Intervention de Thierry Repentin

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 28 février 2012 : 1ère réunion
Majoration des droits à construire — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Thierry RepentinThierry Repentin, rapporteur :

Le 30 janvier dernier, beaucoup s'en souviennent, le chef de l'État annonçait des mesures fortes pour répondre à la crise du logement. En soi, c'était reconnaître l'échec des textes précédents : la loi portant engagement national pour le logement en 2006, la loi instituant le droit au logement opposable en 2007, la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion (MOLLE) en 2009 et la loi portant engagement national pour l'environnement en 2010.

Ce texte changera-t-il la donne ? Je ne le crois pas car il cumule plusieurs inconvénients. D'abord, son impréparation manifeste. L'annonce présidentielle a surpris associations d'élus et acteurs de la construction. Tous ont regretté de n'avoir pas été entendus ; tous, sans exception, ont fait part de leurs nombreuses réserves.

Précipitation, aussi, dans la procédure d'examen de ce texte. Avec René Vandierendonck, rapporteur pour avis au nom de la commission des lois, nous avons dû procéder aux auditions sans connaître le texte sur lequel porterait la discussion, les députés ne l'ayant pas encore adopté. De plus, nous devrons prendre connaissance des amendements de séance déposés jusqu'au début de la discussion générale et les examiner sitôt qu'elle sera close. Est-ce sérieux ?

Dernier indice de l'impréparation de ce texte, les flottements sur le contenu de la réforme. Le projet de loi s'écarte sensiblement de l'annonce présidentielle, ce qui est heureux. Il n'y est plus question d'une majoration automatique qui s'imposerait aux communes.

Ensuite, le texte est redondant. Il vient s'ajouter à la majoration des droits à construire prévue par la loi MOLLE de 2009 et aux deux dispositifs plus anciens ciblés sur les logements sociaux et les bâtiments à haute performance énergétique. Qu'apporte-t-il de plus ? Rien, sinon un relèvement de 20 à 30 % du plafond de la majoration. Cette accumulation de mesures similaires est contraire à l'objectif de simplification du droit qu'affiche le Gouvernement.

Surtout, la disposition est inefficace. Les estimations qui figurent dans l'étude d'impact reposent sur des hypothèses aussi optimistes que fantaisistes.

Dans l'hypothèse basse du Gouvernement, un tiers des communes conserveraient la majoration de 30 %. Or environ 0,5 % des communes dotées d'un PLU ou d'un POS ont utilisé les mécanismes de majoration prévus à l'article L. 123-1-11 et seulement 4 % d'entre elles ont activé les dispositifs plus ciblés des articles L. 127-1 et L. 128-1. Autrement dit, le taux d'utilisation du nouveau dispositif serait plus de soixante fois supérieur à celui des mécanismes en vigueur.

Nous en doutons dans la mesure où la décision de majorer les droits à construire restera entre les mains des communes. Certes, leur autonomie sera exagérément réduite puisque, au lieu de décider de la majoration, leur seule liberté sera de la refuser. Malgré tout, c'est le conseil municipal qui conservera la maîtrise pratique du dispositif. Au nom de quoi changeraient-elles subitement d'avis ?

Du reste, le Gouvernement lui-même semble partager ces doutes. « La mesure proposée doit contribuer au changement d'état d'esprit attendu des décideurs locaux et des habitants », explique-t-il dans son étude d'impact. Mais est-il besoin d'aider Français et collectivités territoriales à prendre conscience du problème quand ils sont en première ligne face à la crise du logement ?

Les prévisions sont optimistes, encore, sur le nombre de projets de construction où serait utilisé le supplément de droits à construire : un sur deux dans les communes appliquant la majoration. Nous ignorons totalement sur quoi repose ce chiffre ; en revanche, nous savons que des dispositions techniques et juridiques réduisent la portée de la mesure. La majoration des règles de densité n'exonère pas du respect des autres règles d'urbanisme, comme les règles de prospect, pas plus qu'elle n'autorise à déroger aux servitudes d'utilité publique et aux dispositions des lois montagne et littoral. Elle se heurte également à des conventions privées. Ainsi, pour surélever ou construire des bâtiments à usage privatif dans une copropriété, l'unanimité des copropriétaires est requise. De même, dans les lotissements, si un permis de construire majorant les règles de hauteur est délivré en contravention des règles du cahier des charges, les colotis pourront intenter une action en démolition. Enfin, la modification des bâtiments est parfois très difficile techniquement, sinon impossible lorsque les fondations ne sont pas adaptées.

Un texte inefficace, donc, mais aussi contre-productif. De fait, les propriétaires qui ont l'intention de vendre ou d'utiliser leur terrain voudront, avant de s'engager, connaître les droits à construire associés à leur bien. D'où le gel de certaines transactions- d'après les professionnels, cela est déjà le cas. Autre conséquence, des prix tirés vers le haut car le nouveau dispositif sera trop faible pour accroître significativement l'offre. Au total, le seul résultat tangible de la mesure consistera en un effet d'aubaine pour les propriétaires de biens aux droits à construire majorés.

Pourquoi stigmatiser les communes ? A lire ce texte, elles auraient adopté des règles trop restrictives, alimentant la crise du logement par frilosité, ignorance des textes ou encore par malthusianisme. « Les communes qui voudront refuser cette possibilité » de majoration « en auront le droit, mais ce devra faire l'objet d'une délibération explicite du conseil municipal pour en refuser la possibilité. Chacun va prendre ses responsabilités » a lancé le Président de la République dans son discours du 2 février à Longjumeau. Le but est bien de mettre en cause les communes. C'est pourquoi le Sénat, représentant des collectivités territoriales, doit s'y opposer avec force.

Le Gouvernement, dans sa précipitation, confond la cause et l'effet. La majoration des droits à construire a un intérêt limité parce que les communes prennent leurs responsabilités en élaborant des plans locaux d'urbanisme (PLU). Pourquoi dérogeraient-elles aux règles de constructibilité adaptées à leur projet de territoire, qu'elles ont mis plusieurs années à définir ? Ce serait absurde, à moins que les PLU n'aient été clairement mal conçus. C'est peut-être la vision du Gouvernement, mais non la mienne. Pour moi, il y a une antinomie entre la démarche urbanistique de projet conduite par les communes et un dispositif bureaucratique de majoration généralisée.

Pour mémoire, la loi MOLLE de 2009, dans sa rédaction initiale, prévoyait exactement le même dispositif auquel le Sénat s'était opposé avec succès. Les arguments de son rapporteur, Dominique Braye, n'ont rien perdu de leur pertinence.

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