La seconde est de considérer les efforts nécessaires pour lutter contre le changement climatique à l’échelle planétaire. De ce point de vue, il est tout aussi incontestable qu’il nous reste beaucoup à faire et peu de temps pour agir.
Après la déception de Copenhague, la conférence de Cancún, qui s’est tenue l’an dernier, avait permis de remettre le processus onusien sur des rails. Cela étant acquis, nos objectifs en allant à Durban étaient forcément plus ambitieux.
Notre premier objectif était d’obtenir une feuille de route avec un calendrier précis pour un nouvel accord mondial juridiquement contraignant, destiné à remplacer ou compléter, tout en le prolongeant, le protocole de Kyoto. Cet accord devait absolument comprendre des engagements de réduction des émissions pour tous les pays, à l’exception des plus pauvres et des moins développés. Les engagements devaient donc également concerner les pays émergents, dans un souci d’efficacité environnementale mais aussi diplomatique, afin d’éviter que certains pays, à l’instar des États-Unis, ne continuent à se cacher derrière le manque d’engagement de grands pays émergents comme la Chine ou l’Inde.
Cette feuille de route devait aussi – c’était le deuxième objectif – s’accompagner d’une deuxième période d’engagement du protocole de Kyoto à partir de 2013, pour éviter qu’il n’existe un vide juridique entre la fin de la première période d’engagement, en 2012, et l’entrée en vigueur du grand accord global que nous attendons tous.
Notre troisième objectif, dont on a moins parlé, était d’encourager les pays à tenir et même à renforcer leurs engagements volontaires de réduction des émissions dans les années précédant l’entrée en vigueur du nouvel accord, afin d’orchestrer une montée en puissance des efforts de lutte contre le changement climatique.
Enfin, notre quatrième et dernier objectif était d’obtenir la création du fonds vert pour le climat et de tracer des perspectives raisonnables s'agissant de son financement. Pour ce faire, nous comptions sur l’unité et la force des propositions de l’Union européenne.
Je crois que, au terme d’intenses négociations, nous avons atteint ces quatre objectifs, même si, je le répète, je comprends qu’on puisse critiquer ces résultats au regard de l’ampleur des efforts nécessaires pour aller au bout de nos objectifs de lutte contre le changement climatique.
La « plateforme de Durban » constitue une feuille de route pour un accord juridique mondial s’appliquant à toutes les parties. Mine de rien, cela faisait dix ans que l’on essayait de convaincre les pays émergents tels que la Chine ou l’Inde, ainsi que certains pays développés, comme les États-Unis, qui se cachaient derrière les premiers.
Les négociations en vue d’un nouvel accord vont donc pouvoir commencer au début de l’année 2012. Elles devront aboutir avant 2015 ; le calendrier est strict. Je tiens à rassurer Marie-Thérèse Bruguière : les engagements inscrits dans ce nouvel accord auront force légale – ce point a fait l’objet de négociations particulièrement serrées –, et ils prendront effet d’ici à 2020 au plus tard.
Non seulement la conférence a permis d’engranger ce résultat, mais en outre l’accord signé par les parties reconnaît explicitement l’écart existant, au niveau mondial, entre les engagements de réduction d’émissions à l’horizon 2020 pris par les pays et l’objectif mondial de limitation de la température moyenne à 2 degrés au-dessus des niveaux préindustriels. Bref, dans le même temps qu’on a fixé une feuille de route, on a reconnu l’urgence de se mettre d’accord et l’insuffisance des résultats obtenus jusqu’à présent.
La conférence a donc permis de lancer une série de travaux qui permettront de relever progressivement les niveaux d’ambition ; ce processus devrait se trouver renforcé par le prochain rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC.
Les participants à la conférence sont également convenus, en accord avec la position européenne, dite « Kyoto plus », d’adopter une deuxième période d’engagement du protocole de Kyoto en parallèle au lancement d’une négociation globale pour tous les pays sur la réduction des émissions. Sur ce point, l’accord n’est certes pas très clair et sa précision laisse franchement à désirer : les détails concernant les conditions de mise en œuvre ne sont pas nombreux. Il reste que cet accord existe.
Parmi les détails qui doivent être réglés dans les prochains mois, selon un calendrier qui, lui, est clair, figurent notamment les objectifs précis de réduction des émissions – les propositions de l’Union européenne sont connues, et nous espérons y associer un maximum de pays –, la durée de la période d’engagement – l’horizon sera-t-il 2017, 2018 ou encore 2020, date butoir pour la mise en œuvre de l’accord global – et un processus pour gérer les excédents de permis d’émissions. Ce dernier point est particulièrement sensible, puisqu’il est facteur de division jusqu’au sein de l’Union européenne, entre les pays d’Europe de l’Est – vous vous rappelez que la Pologne assurait la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne au moment des négociations de Durban –, qui disposent de réserves de quotas d’émissions et aimeraient pouvoir les reporter sur la nouvelle période d’engagement du protocole de Kyoto, et d’autres pays, dont la France, qui se veulent garants de l’intégrité environnementale de ce protocole.
Les participants à la conférence ont également décidé la création du fonds vert pour le climat. Ce point mérite évidemment d’être développé.
Nous avons lancé un programme de travail relatif aux sources de financement à long terme dont pourraient bénéficier les pays en voie de développement ; il nous faut 100 milliards de dollars par an à partir de 2020.
Ce programme de travail fait explicitement référence aux avancées obtenues par la France, durant sa présidence du G20, en matière de financements innovants. Cette jonction entre des négociations climatiques dans le cadre de l’ONU et des négociations à forte composante financière dans le cadre du G20 était très importante.
D’autres progrès ont été enregistrés sur plusieurs aspects du régime climatique international, par exemple le lancement de travaux qui viendront le compléter s’agissant du lien entre climat et agriculture, au terme d’une facilitation menée par la France, et notamment par moi-même. Ce nouveau champ d’action est essentiel ; je fais là écho à l’une des observations de Marcel Deneux.
Ces résultats sont significatifs à l’échelle des négociations internationales sur le climat, et peut-être même au-delà. Il faut se réjouir que nombre d’États d’Afrique et d’Amérique latine, le groupe des Pays les moins avancés et l’Alliance des petits États insulaires se soient joints à l’Union Européenne pour plaider en faveur de cette feuille de route pour un nouvel accord. De nouvelles convergences diplomatiques émergent donc à l’occasion de ces négociations sur le climat.
En travaillant avec nos partenaires européens, nous avons été en mesure de faire bouger les lignes et de conduire les grands pays émetteurs, qu’ils soient développés, comme les États-Unis, ou émergents, telles la Chine ou l’Inde, à cesser de se regarder en chiens de faïence.
Cependant, il ne serait pas juste de conclure sans regretter de n’avoir pu aller plus loin sur certains sujets : nous avons encore beaucoup à faire dans les mois qui viennent. Peut-être qu’une mobilisation plus forte – notamment de ceux qui ont critiqué ensuite les insuffisances de l’accord – avant la conférence de Durban nous aurait aidés à aller plus loin.
Je voudrais en tout cas souligner l’importance de deux des défis qu’il nous reste à relever.
Le premier défi concerne la période de transition jusqu’à l’entrée en vigueur de l’accord global.
Cette période doit être un moment de montée en puissance de la mobilisation, et non de relâchement de l’effort. Nous savons en effet, grâce notamment aux travaux du Programme des Nations unies pour l’environnement, que l’écart ne cesse de se creuser entre les objectifs retenus par la communauté internationale dans son ensemble et les actions décidées par les États. On ne peut pas attendre 2020 pour combler cet écart !
Dans ce contexte, on ne peut que regretter que trop peu de pays se soient engagés à suivre l’Union européenne dans une deuxième période d’engagement du protocole de Kyoto, et déplorer qu’un pays comme le Canada s’en soit même retiré dès le lendemain de la conférence de Durban – ce qui a été ressenti par beaucoup de participants comme une véritable provocation –, en escomptant ainsi échapper aux conséquences du non-respect de ses obligations au titre de la première période d’engagement, alors que cela ne fait qu’ajouter un deuxième défaut au premier.
Chaque État reste comptable de ses actes, notamment devant les pays les plus pauvres et les plus vulnérables au changement climatique. Tous doivent s’engager de manière constructive d’ici à 2015. Ces engagements pourront être mis en œuvre sans délai dans de nombreux États, d’autant que cette date correspond à des échéances importantes dans des pays comme la Chine ou les États-Unis.
Pour ce qui nous concerne, nous ferons des propositions à nos partenaires européens pour dessiner les contours du futur accord et faire en sorte que la période de transition précédant son entrée en vigueur soit mise à profit pour relever l’ambition de la communauté internationale. Ce seront, avec la capitalisation du fonds vert pour le climat, nos objectifs pour la conférence de Doha. Cette précision me permet de répondre à une question de Marie-Thérèse Bruguière.
Le second défi que nous devons relever concerne le mode de gouvernance des questions environnementales à l’échelle mondiale.
La conférence de Durban a montré encore une fois les limites d’un modèle de négociation. Certains d’entre vous l’ont d'ailleurs souligné ; d’autres ont pu s’en rendre compte sur place. Comment peut-on remettre du souffle dans la négociation ? Il faut probablement l’ouvrir pour lui donner une nouvelle respiration.
Il existe peu de négociations internationales qui présentent la double caractéristique suivante. D’une part, les bénéfices de l’action conjointe sont évidents : ce n’est qu’ensemble que nous arriverons à stabiliser la hausse des températures et, si nous n’y parvenons pas, nous aurons tous à en souffrir. D'autre part, les mesures requises pour obtenir les bénéfices importants qui nous attendent, y compris en termes d’emplois, supposent que chaque État enclenche des processus de transformation économique avec une pluralité d’acteurs qui n’y ont pas forcément été sensibilisés en amont ; elles supposent également une coopération internationale qui repose sur d’autres bases que la seule concurrence économique.
La réforme de la gouvernance mondiale de l’environnement sera pour la France l’un des grands enjeux de la conférence de Rio, qui se tiendra à l’occasion du vingtième anniversaire du Sommet de la Terre, en juin prochain.
Une des composantes essentielles de cette réforme consistera à mieux y associer les acteurs non étatiques – entreprises, syndicats, ONG, collectivités territoriales – afin de les préparer en amont aux mutations auxquelles ils seront confrontés et auxquelles ils devront participer. C’est pourquoi nous organiserons, Alain Juppé et moi-même, le 31 janvier, une réunion destinée à recueillir les propositions de ces acteurs. Ce sera aussi une manière d’aborder les questions d’environnement dans leur globalité, notamment dans leur lien avec la régulation économique – c’est une préoccupation que beaucoup d’entre vous, à l’instar de Ronan Dantec, ont exprimée –, et de travailler à une réforme de la gouvernance globale.
En conclusion, je voudrais souligner à nouveau que la conférence de Durban constitue une avancée significative.
Elle a consacré le principe selon lequel le changement climatique doit être traité dans le cadre du droit international et non du pur volontarisme national, comme l’a rappelé Marie-Hélène Des Esgaulx.
Elle a fait admettre aux grandes économies émergentes, pour la première fois, l’idée que leurs engagements en matière d’émissions doivent être inscrits dans un cadre ayant force de loi.
Elle a permis la création du fonds vert pour le climat, avec un programme de travail sur les financements innovants. Je souhaite que ce fonds soit alimenté par les financements innovants, y compris la taxe sur les transactions financières, à laquelle j’ai toujours été favorable et qui devra être appliquée de la manière la plus large possible afin d’être à la hauteur des enjeux que nous venons d’évoquer.
Le chemin qui reste à parcourir est important. Je peux faire miens certains mots – mais pas tous – de Raymond Vall. Les décisions prises à Durban ne suffiront pas à limiter le réchauffement de la planète à 2 degrés au-dessus des niveaux préindustriels. Cependant, nous avons franchi ensemble une étape, claire et essentielle ; celle-ci nous rapproche de notre objectif.