Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui sollicités pour statuer sur un aspect de la protection de l’enfance en danger, sujet complexe et grave, transversal à l’ensemble de notre société et pour lequel modestie et persévérance s’imposent.
Protéger les enfants, ces êtres fragiles en construction, relève de la responsabilité des parents. Il faut souligner que, globalement, les familles assument bien leur rôle éducatif et ce, de plus en plus longtemps, du fait non seulement de l’allongement des études, mais aussi de la réalité du chômage des jeunes.
Lorsque des difficultés surviennent en ce qui concerne la sécurité morale ou physique de l’enfant ou du jeune, il est de la responsabilité de la société de prendre le relais, temporairement ou durablement. Il en est ainsi dans toutes les sociétés humaines.
Relevant autrefois des familles élargies ou de la charité, la prise en charge des enfants en danger ou risquant de l’être a fait l’objet de nombreuses évolutions législatives et organisationnelles au cours du temps, pour être confiée aux conseils généraux, en 1983, dans le cadre des premières lois de décentralisation. Les départements sont chargés d’organiser la prise en charge de ces enfants, en lien avec leurs familles le cas échéant. Il en va de même pour les enfants abandonnés ou privés durablement de famille, dont la collectivité doit organiser la prise en charge, voire l’adoption.
Bien que promulguée le même jour que la loi relative à la prévention de la délinquance, et ayant à ce titre fait craindre des amalgames, la loi du 5 mars 2007 a été en général plutôt bien accueillie par les conseils généraux et les professionnels de la protection de l’enfance. Rappelons ses trois objectifs principaux : renforcer la prévention ; réorganiser les procédures de signalement via notamment la création des cellules de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes ; diversifier les modes de prises en charge.
Pour notre part, nous y avons vu un texte comportant des mesures de nature à clarifier les rôles de la justice et des conseils généraux, misant sur la prévention et laissant une place aux familles. Nous avons également considéré que ce texte proposait des moyens d’agir.
Cinq ans plus tard, où en sommes-nous ? Qu’en est-il de la mise en œuvre effective de cette loi ? Qu’a-t-on produit, en réalité, sur l’ensemble du territoire national, en métropole comme outre-mer ? Telles sont les véritables questions auxquelles nous devons répondre.
Or, aujourd’hui, on nous propose, avec cette proposition de loi, non pas de mettre un terme à des situations dramatiques, mais d’opérer un simple ajustement relatif aux familles qui déménagent.
À mes yeux, la protection de l’enfance mérite mieux que des mesures d’opportunité, même si je ne nie pas la nécessité de mieux définir les rôles et les responsabilités des uns et des autres en la matière.
Comme l’a affirmé Mme la secrétaire d’État, cette proposition de loi permet de préciser les responsabilités entre la justice et le président du conseil général lorsque les familles en cours de mesure éducative ou de mesure d’investigation à la suite d’une information préoccupante quittent le département. Il est proposé de faire glisser peu à peu sur les épaules du président du conseil général une responsabilité qui incombe à la justice, afin – nous dit-on – de gagner en rapidité et efficacité.
Or les obligations d’un conseil général s’inscrivent dans le cadre d’une relation contractuelle avec la famille ou dans celui de l’exécution d’une mesure judiciaire. La proposition de recherche d’informations personnelles n’entre pas dans le champ des responsabilités du président du conseil général, même à titre facultatif, car la justice a seule le pouvoir d’enquêter.
Le service d’aide sociale à l’enfance du département de départ informe le conseil général d’arrivée lorsqu’il connaît la destination. Dans le cas contraire, il transmet ses constats et ses informations à l’autorité judiciaire, laquelle peut enquêter afin de retrouver le nouveau domicile des parents. On ne devrait compter que quelques situations de ce type chaque année, ce qui ne devrait pas engorger les tribunaux.
Il est donc clair que cette proposition de loi vise principalement à régler les questions de répartition des responsabilités pénales entre les uns et les autres, quand il nous faudrait surtout continuer à renforcer la qualité des échanges entre l’Aide sociale à l’enfance et la justice.
À cet égard, je regrette qu’aucune approche quantifiée n’étaye le dossier. De même, ni l’avis du groupement d’intérêt public – ou GIP – Enfance en danger, ni celui de l’Observatoire national de l’enfance en danger, l’ONED, n’ont, me semble-t-il, été sollicités.
Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, vous l’aurez compris, cinq ans après sa promulgation, il est temps de dresser un bilan complet de la mise en œuvre de la loi réformant la protection de l’enfance, en lien avec tous les partenaires concernés : bien sûr, les départements et l’ADF, mais aussi l’ONED, le GIP Enfance en danger, les représentants des associations, la protection judiciaire de la jeunesse, ou PJJ, et bien entendu la justice.
En effet, les conseils généraux ont pris à bras-le-corps leurs responsabilités. Ils sont même allés au-delà, en faisant preuve d’inventivité dans la construction de nouvelles modalités de travail et de nouvelles réponses de prévention et d’accueil des mineurs en danger.
Pour les départements, je le rappelle, c’est tout d’abord une lourde responsabilité morale, puisqu’il s’agit d’aider des enfants blessés à se construire et à se faire une place dans la société, malgré toutes les embûches rencontrées.
C’est ensuite une responsabilité pénale, que nombre de présidents de conseils généraux ont parfois dû assumer devant les tribunaux.
Enfin, c’est une responsabilité budgétaire. Les dépenses afférentes à cette politique étant en grande partie liées aux décisions des magistrats, elles s’imposent aux conseils généraux sans aucune discussion ni prévision possible.
Si les départements font face à leurs responsabilités autant qu’il leur est possible, on ne peut pas en dire autant de l’État.
En effet, cinq ans après la promulgation de la loi réformant la protection de l’enfance, plusieurs décrets d’application manquent encore.
D'ailleurs, la présente proposition de loi vise l’un des « chaînons manquants » de la loi de 2007, bien qu’un texte réglementaire eût, à mon avis, pu suffire.
Ce n’est d’ailleurs ni le seul ni le principal chaînon manquant ; Mme la rapporteur vient d’en rappeler quelques-uns. Pour ma part, je citerai les moyens et les missions du Fonds national de financement de la protection de l’enfance, la prise en charge des mineurs étrangers isolés, le refus du Gouvernement de procéder à la publication du décret relatif à la définition de la nature de l’information préoccupante, la question des appels à projets dans le secteur public départemental de la protection de l’enfance et, enfin, la non-publication du décret sur la tarification des lieux de vie et d’accueil et les appels à projets les concernant.
Les désengagements successifs de l’État dans le domaine éducatif – au sens large – viennent aussi peser, au final, sur la protection de l’enfance. Sans dresser un inventaire à la Prévert, j’évoquerai plusieurs mesures dont les effets affectent directement les publics concernés : la diminution des postes RASED, qui permettent de détecter au plus tôt les situations difficiles et d’élaborer des réponses, en lien avec les familles et la communauté éducative ; l’augmentation des effectifs dans les classes maternelles et primaires, qui limite, de fait, la disponibilité des enseignants et enseignantes auprès des élèves et des familles ; l’érosion, depuis de très nombreuses années, des prestations familiales et les menaces récurrentes du Gouvernement de ne pas verser ces allocations aux familles dites « défaillantes », alors même que la pauvreté accentue indéniablement les tensions familiales.
Je citerai également l’insuffisance des places en structures de soins spécialisés dans le domaine médicosocial ou dans celui de la pédopsychiatrie. En effet, cette insuffisance amène à maintenir trop longtemps des enfants dans des structures inadaptées, voire contraires à leurs besoins spécifiques. Par ailleurs, elle « embolise » l’urgence et le système d’accueil de la protection de l’enfance. Surtout, elle ne permet pas de proposer aux enfants et aux jeunes concernés un lieu adapté à leurs besoins.
Vous l’aurez compris, je saisis l’occasion offerte par cette discussion générale pour formuler le vœu qu’un véritable bilan de la loi du 5 mars 2007 soit rapidement établi, portant sur ses avancées – car il y en a ! – comme sur ses manques, ou sur ses dispositions susceptibles d’être améliorées.
Ne l’oublions pas, la protection de l’enfance fait parler d’elle lorsque des drames surviennent : mon département, la Loire-Atlantique, a ainsi été endeuillé, l’an dernier, par un drame à rebondissements autour du meurtre de la jeune Laetitia.
Toutefois, nous devons souligner que, de manière globale, les professionnels des conseils généraux et des associations habilitées – les travailleurs sociaux, les assistantes familiales, les travailleuses et travailleurs en intervention sociale et familiale – réalisent un travail éducatif remarquable. Grâce à leur implication sans faille, les enfants qui leur sont confiés ont toutes leurs chances de se construire un avenir meilleur, car la plupart de ces jeunes sortent « par le haut » de leurs difficultés. À nous de le faire savoir également, lors de ce bilan, pour que les enfants et les jeunes malmenés par la vie, ainsi que leurs familles, leurs éducateurs et leurs éducatrices, gardent confiance en eux-mêmes et en l’avenir !