Monsieur Reichardt, excusez-moi de me répéter, mais il vous arrive aussi de le faire, et parfois jusqu’à cinq heures du matin !
Il est totalement irresponsable de proposer la multiplication des constructions en PPP, alors que, selon le récent rapport de la Cour des comptes sur les partenariats public-privé pénitentiaires, l’engagement de l’État dépasse déjà 1 % du PIB. En outre, ce rapport souligne que le « postulat de surcoût de la gestion publique […] ne résiste pas à l’examen », ce que vient brillamment de démontrer le président de la commission des lois et ce que corroborent également les expériences britanniques menées en la matière depuis le début des années quatre-vingt.
La situation devient vraiment totalement irréaliste lorsque l’on constate que le Gouvernement multiplie les partenariats public-privé sur des objets où, in fine, c’est l’État qui, seul, paiera. Mes chers collègues de la minorité sénatoriale, pardonnez-moi, mais de tels dispositifs extrabudgétaires lui permettent de cacher des dépenses sous le tapis, un peu comme on y dissimule la poussière !
Il nous est donc aujourd'hui proposé de continuer à fonctionner de cette façon, alors pourtant que le Président de la République – dont il ne faut surtout pas dire qu’il sera peut-être candidat à sa réélection – défend quotidiennement une supposée règle d’or, laquelle ne s’appliquera en fait qu’à une partie de plus en plus faible des dépenses d’investissements de l’État. La supercherie n’est pas loin ! En tout cas, une menace énorme de plus pèse sur la crédibilité de l’État à tenir ses engagements financiers.
Une telle loi de programmation aurait mérité d’être débattue non pas quelques semaines avant la fin d’une législature, mais au début d’un mandat : il y va de la tradition républicaine et du respect des électeurs !
Par ailleurs, elle est de nature à inspirer une inquiétude majeure sur le plan financier, portant sur l’asphyxie du budget du ministère de la justice. En effet, selon la Cour des comptes, les dépenses pour les établissements en PPP étaient déjà de 81 millions d’euros en 2011, avant même cette dernière programmation. Elles s’établiront à 117 millions d’euros en 2011, à 578 millions d’euros en 2017 et seront ensuite supérieures à 700 millions d’euros annuels pendant une quinzaine d’années.
Le budget global de l’administration pénitentiaire devra donc, à moyens et fonctionnement constants, augmenter de plus de 15 % à l’échéance de 2017 et de plus de 20 % quelques années plus tard. En outre, cette estimation ne prend pas en compte les besoins en personnels de réinsertion – il faudra sans doute en recruter autour de 1 000 – et en personnels de surveillance – 6 000 environ –, qui auront forcément une incidence sur les prévisions de croissance du budget du ministère de la justice. Or, nul ne peut le nier, ces recrutements sont indispensables puisque, sans personnels complémentaires, c’est à la fois le suivi des détenus et la capacité de réinsertion qui seraient remis en cause.
Cette programmation engendrerait donc, à rapide échéance, une augmentation exponentielle des dépenses, laquelle n’est pas réaliste dans les circonstances actuelles et aurait, monsieur le garde des sceaux, de lourdes conséquences sur les budgets des autres missions de votre département ministériel. Une telle situation est de fait particulièrement inquiétante pour l’efficacité de la justice ainsi que pour sa capacité à conduire une exécution des peines efficace et rapide.
Elle est inquiétante, ne serait-ce que pour des questions de gestion financière : le coût d’une journée de détention est estimé à 71, 10 euros, quand celui d’une semi-liberté est de 47, 81 euros et celui du placement extérieur de 40 euros, le bracelet électronique ne coûtant, pour sa part, que 5, 40 euros par jour. Ces chiffres devraient faire réfléchir, indépendamment même de l’efficacité de la sanction et de la réinsertion.
Enfin, si la majorité des condamnations à de courtes peines étaient exécutées en milieu ouvert, le parc carcéral actuel suffirait amplement.
Pourquoi avoir fait le choix d’établissements à si grande capacité alors que la plupart des professionnels considèrent qu’un établissement pénitentiaire ne devrait pas accueillir plus de 500 personnes ? Or, dans votre projet, les capacités d’accueil sont portées à 650 places en moyenne !
Dans ces nouveaux établissements surdimensionnés, la vidéosurveillance remplace les rapports humains. Or, en matière de gestion et d’efficacité de la sanction, comme s’agissant de la protection, on ne peut trop demander aux caméras !
Comme l’indiquait fort justement le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, nous sommes arrivés à l’ère de « l’industrialisation de la captivité », avec des conséquences lourdes sur la capacité des détenus à se réinsérer, laquelle devrait pourtant être notre préoccupation essentielle.
Monsieur le garde des sceaux, votre proposition de créer 30 000 places de prison supplémentaires, alors que le mandat présidentiel touche à sa fin et que le nombre de détenus a augmenté de 25 % en dix ans, souligne l’échec d’une politique qui relève de la fuite en avant répressive.
L’orientation est douteuse tant sur le plan de l’efficacité que sur celui de notre conception de la justice.
L’orientation est coûteuse pour nos finances.
Dans ces conditions, nous ne pouvons bien évidemment soutenir l’amendement n° 31.
En revanche, nous saluons une fois de plus le travail de Mme la rapporteur.