Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si j’ai annoncé que j’accordais mon parrainage pour l’élection présidentielle à Nicolas Dupont-Aignan, ce n’est pas par convergence idéologique. C’est tout simplement parce que le système des parrainages me paraît scandaleux du point de vue démocratique et que je souhaite aider les petits candidats qui sont victimes de l’hégémonie des deux partis dominants.
Le vrai problème est que les parrainages sont instrumentalisés par ces deux grands partis afin d’empêcher des candidatures concurrentes ou, tout au moins, de leur imposer un handicap disproportionné.
Depuis que les parrainages sont rendus publics, on assiste à des dérives totalement inacceptables. Par des chantages aux subventions, des menaces à l’intérieur des partis politiques et parfois même des violences physiques émanant de contradicteurs forcenés, on essaye de contraindre les maires soit à ne signer pour personne, soit à signer pour l’un ou l’autre des deux partis dominants.
En revanche, lorsque la signature s’oriente vers des courants politiques représentatifs faisant de l’ombre aux deux partis dominants, tous les coups sont permis.
Ainsi, le quotidien Le Figaro du 30 décembre 2011 rapporte que Mme Aubry, avec l’aval de M. Hollande, a fixé ce qu’elle appelle « la feuille de route ». Mais cette feuille de route est lourde de menaces puisqu’elle indique qu’il faut obligatoirement – j’y insiste – « qu’aucun parrainage d’élu socialiste et républicain ne manque à notre candidat ».
À l’UMP, ce n’est pas beaucoup mieux : des pressions tout aussi regrettables sont parfois exercées au niveau local sur tel ou tel maire.
Lors des élections présidentielles de 2002 et de 2007, le Conseil constitutionnel a déploré de multiples cas de pressions pour dissuader les maires de parrainer tel ou tel candidat. Des représailles a posteriori ont aussi eu lieu à l’encontre de maires ayant accordé leur parrainage : chasseurs à l’encontre des parrains d’un candidat écologiste, chantage aux subventions départementales selon l’orientation politique des parrainages, exactions diverses contre les parrains des candidats d’extrême droite ou d’extrême gauche...
Ces pratiques ont, hélas ! tendance à se reproduire. C’est inacceptable, car il s’agit d’une atteinte intolérable à la liberté des élus.
Ainsi, dans le canton dont je suis le conseiller général, deux maires avaient, par le passé, signé en faveur du Front national. L’un a subi des menaces physiques et sa maison a fait l’objet de dégradations : cela l’a tellement ébranlé qu’il a eu un accident cardiaque. Quant à l’autre, le maire d’Ennery, M. Jean-Marie Bauer, il a annoncé solennellement dans la presse locale, en l’espèce Le Républicain Lorrain du 3 janvier 2012 qui lui consacre un article : « Je ne parraine plus personne ! »
Il justifie ensuite cette position, qu’il a dû prendre à regret.
« Je me souviens encore de ce jour d’avril 2002, lorsque toute la presse a publié mon nom au milieu de la liste des 500 maires ayant parrainé Jean-Marie Le Pen. Deux ou trois jours avant la clôture des parrainages, tous les médias parlaient de ses difficultés à obtenir les 500 signatures. J’ai été contacté par un représentant du Front national qui m’a détaillé la situation. Si j’ai répondu favorablement, c’est parce que j’estimais que, dans un pays démocratique, il aurait été anormal qu’un parti avec autant d’électeurs ne pût être représenté à l’élection présidentielle.
« On peut être pour ou contre Le Pen, mais il a quand même le droit d’être candidat. C’est la démocratie. Personne à Ennery ne sait pour qui je vote. Je voulais simplement permettre à un candidat de présenter ses idées aux Français, comme d’ailleurs je l’avais fait pour Dominique Voynet en 1995 !
« Mais, lorsque mon parrainage a été rendu public, certaines personnes sont venues m’insulter. Pendant plusieurs semaines, j’ai vécu un véritable cauchemar. À cause de cela, si, aujourd’hui, l’un des candidats me sollicitait le dernier jour pour obtenir un ultime parrainage, je refuserais. Mais ce serait un crève-cœur, car ce système des parrainages rendus publics est complètement antidémocratique ! Il faut absolument instaurer l’anonymat. »
Ainsi s’exprimait ce maire, dans la presse, voilà quelques semaines. À sillonner mon département, je peux vous dire que, dans leur immense majorité, les maires sont très mécontents du système actuel, qu’ils trouvent profondément antidémocratique.
Cet exemple prouve qu’il faut être d’une totale mauvaise foi pour prétendre que la publicité des parrainages n’est pas incompatible avec l’expression libre et démocratique du suffrage universel.
À juste titre, des milliers de maires et autres parrains potentiels déplorent le détournement de la procédure des parrainages. En effet, les partis politiques dominants et les médias font croire à l’opinion que le parrainage est un soutien politique. Or le but théorique des parrainages est uniquement d’éviter les candidatures marginales ou farfelues. On ne peut pas accepter que ce système serve de prétexte à l’élimination des courants de pensée représentatifs pour les empêcher d’avoir un candidat.
Pis, l’expérience de 2002 a prouvé que le système des parrainages non seulement n’empêchait pas les candidatures marginales, mais risquait d’exclure des courants de pensée parmi les plus importants.
Ainsi, en 2002, malgré le filtre des parrainages, sur les seize candidats qui se sont présentés, neuf ont obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés.
M. Gluckstein est arrivé bon dernier, avec seulement 0, 47 % des suffrages, soit 132 686 voix sur 28 498 471. Bien que sa représentativité ait été quasi nulle, il avait pourtant très rapidement obtenu les parrainages requis ; il en avait même beaucoup plus que nécessaire.
Au contraire, M. Le Pen, lui, est arrivé deuxième au premier tour, avec 4 804 713 voix, soit 16, 86 % des suffrages exprimés, trente-six fois plus que M. Gluckstein. Malgré cette représentativité incontestable, il avait rencontré d’énormes difficultés pour rassembler les parrainages requis. À trente parrainages près, il avait même failli ne pas pouvoir être candidat.
Par conséquent, j’estime qu’il faut, d’une part, rétablir le principe du secret des parrainages afin d’éviter toute pression ou représaille sur des parrains potentiels et, d’autre part, prévoir à titre alternatif que tout parti peut présenter un candidat s’il a obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés lors des précédentes élections législatives.
Par ailleurs, des sanctions pénales sont prévues à l’encontre des personnes qui exercent des pressions sur les électeurs en vue de dénaturer l’expression du suffrage universel. La moindre des choses serait qu’elles s’appliquassent aussi à l’encontre de ceux qui, par des pressions ou des représailles, essayent d’empêcher le parrainage de tel ou tel candidat. Là encore, c’est la sincérité du suffrage universel qui est en jeu.
Si je propose une motion de renvoi à la commission, c’est parce que le projet de loi organique qui nous est soumis nous donne l’occasion de sortir du statu quo. En effet, il modifie l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962, mais de façon très marginale. La diminution de 5 % du taux de remboursement des candidats ne justifiait pas un changement à la dernière minute, juste avant les élections !
Il est regrettable que le Gouvernement ait eu recours à la procédure accélérée sur ce texte, tout en faisant semblant d’ignorer le vrai problème, celui des parrainages, que pose l’article 3 susvisé qui les organise. La moindre des choses aurait été de réformer le système des parrainages en même temps que le taux de remboursement des candidats.
Malheureusement, les deux partis dominants s’entendent pour continuer à profiter d’un système profondément injuste et contreproductif.
En conclusion, si le Gouvernement a raison de déclarer qu’il est urgent de réformer l’article 3 susvisé, il n’y a aucune urgence à bricoler à la marge le remboursement des frais de campagne. La seule urgence légitime réside dans la modification du système scélérat des parrainages.
Je terminerai en rappelant les deux principes auxquels je suis attaché.
D’une part, la publication de la liste des parrainages des candidats aux élections présidentielles porte atteinte au secret d’une partie du processus électoral et, par contrecoup, à la liberté du vote. Il ne sert à rien que le vote soit secret pour empêcher les pressions sur les électeurs si, dans le même temps, la publicité des parrainages permet des pressions pour écarter certaines candidatures.
D’autre part, il est totalement incohérent d’avoir des sanctions pénales dissuasives à l’encontre des menaces ou pressions qui pourraient être exercées sur les électeurs si, dans le même temps, rien n’est prévu à l’encontre de ceux qui exercent des représailles ou font du chantage pour empêcher d’éventuels candidats représentatifs d’obtenir leur parrainage.
Ce projet de loi présente toutefois un intérêt : il démontre que l’on peut, dans l’enceinte parlementaire, évoquer cette question.
Jusqu’à présent, tous les partis politiques dominants, que ce soit le parti socialiste ou l’UMP, ont fait semblant d’ignorer l’existence d’un problème. À la veille des élections, on fait un peu la sourde oreille. Au lendemain des élections, on dit qu’il faut effectivement réformer.
Ainsi, après les élections de 2007, certains dirigeants de l’actuelle majorité gouvernementale ont en effet déclaré qu’il fallait changer le système des parrainages, car il ne convenait pas, mais on s’est empressé de ne rien faire !
C’est bien pis du côté du parti socialiste, car on s’est réjoui quasi ouvertement du fait que le système des parrainages permettait des manipulations, et donc l’élimination de tel ou tel par des pressions sur les uns ou sur les autres. Les propos de Mme Aubry, avec la caution de M. Hollande, lourds de menaces à l’encontre des maires de sensibilité socialiste qui parraineraient quelqu’un d’autre que le candidat officiel, sont très inquiétants pour la démocratie. Nous ne sommes plus à l’époque de Brejnev ni dans la situation de Moubarak !
Comment se déroulaient les élections présidentielles en Égypte ? Pour devenir candidat, il fallait être présenté par un certain nombre de personnes. Mais les présentations étant publiques, les candidats qui voulaient se présenter contre M. Moubarak ne trouvaient jamais personne pour les cautionner !
Si un parrain potentiel signe pour un petit candidat qui recueillera 0, 5 % des suffrages, on s’en réjouit au parti socialiste, car ce n’est ni gênant ni grave. En revanche, si quelqu’un signe pour un candidat susceptible d’être représentatif et d’être présent sur l’échiquier politique, on entre dans la phase de représailles !