Vos questions montrent une grande cohérence. M. Cornu m'a interrogé sur la compétitivité et la concurrence, questions qui sont au coeur des négociations internationales sur l'économie et l'environnement. Certains pays émergents connaissent une croissance à deux chiffres, mais ils partent de bas : 4 000 euros par an et par habitant en Chine contre 40 000 euros en France. Ils nous reprochent une approche néo-colonialiste lorsque nous leur parlons de normes environnementales. Et puis, l'environnement est-il un coût ou un investissement ? Comment faire pour que les dépenses environnementales ne grèvent pas la compétitivité de nos pays ? Quand on a le ventre plein, on peut défendre les valeurs républicaines et l'environnement ; comment en revanche attendre une résonnance citoyenne aux questions environnementales lorsqu'on s'adresse à des populations en survie qui ne disposent, comme 47 % des Egyptiens, que de deux euros par jour ?
Il faudra bien en arriver à une gouvernance mondiale de l'environnement, à l'image de ce qui se fait pour la santé avec l'OMS. Nous vivons dans une société de la rareté et la rareté est devenue une arme de négociation. Imaginons par exemple une hydro-diplomatie efficace pour éviter que l'eau ne soit davantage encore qu'aujourd'hui - je pense au Nil ou à l'Asie centrale - facteur de conflits.
Vous m'avez également interrogé sur les collectivités territoriales, leur financement, leurs relations avec l'État. Nous allons vers l'asphyxie de celui-ci comme de celles-là, ce qui fragilise l'action publique. Le système de financement actuel n'est pas vertueux. Une décentralisation réussie implique que les collectivités locales puissent lever l'impôt... En Allemagne, la réussite de l'État est réelle mais de nombreux Länder sont en difficulté, sinon en faillite. Nous devons aller vers une réelle adéquation entre recettes et dépenses : pour l'action économique, les recettes des régions doivent avoir un caractère économique ; pour l'action sociale, les recettes des départements doivent avoir un caractère social. Ce qui est sûr, c'est que notre système actuel est à bout de souffle. La fiscalité de demain reste donc à inventer, mais les acteurs du système vont vouloir à tout prix le préserver. L'offre politique et fiscale est en inadéquation avec l'évolution de notre société. La capacité d'innovation du Sénat et du CESE devrait permettre de sortir de cette impasse.
N'oublions pas la dette : pendant longtemps, nous avons emprunté à des taux anormalement bas, mais l'heure de vérité a sonné et nous risquons un assèchement de l'économie, d'autant que les règles de Bâle III incitent les banques à spéculer plutôt qu'à prêter. Après la présidentielle, il faudra inventer des mécaniques nouvelles, mobilisation de l'épargne privée, dette perpétuelle.
Certes, 500 000 emplois industriels ont été détruits. Mais n'oublions pas que l'économie immatérielle en a créé 750 000. Aux Etats-Unis, 30 % de l'économie repose sur l'immatériel. Nos structures économiques sont bouleversées par les nouvelles technologies, les lieux de production, de transformation et de commercialisation ne sont déjà plus les mêmes : la fiscalité doit s'adapter, passer d'une fiscalité sur les stocks à une fiscalité sur les flux. D'où la question de la territorialisation des ressources fiscales et au-delà celle de la péréquation.
Pour y répondre, il faut un débat honnête et de la pédagogie. Le coût du travail, par exemple, est-il ou non un enjeu de compétitivité ? A partir de là, droite et gauche feront des propositions. La TVA sociale, ce n'est pas la question mais la réponse. Nous manquons en cette matière de vision à long terme des conséquences. Prenez la fiscalité locale : elle a été beaucoup allégée pour les personnes à faibles ressources, mais on a oublié que les gens au RSA payaient comme les autres l'énergie, l'eau, l'enlèvement des ordures ménagères...
La politique est faite pour gagner les élections ; en trente ans, on a gagné des électeurs mais perdu des citoyens. Nous ne pouvons espérer développer la responsabilité collective sur l'irresponsabilité individuelle. Une fiscalité responsabilisante est indispensable. Sans vision, il n'y a pas de mobilisation, il n'y a que de la tactique. Pas davantage sans éducation citoyenne. Les Français ne croient plus au progrès. Comme le disait Gaston Berger, père de la prospective, « la prospective n'est pas une science mais une éthique ». Il y a là un danger à conjurer et des opportunités à saisir. Hélas, nous sommes passés du principe de précaution au principe de suspicion ; il n'est plus possible d'avoir de débat serein sur les schistes bitumineux, le nucléaire ou les OGM : on agite la peur plutôt qu'on suscite l'espérance. C'est un sujet lourd, parce que l'opinion publique n'a plus confiance dans la parole politique ni même scientifique, elle cède de plus en plus aux tentations du repli. A équations identiques, ni l'État ni les collectivités ne pourront relever les défis de l'environnement. Le système est à bout de souffle, l'offre politique, administrative, fiscale est en inadéquation avec l'évolution de la société. Il faut revisiter les équations de la République. Sénat et CESE ont des capacités d'anticipation, ils peuvent éclairer les chemins de l'avenir.
Prenez l'eau. Elle n'est pas gratuite. Comment éviter les gaspillages ? Ne peut-on imaginer un plafond ?