Intervention de Jean-Jacques Filleul

Réunion du 6 mars 2012 à 14h30
Majoration des droits à construire — Adoption en nouvelle lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Jacques FilleulJean-Jacques Filleul :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le logement est un bien de première nécessité. Chaque citoyen devrait pouvoir accéder à un logement décent pour un prix abordable. Or, depuis quelques années, la pénurie de logements, notamment de logements sociaux, crée, pour de très nombreuses familles, des conditions de vie extrêmement difficiles. Il est de notre devoir à tous de trouver des solutions appropriées à ces situations.

Permettez-moi de rappeler des chiffres qui ont été largement cités lors de l’examen en première lecture de ce texte : 10 millions de personnes subissent, à des titres divers, la crise du logement ; 3, 6 millions d’entre elles sont mal logées ; 1, 2 million de ménages attendent que leur soit attribué un logement social décent.

Pour les raisons déjà évoquées, le texte que le Sénat examine aujourd'hui en deuxième lecture n’aura, malheureusement, aucun effet sur cette crise du logement. Pour l’essentiel, la majoration des droits à construire aggravera la rétention du foncier et contribuera à l’augmentation de la valeur vénale des terrains et des biens immobiliers. Chacun en convient, en particulier les professionnels de la construction, qui, dans leur grande majorité, aspirent à ce que ce texte ne soit, au final, jamais appliqué.

Quand le Président de la République a annoncé très solennellement la majoration de 30 % des droits à construire, à la fin du mois de janvier, nous aurions pu imaginer qu’il s’agissait là d’une véritable révolution du droit de l’urbanisme. Mais cette mesure va finalement faire « pschitt », pour reprendre une expression employée, dans un tout autre contexte, par un ancien Président de la République.

En réalité, nous ne rencontrons pas, y compris sur le terrain, de catégories de citoyens qui nous demandent de soutenir votre texte, monsieur le ministre. Ce projet de loi apparaît surtout comme un moyen d’obliger les communes à délibérer sur une mesure dont elles n’ont pas besoin. Je souligne que ces dernières et, plus largement, l’ensemble des collectivités territoriales n’ont nul besoin qu’on leur impose une telle délibération pour prendre conscience du problème du logement.

Monsieur le ministre, comme je le rappelais mercredi dernier, les élus veulent construire. Quelle que soit la taille de leur commune, les maires aspirent à une amélioration de l’habitat ancien, à la construction de nouveaux logements dans les centres-villes, ainsi qu’à un nouvel urbanisme en vue de l’extension des quartiers existants. Mais le désengagement de l’État observé ces dernières années oblige les collectivités à participer fortement au financement.

Finalement, l’article qui a été réintroduit à l’Assemblée nationale ne comporte qu’un élément nouveau : la possibilité, pour le conseil municipal, de décider par le biais d’une délibération, prise dans les neuf mois suivant l’entrée en vigueur du texte, de ne pas appliquer de majoration automatique des droits à construire. Il est injuste de donner ainsi à entendre que les collectivités qui n’utiliseront pas pleinement les possibilités de majoration des droits à construire offertes par la loi seront responsables de la crise du logement. C’est oublier que le maire et son équipe assument au quotidien la mise en œuvre d’un urbanisme acceptable et négocié avec la population ; c’est oublier l’énorme travail que représentent les études préalables à l’établissement des plans locaux d’urbanisme, toujours plus contraignants et exigeants. Monsieur le ministre, vous comprendrez aisément qu’ici, au Sénat, nous ne pouvons accepter une telle mise en cause.

Si votre projet de loi n’est pas acceptable sur le fond, il ne l’est pas davantage sur la forme. Nous l’avons dit et répété : nous ne pouvons cautionner une mesure annoncée dans l’urgence, en toute fin de mandat. Pourquoi une telle précipitation, doublée d’une évidente improvisation ? Monsieur le ministre, s’agissant de ce texte, l’amateurisme est dans votre camp ! Après cinq ans d’exercice du pouvoir, ce n’est pas rassurant…

Sur le logement, beaucoup est dit et écrit. Au cours de la prochaine législature, l’effort devra porter autant sur la construction neuve que sur la réhabilitation des quelque 2 millions de logements vacants. Dès 2007, il aurait fallu réfléchir à une loi-cadre d’envergure, issue d’une concertation avec les associations d’élus et les professionnels du secteur, constructeurs ou aménageurs. Les besoins, les types de logements évoluent avec la société. Le relâchement des liens familiaux, l’accroissement du nombre des personnes vivant seules et de celui des familles recomposées sont autant d’éléments qui devraient obliger à une refonte de la typologie des logements à construire. Cette réflexion manque aujourd'hui.

Monsieur le ministre, l’amendement qui a été à nouveau défendu en commission par M. le rapporteur devrait vous éclairer ! En effet, nous avons besoin de construire en urgence pour répondre à l’attente de nombreuses familles. La situation est terrible : le mal-logement porte atteinte à la dignité de la personne humaine.

L’État ferait œuvre utile en se ralliant à la mesure que nous proposons : il y va de la construction de milliers de logements sociaux. Oui, monsieur le ministre, une telle mesure constituerait un geste fort de la part de l’État, à l’adresse de toutes celles et de tous ceux qui souffrent du mal-logement.

Malheureusement, votre intervention liminaire manifeste que vous persistez dans votre choix initial, qui est contraire au bon sens. Cela est regrettable. Le groupe socialiste n’est toujours pas convaincu du bien-fondé de votre projet de loi, dont le dispositif permettra un effet d’aubaine pour ceux qui ont les moyens d’augmenter la surface de leur maison individuelle. C’est bien peu pour un texte qui devait prétendument fonder une nouvelle vision de l’urbanisme !

Dans ces conditions, le groupe socialiste ne peut que voter le texte présenté par la commission de l’économie. §

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