Le Gouvernement ne sera pas surpris que je vote contre son amendement dans la mesure où l’article qu’il vise à supprimer a pour but de donner vie, ou du moins de donner une chance, à une proposition de loi que, pour la plupart d’entre vous, mes chers collègues – à l’exception, bien entendu, de ceux qui ne sont parmi nous que depuis septembre dernier –, vous avez déjà voté en janvier 2011. Robert Badinter l’avait votée bien sûr lui aussi.
Cette proposition de loi a une histoire. Elle est le résultat d’une mission sénatoriale d’information commune aux commissions des lois et des affaires sociales, qui avait travaillé sur le thème de la prison et la maladie mentale, et à laquelle ont participé Gilbert Barbier, Christiane Demontès, Jean-Pierre Michel et moi-même.
Nous avions dans un premier temps, après de nombreuses auditions et visites, estimé que, pour au moins 10 % – à mon avis, ce chiffre est encore loin de la réalité – des personnes détenues dans les prisons de la République, la peine n’avait strictement aucun sens. Je rappelle que le Sénat avait introduit dans la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 des dispositions sur le sens de la peine.
Ceux qui visitent de temps à autre des établissements pénitentiaires, notamment des établissements comme celui de Château-Thierry, parfois surnommé « la maison des fous », ceux qui ont en mémoire les nombreuses personnes au regard halluciné qu’ils ont croisées, savent à peu près à quoi je fais allusion. Je ne parle même pas des personnes qui, lorsque vous entrez dans la prison à huit heures du matin, sont en train d’attendre le train, et l’attendent toujours à dix-huit heures lorsque vous partez…
Il y a donc dans les prisons de la République environ 10 % de personnes qui auraient dû être déclarées irresponsables par les cours d’assises, autrement dit 10 % de personnes dont le discernement était aboli au moment des faits mais qui ont été jugées responsables de leurs actes malgré cette abolition de leur discernement.
Qu’est-ce qui explique cette situation ? J’en ai parlé avec les présidents de cour d’assises ; ils m’ont répondu que, compte tenu de l’état de la psychiatrie en France et de ses évolutions, qui ne sont pas toutes condamnables – je pense notamment au développement de la psychiatrie ambulatoire –, il n’existe aucune solution pour ces personnes. Par conséquent, la seule façon de protéger la société est de les incarcérer. Certains de ces présidents de cour d’assises ont ajouté qu’ils disaient aux jurés qu’il leur appartenait de décider, sachant que, s’ils estimaient que le discernement de l’accusé était aboli au moment des faits, ce dernier sortirait peut-être dans quinze jours, un mois ou six mois, sans que la société en soit protégée.
Dès lors, que se passe-t-il ? Non seulement les personnes atteintes de troubles mentaux sont condamnées, mais elles le sont beaucoup plus sévèrement que les personnes saines d’esprit. En clair, pour le même crime, vous serez condamnés à dix ans d’emprisonnement si vous êtes sain d’esprit et à quinze ans si vous êtes malade mental… Trouvez-vous cette situation tolérable dans une démocratie avancée comme la nôtre ?
À l’issue de notre mission commune, nous avions fait ensemble quelques propositions, qui ont été reprises dans une proposition de loi, afin de restituer la véritable intention du législateur. Pour ma part – je peux me tromper –, je ne fais pas la même analyse que le garde des sceaux : lorsque le législateur précise qu’il faut tenir compte de l’altération du discernement pour fixer la durée de la peine et ses modalités d’exécution, je comprends que la maladie mentale doit être considérée comme une circonstance atténuante et non comme une circonstance aggravante.
C’est la raison pour laquelle nous avons proposé que, dans de tels cas, la peine d’emprisonnement encourue soit diminuée du tiers. Mais, pour ne pas mettre, comme l’a dit Mme Borvo Cohen-Seat, la société en danger, nous avons, en quelque sorte, « compensé » cette disposition en prévoyant des injonctions de soins spécialement incontournables.
J’ajoute, mes chers collègues, que si vous rejetiez l’amendement du Gouvernement vous ne feriez que permettre la mise en place d’une navette parlementaire un peu particulière. La proposition de loi relative à l’atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits a été adoptée, à la quasi-unanimité, par le Sénat en janvier 2011. Voilà donc plus d’un an que nous attendons de l’Assemblée nationale qu’elle fasse montre de bonne volonté et l’inscrive à son ordre du jour.
Le cas n’est d’ailleurs pas rare : pour la proposition de loi relative à la législation funéraire, qui nous avait réunis, M. Sueur et moi-même – lui comme auteur, moi comme rapporteur –, nous avions dû attendre plus de deux ans, …