Intervention de Thierry Mathou

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 7 février 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Thierry Mathou ambassadeur de france en birmanie

Thierry Mathou, ambassadeur de France en Birmanie :

La question de l'accession de la Birmanie à l'arme nucléaire constitue une préoccupation légitime, qui a mobilisé l'attention de la communauté internationale. Il a existé par le passé des velléités de coopération avec la Corée du Nord en la matière. On estime qu'aujourd'hui elles ont été abandonnées, sans doute faute de moyens financiers et techniques. Il convient toutefois de rester vigilant.

S'agissant des investissements directs étrangers, on peut prévoir, à la levée des sanctions, une « ruée » vers la Birmanie. Mais ce pays restera longtemps très compliqué pour les investisseurs, en l'absence de cadre juridique stable et de visibilité sur la politique macro-économique. Pour prendre une image, la Birmanie s'apparente à « une mine d'or dont les tunnels ne sont pas encore creusés », elle ne sera pas tout de suite un eldorado économique.

Le risque d'un coup d'État ne peut pas être totalement écarté, même si, par le passé, ce ne sont pas les jeunes cadres de l'armée mais bien les hauts gradés, ceux là même qui adhèrent aujourd'hui à la réforme, qui en ont été les initiateurs. Ainsi le nouveau chef d'état-major, est un allié objectif du président de l'Assemblée nationale, qui appuie la transition démocratique. Qu'en sera-t-il lorsque les intérêts cruciaux de l'armée seront mis en cause ? L'hypothèse d'un coup d'État reste envisageable, même si elle n'est pas aujourd'hui le scénario le plus probable.

L'évolution de la Birmanie suscite probablement des interrogations en Chine, qui est son principal partenaire économique et politique. Pékin ne peut qu'être attentif à la diversification des partenariats à laquelle aspire la Birmanie. Les Etats-Unis, par exemple, avancent vers ce pays avec de nombreux objectifs, parmi lesquels, naturellement, l'ouverture politique et la promotion des droits de l'homme, mais aussi, ne l'oublions pas, dans le cadre d'une stratégie globale, avec des objectifs plus géostratégiques. Quel peut être en Chine le retentissement d'un « modèle » birman en devenir, celui d'un régime autoritaire secrétant lui-même les germes de sa propre transformation... ? La question reste posée. Pour avoir passé 15 ans en Chine, je ne doute pas que les évolutions en Birmanie intéressent, voire interpellent les Chinois, officiels et société civile, s'agissant, par exemple, de mutations en cours chez leur voisin, comme la libéralisation de l'internet, aujourd'hui effective en Birmanie, l'adoption de législations progressistes, comme la récente loi sur la liberté d'association et le droit syndical ou la capacité de la principale opposante au régime Mme Aung San Suu Kyi à organiser librement des réunions politiques auxquelles participent des milliers de personnes.

Le facteur personnel et le poids du Président Thein Sein ont en effet été tout à fait décisifs. .Le Président, que certains considéraient comme faible voici un an, s'est affirmé au cours des mois. Il a pris des décisions marquantes comme celle de suspendre la construction d'un projet de barrage majeur qui correspondait à un très lourd investissement chinois dont de nombreux militants associatifs critiquaient l'impact sur l'environnement.

Monsieur Gorce, vous avez raison de souligner la nécessité de renforcer la coordination européenne. Un premier cap sera franchi en avril avec la visite de Mme Ashton qui devrait inaugurer un bureau de l'Union européenne à Rangoun. Son existence facilitera certainement l'action des Etats membres présents sur place : Allemagne, Royaume-Uni, Italie et France. S'agissant des relations entre la LND et les autres mouvements d'opposition, c'est un sujet en devenir. « La Dame » n'est pas la seule représentante de l'opposition même si elle est aujourd'hui la figure tutélaire de cette opposition dont la popularité est sans égal. Certains partis ont participé à l'élection de novembre 2010. On peut s'interroger sur la capacité des oppositions à se fédérer. Dans la perspective des élections partielles du 1er avril, il n'existe pas de projet d'union des oppositions. C'est un facteur d'incertitude, dans un pays où il est de coutume de dire que deux Birmans autour d'une table créent trois partis politiques ! La scène politique est aujourd'hui morcelée et l'ouverture s'accompagne d'une multiplicité d'initiatives, avec un risque de factionnalisation.

Quant à l'évolution à moyen terme, le cas échéant vers une structure fédérale, c'est aujourd'hui une inconnue. Cette question pourrait être posée dans le cadre de la troisième étape du processus de réconciliation nationale, celle de la convention nationale avalisée par le Parlement. A l'heure actuelle, la question du schéma institutionnel et de l'équilibre entre le centre et la périphérie n'a pas de réponse. Il faut dire que cette question très ancienne est au coeur de la construction birmane depuis près de soixante ans...

Sur l'aide au développement, une première étape pourrait être franchie prochainement si l'AFD est autorisée, comme l'a souhaité le ministre d'Etat à intervenir en Birmanie. Nous ne ferons pas jeu égal avec les Britanniques, qui disposent de sommes cinquante fois supérieures aux nôtres, non plus qu'avec les Australiens ni les Américains. Je préconise donc que notre aide soit ciblée sur trois secteurs qui correspondent tant à des besoins transversaux birmans qu'à un réel savoir-faire français : l'éducation, la santé et l'environnement. Il faut éviter de se disperser.

Les trafics de pierres précieuses existent bien sûr, et les sanctions sont largement détournées dans ce domaine. La Birmanie produit deux-tiers des rubis mondiaux, qui se retrouvent en Occident après avoir été distribués via des filières chinoises et thaïlandaises. La levée des sanctions pourraient, à terme, assainir la situation. Il en va de même pour les trafics de bois (le teck). Le trafic de drogue est le plus « prospère ». Certaines enclaves sont sous le contrôle de groupes armés qui ont un intérêt manifeste au maintien du statu quo, l'émergence d'un État organisé et structuré ne pouvant que remettre en cause leurs activités.

La communauté française en Birmanie, bien que réduite (environ 300 Français) est très dynamique et la plus importante des pays de l'Union européenne. Elle se décompose en trois groupes d'importance à peu près équivalente : le personnel de Total, seul investisseur installé en Birmanie, les représentants des ONG travaillent dans l'humanitaire et des Français au long cours installés depuis longtemps, dans le secteur du tourisme, en particulier. Les touristes français sont les plus nombreux, après les Américains, en croissance de 50 % l'an passé.

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