Intervention de Roland Courteau

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 11 janvier 2012 : 1ère réunion
Conséquences environnementales des essais nucléaires français en polynésie française — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Roland CourteauRoland Courteau, rapporteur :

La conférence des présidents du 14 décembre dernier a prévu la discussion en séance publique le 18 janvier prochain, dans le cadre d'une séance consacrée à l'ordre du jour réservé au groupe socialiste, apparentés et groupe Europe Écologie les Verts rattaché, de la proposition de loi relative au suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires français en Polynésie française, dont le premier signataire est Richard Tuheiava.

Cela fait bientôt 16 ans qu'avec son dernier tir, effectué le 27 janvier 1996, dans un puits creusé sous le lagon de Fangataufa, la France a mis un terme à son programme d'essais nucléaires, fermant ainsi un chapitre de l'histoire ouvert dans le Sahara avec l'explosion « Gerboise bleue » le 13 février 1960.

Les essais nucléaires ont permis de construire et de maintenir une capacité de dissuasion nucléaire, objectif stratégique majeur de la France fixé par Pierre Mendès-France en 1954 puis mis en oeuvre avec la plus grande détermination par le général de Gaulle ; ils ont aussi valu à notre pays des tensions, dont nous nous souvenons, avec certains pays tiers notamment de l'océan Pacifique.

Or ces essais, qui selon la terminologie militaire avaient lieu « dans le Pacifique », étaient en fait réalisés dans les lieux bien identifiés que sont les atolls de Moruroa et de Fangataufa qui, loin d'être complètement séparés du reste du monde, font partie du territoire et de l'histoire de la Polynésie française. Le lieu habité le plus proche de Moruroa, l'atoll de Tureia, en est ainsi distant de seulement une centaine de kilomètres.

Quant à Papeete, si elle est située à environ 1250 kilomètres, il convient de préciser que certains tirs ont entraîné des retombées radioactives à cette distance, même si les effets sont demeurés mineurs selon les rapports officiels.

Un retour en arrière sur les conditions d'implantation du centre d'expérimentation du Pacifique, organisme chargé des essais, est également nécessaire pour bien comprendre la proposition de loi soumise à notre examen. Rappelons en effet que si les atolls de Moruroa et de Fangataufa ont été choisis lors de l'accession de l'indépendance de l'Algérie en raison de leur relatif isolement et de la possibilité d'y établir les infrastructures nécessaires, ce n'est qu'après la création du centre d'expérimentation du Pacifique et les premiers travaux d'aménagement qu'une délibération autorisant cette cession a été effectivement sollicitée de l'assemblée territoriale de la Polynésie française, qui l'a adoptée le 6 février 1964.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'État a imposé cette décision à la Polynésie.

Cette délibération prévoyait le retour gratuit des deux atolls au domaine public du territoire « dans l'état où ils se trouveront à cette époque, sans dédommagement ni réparation d'aucune sorte de la part de l'État », ces termes même témoignant à quel point les Polynésiens étaient peu informés des conséquences environnementales des essais nucléaires censés être réalisés sous contrôle.

Qui, aujourd'hui, considérerait sérieusement que ces deux atolls peuvent être restitués sans que l'État assume la moindre charge de réhabilitation ou de suivi, comme s'ils n'avaient pas subi des dizaines d'explosions nucléaires ? 41 essais atmosphériques et 5 essais de sécurité ont en effet eu lieu sur ces lieux entre 1966 et 1974, certains ayant entraîné la diffusion de particules radioactives dans les différentes couches de l'atmosphère et quelques-uns ayant même provoqué la contamination du sol.

D'après les éléments qui m'ont été communiqués, on estime que cinq kilogrammes de plutonium reposent aujourd'hui dans les sédiments des lagons, ainsi que sur un banc immergé proche de la couronne de Moruroa, ces chiffres étant d'ailleurs contestés par notre collègue Richard Tuheiava. Les autorités ont pour leur part choisi de laisser les choses en l'état, une éventuelle décontamination paraissant trop complexe et trop risquée du fait du relâchement possible de matières radioactives.

A ceci s'ajoutent les 137 essais souterrains et 10 essais de sécurité réalisés entre 1975 et 1996, au fond de puits creusés pour l'occasion et contenant toujours non seulement les produits de fission engendrés par l'explosion, mais aussi des déchets nucléaires divers, stockés dans des fûts enfouis et recouverts de béton. Deux puits ont même été creusés spécifiquement pour contenir ces déchets.

Selon le rapport de l'Agence internationale de l'énergie atomique de 1998, ainsi que d'après les rapports annuels publiés par le ministère de la défense, l'état radiologique des deux atolls serait - et j'emploie le conditionnel à dessein - satisfaisant, le poisson y serait abondant et le corail y poursuivrait son développement.

Pourtant, des inquiétudes sérieuses subsistent pour l'avenir car les essais souterrains ont gravement endommagé le sous-sol, un atoll constituant une structure particulièrement fragile. Si les explosions souterraines ont eu lieu dans le socle basaltique d'origine volcanique, celui-ci est surmonté d'une couche calcaire de 300 à 500 mètres d'épaisseur qui ne dépasse en effet la surface de la mer que de quelques mètres à peine, au point qu'une tempête tropicale peut la recouvrir d'eau.

Or cette couche calcaire est toujours susceptible de connaître des fissures, voire de s'effondrer, comme en témoigne le fait que les premiers essais ont entraîné des affaissements de surface, et qu'en 1979 un tir souterrain à Moruroa a fait basculer dans l'océan un bloc corallien et déclenché la formation d'une vague de deux mètres de hauteur, causant des blessures parmi le personnel présent sur place.

Au niveau du socle basaltique lui-même, le rapport rendu par M. Charles Fairhurst au nom de la commission géomécanique internationale, en 1998, indiquait ainsi qu' « environ 5 % du volume total de roches volcaniques compris entre 500 mètres et 1 500 mètres de profondeur sous la surface, à Mururoa aussi bien qu'à Fangataufa, a été endommagé du fait des essais nucléaires souterrains ».

Tout ceci ne peut qu'inciter à une surveillance continue et à la mise en place de dispositifs d'alerte, le ministère de la défense m'ayant indiqué qu'il existait pour l'heure un double système d'alerte. En cas d'effondrement limité, une alerte à 90 secondes permet aux personnels de se réfugier sur des plateformes ; en cas d'effondrement plus important, des signes avant-coureurs donnent le temps de prendre, si nécessaire, des mesures d'évacuation.

Ceci ne concerne pas seulement les personnels militaires présents sur le site : un rapport rendu public il y a un an a soulevé une vive inquiétude parmi la population de l'atoll de Tureia en indiquant que, dans certaines hypothèses, un effondrement massif pourrait entraîner la formation d'une vague parcourant la centaine de kilomètres qui sépare les atolls de Moruroa et de Tureia en seulement 10 minutes.

Certes des signes avant-coureurs devraient en principe permettre à la population de se réfugier auparavant dans le village, situé à 5 ou 6 mètres d'altitude, mais il n'est jamais certain que les vagues se comportent comme le prévoient les modélisations scientifiques. C'est d'ailleurs quelques semaines seulement après la publication de ce rapport qu'un tsunami dévastait la côte est du Japon, avec une puissance et des conséquences que même ce grand pays n'avait pas su anticiper.

La présente proposition de loi poursuit donc le double objectif visant, comme son titre l'indique, à garantir la surveillance des conséquences environnementales des essais nucléaires français en Polynésie française, tout en comportant, me semble-t-il, un aspect culturel et social tout à fait majeur.

Comme l'exposé des motifs l'indique très bien, et comme je l'ai constaté au cours de mes auditions, l'un des enjeux de ce texte est en effet la restauration du lien entre les Polynésiens et leur environnement naturel dans des lieux où ce lien a été rompu par des essais nucléaires, menés certes au nom de l'intérêt national, mais sans concertation et avec une très faible information des populations.

Ceci passe par la mesure majeure prévue à l'article 1er de la proposition de loi, constituée par la rétrocession des atolls de Mururoa et de Fangataufa au domaine public de la Polynésie française. Je ne vous cache pas que le ministère de la défense a fait valoir des arguments pour justifier le statu quo, invoquant la nécessité de garantir la sécurité des matières radioactives encore présentes sur ces sites et d'éviter la diffusion d'informations confidentielles qu'un examen trop approfondi des puits d'essai pourrait apporter à des tiers.

Mais après mûre réflexion, il me paraît pourtant possible et souhaitable de concilier ces impératifs, qui requièrent la présence d'une force de surveillance permanente, avec le transfert du droit de propriété à la Polynésie française. Observons d'ailleurs que le transfert prévu par l'article premier n'aurait d'effet pour le moment que pour la partie terrestre des atolls : le domaine public maritime est en effet régi par les dispositions de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française. Il s'agirait donc d'un premier pas, mais d'une très grande importance aux yeux de la population polynésienne.

Ce transfert ne saurait toutefois avoir lieu en l'état comme le proposait la délibération de 1964, l'État devant en effet continuer de supporter les charges de réhabilitation environnementale ainsi que de surveillance radiologique et géomécanique qu'il exerce déjà sous la responsabilité du ministère de la défense, en coopération avec le CEA, tel que proposé par le second alinéa de l'article premier.

Quant à l'article 2 de la proposition de loi, il interdit la recherche à des fins militaires, répondant ainsi à une inquiétude du ministère de la défense quant à la poursuite d'activités potentiellement dangereuses sur les atolls. Je crois que cette disposition pourrait également favoriser une certaine sanctuarisation des atolls. Si la réinstallation de populations est peu probable, il serait malvenu de donner aux atolls une vocation militaire autre que limitée à la protection du site.

L'article 3 prévoit que la surveillance radiologique et géomécanique doit être assurée par l'État en coopération avec la Polynésie française et les communes environnantes. Cette disposition de bon sens favorise l'acquisition des informations par les populations locales, alors qu'aujourd'hui, les mesures géomécaniques réalisées à Moruroa sont transmises instantanément au laboratoire du CEA en région parisienne pour la publication des rapports annuels de surveillance radiologique et géomécanique qui en sont issus ; le délai de diffusion qui en découle nécessite ainsi plus de 18 mois.

L'article 4, dans le même esprit de transparence et de participation des acteurs locaux, renforce la coopération entre l'État et les collectivités territoriales dans la définition des plans de prévention des risques.

Les articles 5 et 6 complètent le dispositif en créant une commission nationale de suivi des essais nucléaires composée des représentants des ministères concernés, des autorités locales y compris des communes environnantes, et de la société civile. Elle devrait jouer un rôle de réflexion et, me semble-t-il, de diffusion de l'information.

Enfin, l'article 7 de la proposition contient le traditionnel dispositif de gage financier.

Pour ma part, les modifications que je vous propose ne remettent pas en cause l'esprit du texte, puisqu'au-delà de quelques adaptations mineures, elles consistent à favoriser la transparence en prévoyant des missions de mesure de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), à compléter la composition de la commission de suivi et à prévoir la publicité de ses travaux.

Je conclurai en rappelant que la loi du 5 janvier 2010 dite loi Morin a défini un mécanisme d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, dont la mise en oeuvre soulève certes de nombreuses observations et critiques, mais qui par son existence constitue une reconnaissance officielle des conséquences des essais nucléaires pour les populations locales et les personnels civils et militaires présents sur les sites d'expérimentation.

Par l'adoption du présent texte, notre commission participerait du même esprit en assurant la reconnaissance par la France des conséquences environnementales des essais nucléaires dans la Polynésie française.

Seule une transparence plus large et une coopération plus approfondie des autorités nationales et militaires avec les populations locales et les collectivités territoriales permettront de restaurer l'indispensable lien de confiance.

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