Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, examiner cette proposition de loi aujourd’hui, c’est partir du constat que la législation existante en matière de protection de l’enfance est incomplète.
Des familles faisant l’objet de mesures éducatives ou d’enquêtes sociales consécutives à un signalement d’enfant en danger déménagent sans laisser d’adresse. Qui peut rester insensible aux drames qui se jouent en leur sein ? Personne, nous sommes bien d’accord. Dans ce domaine, nous n’avons pas droit à l’erreur.
Ce texte a pour objectif de mieux protéger les enfants dont les familles font l’objet d’une enquête sociale. Il vise à garantir la poursuite des enquêtes sociales jusqu’à leur terme.
En effet, si le suivi judiciaire des affaires les plus graves prévu par la loi ne soulève a priori pas de problème, il n’en est pas de même du suivi administratif et de l’enquête sociale au stade des premières informations préoccupantes et de la première demande d’informations, de même que dans la phase de prise en charge sociale de la famille.
À cette fin, et ceux de mes collègues qui m’ont précédé à la tribune l’ont maintes fois répété, la proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise prévoit que le président du conseil général devra, en cas de déménagement, transmettre les données concernant ces enfants à son homologue du département où s’installe la famille.
Mes chers collègues, madame la rapporteur, nous soutiendrons ce texte majoritairement, voire unanimement, car la démarche qui nous est proposée ne peut qu’être approuvée. Elle favorisera en effet un meilleur suivi des enfants et permettra sans doute d’éviter des drames.
Toutefois, force est de constater que ce texte est de portée limitée. Il montre bien les décrochages de l’État dans le domaine de la protection de l’enfance.
Il m’appartient aujourd'hui de vous faire partager mon avis sur l’obligation qui sera imposée, une fois de plus, aux présidents de conseils généraux.
Lors de l’examen de ce texte à l’Assemblée nationale, au mois de janvier 2011, Mme Bachelot avait elle-même avoué que de nombreux décrets d’application de la loi de 2007 étaient encore en cours de rédaction. Il en était de même pour une circulaire informative.
Finalement, quatre ans après l’adoption de la loi, le dispositif est en cours d’élaboration, mais pas vraiment construit.
Mme Martinez, la députée qui est à l’origine de ce texte, ne voyant pas venir le décret d’application, a souhaité faire adopter cette mesure par voie législative. Le texte qui nous est aujourd'hui soumis vise donc à mettre en œuvre l’un des chaînons manquants de la loi, même si un dispositif d’ordre réglementaire aurait été suffisant. L’objectif était de gagner du temps, mais il n’a pas été atteint, puisque le Sénat n’examine ce texte qu’aujourd'hui, soit plus d’un an après l’Assemblée nationale.
Il semblerait que Mme Bachelot n’ait pas les mêmes priorités que tout le monde, à moins qu’elle ait une conception différente de la nôtre de ce qu’est une priorité…
J’en veux pour preuve la loi du 6 mars 2000 visant à renforcer le rôle de l’école dans la prévention et la détection des faits de mauvais traitements à enfants. Nous attendons toujours son décret d’application devant fixer les modalités exactes d’organisation des visites médicales de détection des enfants maltraités et des séances annuelles d’information et de sensibilisation.
Il est certain que le dispositif actuel mérite d’être évalué et amélioré, comme l’a déjà indiqué notre collègue Michelle Meunier. Nous ne manquerons pas de nous atteler à cette tâche.
J’évoquerai maintenant le dispositif qui nous est proposé. Pour qu’il soit efficace, il faut en définir précisément les contours et dégager les moyens nécessaires à son bon fonctionnement.
L’ambiguïté de ce texte réside non pas dans son contenu, mais plutôt dans ses oublis, directement liés au désengagement global de l’État des politiques de protection de l’enfance et de la jeunesse. Tous les orateurs, quelle que soit leur appartenance politique, l’ont souligné.
La procédure, madame la secrétaire d’État, aurait mérité d’être perfectionnée au moins sur trois points.
Premièrement, il eût fallu mieux définir le cadre légal du secret professionnel partagé.
Deuxièmement, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner en commission, je souhaite attirer votre attention sur les problèmes que posent les départements transfrontaliers.
Ainsi, à Hendaye, dans les Pyrénées-Atlantiques, département dont je préside le conseil général, la moitié des enfants scolarisés sont des Espagnols qui viennent de Saint-Sébastien ou de la frontière plus proche. Si cette mixité est enrichissante, comment assurer la transmission des informations dans les départements transfrontaliers ? Comment appliquer ce texte, madame la secrétaire d’État, dans des territoires comme le mien ?
Troisièmement, il faut définir les responsabilités de chacun, à commencer par celles du président du conseil général et celles des organismes de sécurité sociale qui seront saisis. Savons-nous bien jusqu’où iront ces responsabilités en cas de dysfonctionnement ? Qui, dans les services départementaux, sera chargé d’assurer le suivi des enfants ? Quels moyens seront dégagés pour accomplir ces tâches nouvelles ?
Martine Pinville, députée de Charente, a proposé d’établir une grille déterminant les informations à communiquer en fonction du signalement. Elle a également proposé de distinguer les situations d’accompagnement acceptées par les familles de celles dans lesquelles les familles ne participent pas. Je regrette que sa proposition n’ait pas trouvé d’écho.
Je ne prolongerai pas mon intervention, monsieur le président, le temps qui m’est imparti étant écoulé. Chacun a pu exprimer son point de vue sur les relations de plus en plus complexes entre l’État et les conseils généraux.
Pour terminer, il convient de faire preuve de volonté, afin de concilier impératif déontologique et nécessité du travail social. Je recommanderai aussi, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, d’engager le débat sur la question du partage des informations confidentielles dans le secteur social et médicosocial.
Je ne saurais achever mon propos sans évoquer la très forte inquiétude des départements transfrontaliers. Pardonnez-moi d’insister sur ce point, mais ils existent, mes chers collègues ! Les conseils généraux doivent supporter des charges de plus en plus lourdes, dues notamment à l’accueil des enfants mineurs étrangers et de leur famille. Les départements transfrontaliers sont encore plus sensibles que les autres à ces mutations.