Nous sommes aujourd'hui réunis afin d'examiner les projets de loi visant à approuver trois avenants à des conventions fiscales de suppression des doubles impositions entre la France et, respectivement, l'Autriche, l'Arabie Saoudite et l'île Maurice. Cela ressemble à un inventaire à la « Prévert ». Pour autant, notre analyse a été structurée selon les enjeux que ces avenants représentent.
L'avenant saoudien vise à insérer une clause d'échange de renseignements dans ladite convention.
En revanche, l'objet des avenants autrichiens et mauriciens est uniquement de mettre les conventions en conformité avec les derniers standards de l'OCDE en matière d'échange de renseignements. Il s'agit essentiellement de lever les restrictions à la coopération fiscale : le secret bancaire et l'absence d'intérêt fiscal propre de l'Etat dans la collecte de ces renseignements.
En d'autres termes, ces pays ne pourront pas refuser de transmettre des renseignements qui seraient détenus par une banque ou un établissement financier, ou bien encore qui ne présenteraient pas un intérêt propre au pays requis pour l'application de sa fiscalité.
Si, au final, les clauses d'échange de renseignements sont pratiquement identiques et conformes au modèle OCDE, les interrogations qu'elles suscitent diffèrent selon les pays.
S'agissant de l'île Maurice et de l'Arabie Saoudite, comme ce fut le cas pour le Panama, l'interrogation porte sur la capacité normative de ces pays à coopérer. Je rappelle que le Sénat avait refusé de ratifier la convention de suppression des doubles impositions panaméenne sur ce motif et celui des conséquences qu'elle emportait, c'est-à-dire la radiation du pays de la liste.
L'avenant autrichien s'inscrit, quant à lui, dans une problématique plus large que celle de l'échange de renseignements sur demande : l'échange automatique.
Les avenants signés avec l'Arabie saoudite et l'île Maurice ne constituent qu'une étape formelle. Rappelons qu'un premier examen du cadre juridique de l'île Maurice, réalisé par le Forum mondial sur la transparence fiscale de l'OCDE, le 28 janvier 2011, a été négatif. La disponibilité des informations n'étaient pas alors garantie en toutes circonstances. Les sociétés off shore n'étaient tenues alors à aucune comptabilité.
Je remarque, qu'à l'instar du Panama, ces conclusions n'ont pas retardé la signature de l'avenant mauricien qui est intervenu le 23 juin 2011. La seconde évaluation du Forum mondial du 26 octobre n'était donc pas encore publiée. L'ensemble des réformes sur les obligations comptables notamment n'avaient pas été prises.
Le cadre juridique mauricien est jugé aujourd'hui globalement satisfaisant mais des améliorations sont nécessaires selon le Forum afin de remédier notamment à l'indisponibilité des renseignements relatifs aux trusts non résidents de l'île et géré par un trustee mauricien qui n'est pas une société de gestion. En d'autres termes, voici à nouveau qu'on nous propose une « porte blindée avec une fenêtre grande ouverte ».
Quant à l'avenant avec l'Arabie Saoudite, il a été conclu le 18 février 2011, avant confirmation par le Forum mondial de l'existence d'un cadre juridique permettant l'échange de renseignements. Son évaluation est en cours. Face à cette politique de négociation sans frontière, on ne peut que s'interroger sur son efficacité. Encore faut-il en avoir les moyens.
Deux annexes au projet de loi de finances pour 2012 devaient être transmises au Parlement, au moment de la discussion du budget :
- un bilan sur le contrôle des filiales détenues à l'étranger par les entreprises françaises ;
- un bilan du réseau conventionnel français en matière d'échange de renseignements.
Nous attendons toujours le premier. Il devrait nous livrer des éléments tangibles d'évaluation tels que le nombre de réponses à nos demandes d'assistance. La loi de finances pour 2011, qui a créé cette annexe, précise même que ce bilan doit permettre « d'actualiser la liste nationale des territoires non coopératifs ». Le second nous est parvenu avant hier soir. Or, il fournit des informations qui avaient été en partie communiquées dès le 24 novembre 2011 par Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement, lors de sa conférence de presse sur la fraude fiscale.
Ce bilan est inquiétant : le taux de réponse aux demandes françaises de renseignements est de 30 %, dont la plupart des éléments fournis étaient déjà connus de nos services. Il ne marque aucun progrès et révèle les limites de cette politique conventionnelle. La ministre a, par ailleurs, renouvelé son constat lundi dernier sur une antenne privée et envisage de durcir les sanctions.
La méthode est curieuse. Je rappelle que les sanctions s'appliquent automatiquement aux Etats qui figurent sur la liste. Pourquoi d'un côté durcir les sanctions si, de l'autre, la politique du Gouvernement consiste à vider la liste de nos Etats non coopératifs pour les sortir du champ même d'application de ces sanctions ?
Ne serait-il pas plus judicieux d'attendre la mise en place des capacités administratives et juridiques à coopérer des territoires, avant de signer, afin de ne pas être amené à radier un pays de la liste puis devoir l'inscrire à nouveau, une fois constaté l'échec de la coopération ? Pourquoi tant de hâte à signer ces accords fiscaux ? Quels sont les critères qui conduisent le Gouvernement à sélectionner un pays plutôt qu'un autre ?
Privilégier l'étape formelle de la signature ne fait pas progresser la lutte contre l'opacité fiscale, bien au contraire, il la ralentit. Il conviendra d'approfondir notre réflexion sur le réseau conventionnel français en matière d'échange de renseignements.
Par ailleurs, je constate que la liste française qui doit être mise à jour annuellement à compter du 1er janvier n'est toujours pas publiée. Il est probable qu'elle le sera en février, date de l'entrée en vigueur de l'accord panaméen, ce qui conduira à la radiation de ce pays de la liste.