économique, notamment l’objectif irréalisable de l’article 4. Pour prendre l’exemple de la France, comment serait-il possible de dégager un excédent de plusieurs dizaines de milliards d’euros par an ?

En outre, le traité ne met pas suffisamment l’accent sur la croissance ni sur la coordination des politiques économiques nécessaire pour y parvenir. Nous craignons donc que les États de la zone euro ne s’enferment dans une rigueur budgétaire absolue permettant, certes, de réduire le déficit à court terme, mais nuisant à la croissance à long terme. À notre sens, il faut des investissements au niveau européen pour porter la croissance.

Si ce traité est imparfait, voire en grande partie inapplicable, cette appréciation ne saurait nous entraîner dans l’euroscepticisme primaire.

La seule solution pour l’Europe et les Européens, propre à garantir la croissance, consiste en un renforcement de l’intégration européenne, étant entendu que les citoyens doivent parallèlement s’approprier celle-ci. Effectivement, le fédéralisme est nécessaire pour résoudre les imperfections de la zone euro.

Les plus grands économistes sont d’ailleurs d’accord sur le fait qu’il n’y a pas d’alternative pour l’Union Européenne à un renforcement de l’intégration politique, économique, budgétaire, donc à une transformation des institutions vers un modèle fédéral.

Voici ce que dit Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis, à ce sujet : « À court terme, la seule solution est donc de maintenir les mécanismes de financement public des pays déficitaires et de leur donner la taille suffisante : EFSF-EFSM, achats durables de dettes publiques par la BCE. Ces mécanismes doivent être perçus comme nécessaires durant la transition vers le fédéralisme. »

L’élément clé est donc la mobilité de l’épargne à l’échelle de l’Union européenne pour permettre de régler les déséquilibres macroéconomiques.

Pour cela, il faut un véritable budget européen, avec des ressources propres – taxe sur les transactions financières, TVA, taxe carbone, eurobonds… – et une stratégie commune d’investissements.

Nous en sommes malheureusement très loin et les mois qui viennent seront encore plus difficiles. Ce traité n’est pas à la hauteur des enjeux actuels. Il conviendrait de ne point le signer en l’état. §

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