La commission a débattu activement de cet amendement, car il pointe un problème qui est au cœur de nos discussions : comme cela a été rappelé à plusieurs reprises, notre réglementation sur les comptes de campagne est relativement floue s'agissant de la campagne pour l’élection présidentielle, et nous n’avons pas les moyens de la faire respecter.
L’avis que la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques peut émettre en amont, sur des transports ou déplacements du Président de la République, pour ne citer qu’un exemple parmi beaucoup d’autres, ne s’impose à personne. Si la Commission maintient son point de vue à l’issue de l’élection, et si l’on ne permet pas – notre assemblée a heureusement voté une disposition le permettant – à un autre candidat de contester la décision devant le Conseil constitutionnel, l’affaire ne va pas plus loin.
Par conséquent, d’éventuelles infractions peuvent apparaître dans un compte de campagne sans que personne puisse émettre de contestation à l’occasion de l’examen du compte par la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques ou par le Conseil constitutionnel. C’est ensuite par la justice que sont révélés un certain nombre de faits.
Cette situation est bien sûr extrêmement choquante. On comprend parfaitement la volonté de M. Collombat – j’espère que beaucoup de sénateurs, de toutes sensibilités politiques, la comprennent – de corriger cette situation, dans l’intérêt de la République et de l’ensemble des candidats à l’élection présidentielle.
Comment pouvons-nous y parvenir ? En l’état, si une infraction – un financement illégal, par exemple – était constatée à l’issue du scrutin dans le compte de campagne du candidat élu – cette hypothèse devient malheureusement plausible –, nous n’aurions pas les moyens de la faire sanctionner. En effet, même s’il s’agissait d’une infraction pénale, celle-ci serait couverte par les dispositions relatives à l’irresponsabilité pénale du chef de l’État. Autrement dit, si un candidat non élu a commis une infraction, il pourra être poursuivi dès lors qu’elle sera découverte ; en revanche, si le candidat élu, c'est-à-dire celui qui porte la responsabilité la plus élevée, a commis une infraction, il ne pourra pas être poursuivi.
La logique voudrait donc qu’il existe un mécanisme et un processus de sanction, ou en tout cas de contrôle, à l’égard du candidat élu, si de telles infractions sont révélées. La seule procédure qui semble pouvoir être utilisée est celle que prévoit l’article 68 de la Constitution en cas de manquement particulièrement grave du chef de l'État à ses obligations.
Si la loi organique nécessaire à l’application de cette disposition entrait enfin en vigueur – le Gouvernement pourra peut-être nous donner des indications sur ce point, nous dire s’il a véritablement l’intention de faire aboutir le processus législatif –, on pourrait considérer, dans la mesure où les avis rendus par la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques et les décisions du Conseil constitutionnel sont rendus publics, que le Parlement serait en mesure d’enclencher la procédure prévue à l’article 68. L’amendement de notre ami Collombat serait donc satisfait, et ce dernier pourrait éventuellement le retirer. Toutefois, encore faudrait-il que le Gouvernement nous donne des indications quant à sa volonté – dont nous doutons aujourd'hui – de rendre enfin applicable la procédure prévue à l’article 68.
À défaut, la commission estime que la sagesse doit l’emporter : son avis n’est ni favorable ni défavorable. En effet, elle considère qu’il appartient à chacun d’entre nous de déterminer si la volonté politique exprimée par le Gouvernement est suffisante pour qu’on puisse attendre la mise en œuvre de l’article 68, ou si, en la matière, le processus législatif est si mal engagé qu’il faut, par un vote clair de notre assemblée, indiquer notre souhait que cesse cette forme d’impunité. C’est évidemment dans cet esprit que M. Collombat a présenté son amendement. La commission s’en remet donc à la sagesse du Sénat.