Intervention de Mireille Schurch

Réunion du 17 janvier 2012 à 14h30
Débat sur l'état des négociations internationales climatiques

Photo de Mireille SchurchMireille Schurch :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, que les États s’engagent alors que s’achève le protocole de Kyoto, seul traité qui les lie aujourd'hui, à fournir les efforts nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et pour contenir ainsi le réchauffement de la planète à un niveau supportable, tel était l’enjeu des négociations sur le climat qui se sont tenues en Afrique du Sud en décembre dernier.

Or, après les échecs de Copenhague et de Cancún, le même constat s’impose : l’égoïsme des États a encore prévalu.

De nouveau, les négociations ont mis à jour le faible volontarisme des États et, pis, le désintérêt des grandes puissances alors même que progressent les thèses « climato-sceptiques » et que les émissions mondiales d’équivalent CO2 progressent de près de 5 %.

Dans le même temps, la crise financière relègue au second plan la crise climatique et écologique. Ainsi, en France, la crise économique a eu un effet paralysant sur le Grenelle de l’environnement ou, plus exactement, sur sa traduction en règles juridiques précises et contraignantes.

Pourtant, en 2008, le Président Sarkozy affirmait que « la crise financière et la crise économique ne [faisaient] que renforcer la nécessité de la révolution environnementale ». « L’on ne doit pas retarder cette révolution, on doit l’accélérer justement parce qu’on doit produire autrement », disait-il aussi alors, ajoutant que les engagements du Grenelle de l’environnement constituaient « une réserve de croissance fantastique ».

Si le Gouvernement actuel a renoncé à cet objectif – mais je ne doute pas que Mme la ministre cherchera à démontrer qu’il n’en est rien – et si, pour la majorité, ce n’étaient que des déclarations d’intention, nous estimons à l’inverse qu’il s’agit là d’une réalité, nationale et mondiale, et que la révolution environnementale doit bien avoir lieu.

Pour l’heure, cette révolution est loin d’avoir été accomplie. Les réponses apportées à la lutte contre le changement climatique, au niveau tant européen qu’international, sont inquiétantes : elles révèlent un dangereux glissement politique vers un système non contraignant de limitation des émissions de gaz à effet de serre qui exonère de leur responsabilité les grandes puissances et confie la préservation du climat aux seuls outils du marché, malgré les effets pervers, comme la délocalisation d’activités émettrices dans les pays du Sud, l’opacité dans l’attribution des permis d’émission pour les secteurs économiques concernés ou l’effondrement du prix de la tonne d’équivalent carbone, que ces outils induisent.

Lors des dernières négociations, les seuls engagements chiffrés ont concerné le principe d’une aide des pays industrialisés aux pays en développement pour leur permettre de « s’adapter » au changement climatique. Ainsi, la lutte contre le réchauffement climatique cède le pas à l’adaptation à ce bouleversement.

Dans le même temps, les politiques de l’Union européenne sont en contradiction avec les engagements pris à la fin de l’année 2008 dans le cadre du paquet énergie-climat ainsi qu’avec les objectifs de réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, d’augmentation de la part des énergies renouvelables et d’économies d’énergie.

Nous assistons, par exemple, à des importations massives d’agro-carburants, dont la production entraîne une déforestation dans les pays du Sud. De même, l’exploitation des gaz et huiles de schiste est promue dans plusieurs pays de l’Union européenne.

En toile de fond, un vaste mouvement de privatisation est à l’œuvre qui concerne des services et des entreprises publiques constituant pourtant de véritables leviers pour accélérer la transition énergétique et l’émergence d’une économie décarbonée.

En France, le démantèlement progressif de l’entreprise publique SNCF continue, alors que l’ouverture à la concurrence de l’activité de fret a provoqué un transfert du rail vers la route, en totale contradiction avec l’objectif, énoncé par l’article 11 de la loi dite Grenelle 1, de « faire évoluer la part modale du non-routier et non-aérien de 14 % à 25 % à l’échéance 2022 ».

Pour ce qui est de l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments, lesquels représentent 43 % de la consommation d’énergie finale dans notre pays, l’absence de volontarisme budgétaire couplée à la RGPP, la révision générale des politiques publiques, prive l’État, les collectivités territoriales et les organismes parapublics des moyens indispensables pour accélérer la construction et la rénovation énergétique des parcs de logements sociaux.

Les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre ne peuvent être systématiquement repoussés à des horizons très lointains et formulés sans engagement juridique contraignant sur le plan international. Nous devons trouver aujourd’hui des solutions contraignantes pour remédier aux déséquilibres d’hier et éviter les catastrophes de demain.

En fait, la crise climatique fait écho à la crise financière ; les limites des négociations et des outils de régulation proposés révèlent les limites du système capitaliste actuel.

Il est nécessaire de rappeler que les deux crises – l’une économique, l’autre écologique – ne sont pas dissociables, mais ont des racines communes.

À l’origine de l’une et de l’autre, en effet, se trouve un problème lié à la place de l’humain dans la société : nous ne pouvons plus considérer les hommes et les femmes comme de simples consommateurs.

L’une comme l’autre, ces crises révèlent les limites d’un rapport au temps fondé uniquement sur le court, voire le très court terme. L’une comme l’autre, elles suscitent un questionnement qui n’est pas uniquement technique, mais également moral. L’une comme l’autre, elles nous invitent à repenser l’entreprise et son rôle dans la perspective de sa responsabilité sociale.

La réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l’habitat, l’agriculture et les transports ne peut résulter des seuls mécanismes du marché ; elle suppose nécessairement la mise en œuvre d’autres instruments, via la fiscalité, la réglementation et les investissements publics.

C’est pourquoi nous refusons que la prise en compte des enjeux environnementaux dans nos sociétés soit considérée comme une préoccupation annexe. Parce que la préservation de la planète passe par la lutte contre le dumping social et environnemental, la question du climat doit sortir du cadre des débats d’experts et être rendue plus accessible en même temps qu’il faut amener l’ensemble des États à prendre des engagements contraignants.

La France et l’Europe ont un rôle majeur à jouer. Elles doivent se donner les moyens de leurs ambitions et ne pas reculer.

Nous pouvons être un modèle en matière de développement durable. Par exemple, dans les schémas de cohérence territoriale, des objectifs de mobilité propre, de préservation et de valorisation de la continuité écologique sont souvent intégrés. Nous devons continuer à promouvoir de telles actions et nous donner les moyens de le faire.

À l’heure de la crise, il est temps de dépasser l’écologie-spectacle et l’écologie-business pour entrer enfin dans l’écologie-raison !

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