Intervention de François Baroin

Réunion du 22 février 2012 à 21h45
Loi de finances rectificative pour 2012 — Suite de la discussion et rejet d'un projet de loi

François Baroin, ministre :

Mais tout est dans les textes, tout a été discuté, négocié, la solidarité comme la consolidation budgétaire et la croissance. D’ailleurs, le texte que vous refusez d’évoquer aujourd'hui, le projet du Gouvernement de transformation du financement de la protection sociale, qui s’appuie, pour partie, sur une fiscalité à assiette large, au travers de la hausse de la TVA et de la CSG sur le patrimoine, est un élément constitutif de l'engagement français pris au niveau européen, de la contribution de notre pays pour soutenir la croissance.

Nous sommes, nous, pleinement cohérents. Si vous souhaitez l’être, la seule logique est de faire comme les autres partis socialistes ou mouvements de gauche, qui, en responsabilité, ont accompagné une telle politique sans se poser cette question du mécanisme européen de stabilité.

Vous ne pouvez pas, d’un côté, afficher votre volonté d’aider la Grèce et, de l’autre, ne pas voter le MES. Ce sont deux messages incompatibles, qui se télescopent. Une fois encore, je ne vois tout simplement pas le bénéfice électoral que vous pouvez tirer d’une telle absence de position.

S’agissant de la compétitivité, un certain nombre d’intervenants se sont inspirés du rapport de l’INSEE. Aux amateurs de bons auteurs et aux excellents spécialistes de l’INSEE que compte cette assemblée, je voudrais quand même rappeler précisément les termes de ce rapport.

Oui, le Gouvernement évoque la part de responsabilité des 35 heures dans la dégradation du rapport entre la compétitivité et le coût du travail. Que dit l’INSEE ? « En France, le coût horaire a crû en euros courants à un rythme annuel de 3, 4 % entre 1996 et 2008. Le rythme de croissance s’est accéléré entre 2000 et 2004, possiblement en raison de la généralisation des 35 heures : 5, 1 % d’augmentation entre 2000 et 2004, contre 1, 7 % entre 1996 et 2000. »

MM. Daudigny et Caffet ont probablement lu dans le rapport de l’INSEE ce qui les arrangeait… C’est de bonne guerre ! Mais ce qui est indiscutable, c’est que la compétitivité-coût de notre industrie s’est considérablement dégradée au cours des quinze dernières années, et personne ne saurait sérieusement le contester !

C’est la raison pour laquelle nous avons calibré le dispositif que nous vous proposons de manière à privilégier le secteur industriel.

Cela étant dit, la compétitivité hors-coût a naturellement son importance, et nous ne l’avons jamais négligée. Nous partageons à cet égard les diagnostics de MM. de Montesquiou et Charon, qui ont très bien expliqué comment nos parts de marché ont évolué au cours des dernières années.

La réalité, madame le rapporteur général, c’est que vous ignorez délibérément tout ce que le Gouvernement a fait en faveur du soutien à la recherche et à l’innovation : le triplement du crédit d’impôt recherche, qui constitue probablement aujourd’hui l’un de nos meilleurs instruments fiscaux à l’exportation ; la réforme des universités, chère à Valérie Pécresse ; la réforme de la taxe professionnelle, qui a eu des effets visibles sur l’investissement. Faute de pouvoir être exhaustif, je mentionnerai encore l’installation du Fonds stratégique d’investissement, le développement d’OSEO et l’ensemble des mesures qui ont permis – les chiffres sont là – de sauver des emplois dans un contexte mondial de ralentissement économique très marqué.

Je remercie le président Philippe Marini et M. Jean Arthuis de leurs interventions. Nous pourrions d’ailleurs leur envoyer quelques droits d’auteurs puisque l’un et l’autre, dans l’exercice de leurs responsabilités respectives passées, ont été, ici même, d’ardents défenseurs de ce qui va maintenant être mis en place. J’ai encore à l’oreille les conversations que nous avions l’an dernier, lorsque j’étais ministre du budget, autour de cette problématique. J’imagine aisément la satisfaction qu’ils doivent éprouver à la présentation de ce texte qui comporte une transformation en profondeur du financement de notre protection sociale, transformation pour laquelle ils ont plaidé à de nombreuses reprises.

Nous ne pouvons pas être dans l’immobilisme, comme le préconisent certains au parti socialiste. À cet égard je tiens à saluer l’énergie de Philippe Dallier, qui a su rappeler avec le talent qu’on lui connaît que nous ne saurions, nous, à la différence des socialistes, constater que la France se laisse distancer dans la mondialisation et ne rien faire pour défendre notre industrie.

Je le redis : la mesure que nous proposons n’aura pas d’impact inflationniste. Les chiffres sont à votre disposition.

Mme Keller, M. Arthuis et M. Dassault ont parfaitement exposé les raisons qui nous confortent dans l’idée que les prix à la consommation ne seront pas affectés par cette hausse du taux normal de TVA. Valérie Pécresse et moi-même ayant déjà insisté sur ce point, je n’y reviens pas.

Et il est inutile, monsieur Daudigny, de nous rappeler l’impact des hausses de TVA précédentes, ni même celle à laquelle l’Allemagne a procédé en 2007 : le schéma que nous vous proposons est inédit. Cette hausse de TVA sera plus que compensée par les diminutions de charges. Ce n’était pas le cas des précédentes hausses de TVA en France ; ce n’était pas le cas de la hausse allemande, qui n’était compensée qu’à hauteur de 1 point par des baisses de cotisations sociales.

Il y aura, de surcroît, une réduction des prix hors taxes. Comme nous sommes dans une période de ralentissement économique, avec une évolution du coût de la vie qui sera inférieure en 2012 à ce qu’elle était en 2011, les entreprises seront en effet contraintes, afin de préserver leurs parts de marché, de ne pas surenchérir les prix de leurs produits. C’est pourquoi nous pouvons avancer des statistiques sur les différents produits à la consommation impactés par tel ou tel niveau de TVA.

Ainsi, nous avons pour nous la situation économique qui justifie pleinement notre conviction selon laquelle cette mesure n’aura pas d’effet inflationniste.

Vous prétendez que le Pacte pour l’euro plus est oublié : rien n’est moins vrai ! Le Conseil européen des 1er et 2 mars fera le point sur la contribution du Pacte aux politiques de croissance. C’est un instrument qui demeure utile pour accélérer la coordination en Europe.

Les États membres, dont la France, rendront compte de la mise en œuvre de leurs engagements au titre du Pacte dans leur programme national de réforme et dans le Pacte de stabilité. Comme l’an dernier, ces documents vous seront remis à la mi-avril, avant la transmission à la Commission européenne au titre du semestre européen.

Ce sont des rendez-vous importants et, en même temps, là aussi, des avancées significatives.

Indépendamment du calendrier électoral, le Conseil pourra faire le point sur la mise en œuvre de ces engagements au cours du mois de juin, comme sur l’ensemble des politiques coordonnées dans le contexte européen.

Sur le mécanisme européen de stabilité, vous le savez, madame le rapporteur général, je conteste l’ensemble de votre argumentation. En cet instant, je me conterai de vous indiquer que le mécanisme européen de stabilité financière ne s’apparente pas au FESF.

Ce dernier est un véhicule ad hoc de droit luxembourgeois, avec un capital faible, dont les emprunts bénéficient de la garantie des États qui en détiennent le capital. Le mécanisme, lui, est une organisation de droit public international, dotée de fonds propres, à hauteur de 80 milliards d’euros de capital libéré et de 620 milliards d’euros de capital libérable, et disposant, en cas d’urgence, d’une capacité de décision à la majorité qualifiée.

D’ailleurs, c’est l’une des raisons pour lesquelles les chefs d’État et de gouvernement ont souhaité anticiper ce dispositif. En effet, il est plus solide, mieux structuré sur le plan juridique, plus stable dans son évolution et naturellement plus efficace au regard de son objectif, qui est de servir de pare-feu et de préserver de la contagion des pays actuellement soumis à quelques tensions du fait de leur dette, de leur situation économique et de leur taux de chômage ; je pense à l’Italie et à l’Espagne. Un engagement d’apporter du capital appelable, madame le rapporteur général, n’est pas juridiquement assimilable à une garantie.

À votre interrogation quant au respect de la Constitution, dont je ne conteste pas la sincérité, nous apportons toutes les réponses. Je tiens à votre disposition les autres éléments juridiques constitutifs de ce mécanisme.

Dans le cas du FESF, il s’agit d’une garantie apportée à l’emprunt, ce qui revient à se substituer automatiquement au débiteur en cas de défaut de ce dernier.

Dans le cas du mécanisme européen de stabilité financière, il s’agit d’un engagement d’apporter des capitaux propres à hauteur de la quote-part souscrite au capital appelable. C’est un peu technique, mais vous êtes une spécialiste et vous savez ce que je veux dire.

L’engagement dans le cadre du mécanisme est, en outre, dépourvu de la même automaticité qu’un appel en garantie. Le capital appelable est un engagement de la France à verser tout ou partie de ce montant dans des circonstances précisément définies et selon une procédure arrêtée dans le traité.

C’est le choix qui a déjà été fait pour les banques multilatérales de développement, dans le cadre du collectif de fin 2010, sans que, sur les mêmes fondements, il y ait des interrogations susceptibles d’être soumises au Conseil constitutionnel.

J’ajoute que le Conseil d’État a validé l’inscription en loi de finances de dispositions autorisant un capital appelable, en la fondant sur deux points qui devraient vous tenir à cœur, monsieur Chevènement : l’information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques, d’une part ; l’approbation des conventions financières par le Parlement, d’autre part.

Je souligne, monsieur Chevènement, que le nouvel article 10 tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale la semaine dernière prévoit une information renforcée des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, un rapport trimestriel sur les opérations financières et le résultat des opérations du mécanisme européen de stabilité, ainsi qu’une information pour chaque décision importante du Conseil des gouverneurs. J’ai d’ailleurs pris l’engagement à l’Assemblée nationale de revenir devant elle en tant que de besoin. Le Gouvernement est à la disposition du Parlement en toutes circonstances au regard de notre loi fondamentale. Du reste, c’est un plaisir !

S’agissant du décaissement et des différentes étapes, c’est évidemment une obligation supplémentaire. Il y aura toutes les garanties pour que la représentation nationale soit associée au processus d’accompagnement de l’utilisation de cet outil en vue de tenir les engagements pris.

Madame le rapporteur général, vous avez invoqué l’absence d’urgence concernant cette dotation du MES. Qu’il me soit permis de vous rappeler que les États membres de la zone euro se sont engagés à ce que le mécanisme européen de stabilité entre en vigueur au plus tard en juillet 2012. Le traité entrera en vigueur dès que des États membres représentant 90 % du capital autorisé l’auront ratifié, ce qui peut très bien être fait dès mai ou juin 2012.

Dans le même temps, et de manière paradoxale, vous regrettez le sous-financement du pare-feu. Si nous avons en quelque sorte profité du collectif budgétaire, c’est aussi en intégrant le calendrier électoral qui va rythmer les trois prochains mois en France, puisque nos travaux se termineront à l’issue de l’examen du premier texte et ne reprendront qu’au début de la nouvelle législature. Il était donc normal, pour respecter la parole de la France, qu’il y ait cette proposition et ce décaissement.

Dans nos discussions, il était initialement prévu un décaissement de cinq tranches, à raison d’une par an. Il a été décidé d’en faire deux dès cette année, pour bien montrer quelle était la vigueur de l’engagement pris. Et nous sommes, je dois le dire, plutôt fiers que la France soit le premier pays à procéder à la ratification parlementaire du Mécanisme européen.

Sur le sous-financement du pare-feu, d’une certaine manière, nos positions ne sont pas très éloignées : c’est la position que la France défend. Nous souhaitons un cumul de ce qui reste du Fonds européen de stabilité financière et de la dotation pour le Mécanisme européen de stabilité.

Je rappelle aussi que ces discussions sur l’augmentation et la mise en œuvre du pare-feu se déroulent de manière parallèle, selon un calendrier synchrone avec l’augmentation des moyens affectés au Fonds monétaire international. C’est la prochaine étape. Nous en discuterons probablement ce week-end à Mexico dans le cadre du G20 finances. Cela fera partie des discussions qui se dérouleront d’ici à la fin du mois de mars à un niveau plus élevé.

Pour ce qui est de la taxe sur les transactions financières, beaucoup ont rappelé qu’ils l’avaient toujours appelée de leurs vœux et affirmé qu’ils l’auraient voulue plus large, mais tout en regrettant que nous soyons les premiers à la mettre en œuvre et en considérant que le calendrier était un peu précipité, que finalement ça n’avait guère de sens parce qu’il faudrait le faire au niveau européen… Je ne suis pas certain que Descartes retrouve ses enfants dans cette affaire !

En tout cas, ce dont je suis sûr, c’est que notre politique est cohérente avec ce que nous avons toujours dit au sein du G20 et plaidé devant la Commission européenne. Bien sûr, nous souhaitons que ce dispositif se retrouve au niveau des directives européennes, mais le texte qui vous est présenté n’est pas incompatible avec la poursuite des discussions à l’échelle européenne. Nous allons poursuivre notre démarche avec l’Allemagne et d’autres partenaires, dans le cadre d’une coopération renforcée, pour avoir une taxe sur les transactions financières dont la voilure puisse être la plus large possible et le calendrier le plus rapproché. Ainsi, cette taxe européenne prendra la place de ce dispositif.

Il reste que nous ne souhaitions pas attendre un ou deux ans, le temps de la formulation de la directive, et que nous voulions mettre en œuvre ce dispositif comme l’avait proposé le Président de la République.

Nous nous sommes en partie inspirés de la stamp duty britannique, notamment de son système de recouvrement. C’est, en tout cas, surtout cela qui a nourri ma réflexion. Toutefois, notre dispositif n’en reprend pas toutes les exemptions : ainsi, les activités pour compte propre des banques ne sont pas exonérées.

Nous avons également pris comme source d’inspiration un excellent amendement, signé Nicole Bricq, sur le trading à haute fréquence, que j’avais lu avec beaucoup d’intérêt et qui n’avait pas pu trouver sa place dans les textes précédents. Madame le rapporteur général, je me permettrai donc de vous envoyer à vous aussi quelques droits d’auteurs si, d’aventure, ce dispositif est voté ! Toutefois, votre proposition laissait à l’écart certains acteurs non bancaires du trading à haute fréquence, ce qui n’est pas le cas de notre projet.

Nous nous sommes, enfin, inspirés de l’impôt de bourse, mais pas pour le restaurer puisque, en réalité, il en est très éloigné. Nous avons surtout évité d’en reproduire les dysfonctionnements. L’impôt de bourse était plafonné ; la TTF ne le sera pas. L’impôt de bourse était facilement contournable ; ce n’est pas le cas de la TTF, qui frappe les transactions réalisées sur les actions d’entreprises françaises dont le siège est en France, quelle que soit leur localisation.

Enfin, s’agissant de la taxation des CDS à nu, la taxe anticipe effectivement le projet européen qui vise à dissuader ces comportements spéculatifs. On peut le déplorer, le regretter ou considérer que, dans son application, cela ne servira qu’un ou deux mois. On peut aussi se féliciter de la constance de l’objectif du Gouvernement en la matière, à savoir demander au secteur financier d’apporter sa juste contribution à la résorption de la crise qui nous frappe ! §

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