Cet amendement vise à supprimer l’article 4 E, ajouté au projet de loi par la commission des lois, qui reprend les dispositions de la proposition de loi relative à l'atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d'un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits, adoptée par le Sénat le 25 janvier 2011. Le Gouvernement, représenté par Nora Berra, s’y était alors opposé.
L’article 4 E prévoit la réduction d’un tiers de la peine encourue lorsque le condamné est atteint d’un trouble mental altérant ses facultés ou son discernement. Je demande au Sénat de bien noter qu’il s’agit d’une réduction automatique ; c’est là qu’est le problème.
Quel est l’état actuel du droit ? La proposition de la commission des lois constitue-t-elle un progrès ? Je rappelle que l’article 122-1 du code pénal, adopté en 1992, a été élaboré sous l’autorité de Robert Badinter. Cet article distingue deux hypothèses : soit le trouble mental a aboli le discernement de la personne – celle-ci est alors pénalement irresponsable –, soit il l’a seulement altéré – la personne demeure alors pénalement responsable, la juridiction devant toutefois tenir compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. C’est de manière tout à fait volontaire que le législateur a choisi de ne pas être plus précis sur les conséquences que la juridiction doit tirer de l’existence d’un trouble mental altérant le discernement de la personne.
Ce choix se justifie pour deux raisons. D'une part, la notion de trouble altérant le discernement peut recouvrir des situations extrêmement diverses dans leur nature comme dans leur gravité, depuis l’altération très légère jusqu’à l’altération très importante. D'autre part, s’il faut laisser la possibilité à la juridiction d’être moins sévère – c’est le plus souvent le cas –, il faut aussi lui permettre de l’être davantage, si cela s’avère nécessaire en raison notamment de l’extrême dangerosité de la personne.
Du reste, le législateur l’a lui-même reconnu. La loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, dite « loi Guigou », qui a créé la peine complémentaire de suivi socio-judiciaire avec injonction de soins, a aggravé la répression à l’encontre des personnes susceptibles de faire l’objet d’un traitement – ces dispositions se trouvent à l’article 131-36-4 du code pénal. Il s'agit bien de personnes atteintes d’un trouble mental altérant leur discernement.
En raison de son caractère général et systématique quelles que soient les circonstances, la réduction d’un tiers de la peine encourue proposée par le Sénat me paraît juridiquement très contestable et particulièrement inopportune. Je crois que cette mesure constituerait une véritable régression par rapport aux dispositions adoptées en 1992 et en 1998. C'est la raison pour laquelle j’estime, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous devriez voter l’amendement du Gouvernement.
Imagine-t-on, par exemple, que l’auteur de multiples viols et assassinats commis dans des circonstances odieuses, que les experts ont déclaré pénalement responsable tout en reconnaissant que son discernement est très légèrement altéré – ce qui le rend plus dangereux –, puisse échapper à la réclusion alors même que la cour d’assises estime que cette peine est justifiée ? Il peut s’agir d’un trouble de la personnalité, comme par exemple une psychopathie, que la plupart des psychiatres considèrent comme incurable. Or la réduction d’un tiers de la peine s’appliquerait à tous, sans que soient prises en compte la personnalité de l’accusé et la nature de l’altération de son discernement.
Je le répète, je pense que les dispositions que vous avez introduites ne constituent pas un progrès par rapport à celles qui avaient été adoptées sur l’initiative de M. Badinter et Mme Guigou, et que l’on devrait s’en tenir aux lois de 1992 et 1998, qui, à mon sens, donnent entièrement satisfaction puisqu’elles laissent la possibilité au juge d’apprécier chaque cas particulier et de peser le degré d’altération dont sont « victimes » les personnes qui ont commis tel ou tel crime ou infraction. Je demande donc au Sénat de bien réfléchir à cette question et d’adopter l’amendement de suppression présenté par le Gouvernement.