Au cours d'une première réunion tenue le matin, la commission procède à l'examen des rapports de Mme Nicole Bricq, rapporteure, sur les projets de loi, adoptés par l'Assemblée nationale :
- n° 181 (2011-2012) autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'île Maurice tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;
- n° 182 (2011-2012) autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume d'Arabie saoudite en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu, sur les successions et sur la fortune ;
n° 183 (2011-2012) autorisant la ratification de l'avenant à la convention entre la République française et la République d'Autriche en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune.
Nous sommes aujourd'hui réunis afin d'examiner les projets de loi visant à approuver trois avenants à des conventions fiscales de suppression des doubles impositions entre la France et, respectivement, l'Autriche, l'Arabie Saoudite et l'île Maurice. Cela ressemble à un inventaire à la « Prévert ». Pour autant, notre analyse a été structurée selon les enjeux que ces avenants représentent.
L'avenant saoudien vise à insérer une clause d'échange de renseignements dans ladite convention.
En revanche, l'objet des avenants autrichiens et mauriciens est uniquement de mettre les conventions en conformité avec les derniers standards de l'OCDE en matière d'échange de renseignements. Il s'agit essentiellement de lever les restrictions à la coopération fiscale : le secret bancaire et l'absence d'intérêt fiscal propre de l'Etat dans la collecte de ces renseignements.
En d'autres termes, ces pays ne pourront pas refuser de transmettre des renseignements qui seraient détenus par une banque ou un établissement financier, ou bien encore qui ne présenteraient pas un intérêt propre au pays requis pour l'application de sa fiscalité.
Si, au final, les clauses d'échange de renseignements sont pratiquement identiques et conformes au modèle OCDE, les interrogations qu'elles suscitent diffèrent selon les pays.
S'agissant de l'île Maurice et de l'Arabie Saoudite, comme ce fut le cas pour le Panama, l'interrogation porte sur la capacité normative de ces pays à coopérer. Je rappelle que le Sénat avait refusé de ratifier la convention de suppression des doubles impositions panaméenne sur ce motif et celui des conséquences qu'elle emportait, c'est-à-dire la radiation du pays de la liste.
L'avenant autrichien s'inscrit, quant à lui, dans une problématique plus large que celle de l'échange de renseignements sur demande : l'échange automatique.
Les avenants signés avec l'Arabie saoudite et l'île Maurice ne constituent qu'une étape formelle. Rappelons qu'un premier examen du cadre juridique de l'île Maurice, réalisé par le Forum mondial sur la transparence fiscale de l'OCDE, le 28 janvier 2011, a été négatif. La disponibilité des informations n'étaient pas alors garantie en toutes circonstances. Les sociétés off shore n'étaient tenues alors à aucune comptabilité.
Je remarque, qu'à l'instar du Panama, ces conclusions n'ont pas retardé la signature de l'avenant mauricien qui est intervenu le 23 juin 2011. La seconde évaluation du Forum mondial du 26 octobre n'était donc pas encore publiée. L'ensemble des réformes sur les obligations comptables notamment n'avaient pas été prises.
Le cadre juridique mauricien est jugé aujourd'hui globalement satisfaisant mais des améliorations sont nécessaires selon le Forum afin de remédier notamment à l'indisponibilité des renseignements relatifs aux trusts non résidents de l'île et géré par un trustee mauricien qui n'est pas une société de gestion. En d'autres termes, voici à nouveau qu'on nous propose une « porte blindée avec une fenêtre grande ouverte ».
Quant à l'avenant avec l'Arabie Saoudite, il a été conclu le 18 février 2011, avant confirmation par le Forum mondial de l'existence d'un cadre juridique permettant l'échange de renseignements. Son évaluation est en cours. Face à cette politique de négociation sans frontière, on ne peut que s'interroger sur son efficacité. Encore faut-il en avoir les moyens.
Deux annexes au projet de loi de finances pour 2012 devaient être transmises au Parlement, au moment de la discussion du budget :
- un bilan sur le contrôle des filiales détenues à l'étranger par les entreprises françaises ;
- un bilan du réseau conventionnel français en matière d'échange de renseignements.
Nous attendons toujours le premier. Il devrait nous livrer des éléments tangibles d'évaluation tels que le nombre de réponses à nos demandes d'assistance. La loi de finances pour 2011, qui a créé cette annexe, précise même que ce bilan doit permettre « d'actualiser la liste nationale des territoires non coopératifs ». Le second nous est parvenu avant hier soir. Or, il fournit des informations qui avaient été en partie communiquées dès le 24 novembre 2011 par Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement, lors de sa conférence de presse sur la fraude fiscale.
Ce bilan est inquiétant : le taux de réponse aux demandes françaises de renseignements est de 30 %, dont la plupart des éléments fournis étaient déjà connus de nos services. Il ne marque aucun progrès et révèle les limites de cette politique conventionnelle. La ministre a, par ailleurs, renouvelé son constat lundi dernier sur une antenne privée et envisage de durcir les sanctions.
La méthode est curieuse. Je rappelle que les sanctions s'appliquent automatiquement aux Etats qui figurent sur la liste. Pourquoi d'un côté durcir les sanctions si, de l'autre, la politique du Gouvernement consiste à vider la liste de nos Etats non coopératifs pour les sortir du champ même d'application de ces sanctions ?
Ne serait-il pas plus judicieux d'attendre la mise en place des capacités administratives et juridiques à coopérer des territoires, avant de signer, afin de ne pas être amené à radier un pays de la liste puis devoir l'inscrire à nouveau, une fois constaté l'échec de la coopération ? Pourquoi tant de hâte à signer ces accords fiscaux ? Quels sont les critères qui conduisent le Gouvernement à sélectionner un pays plutôt qu'un autre ?
Privilégier l'étape formelle de la signature ne fait pas progresser la lutte contre l'opacité fiscale, bien au contraire, il la ralentit. Il conviendra d'approfondir notre réflexion sur le réseau conventionnel français en matière d'échange de renseignements.
Par ailleurs, je constate que la liste française qui doit être mise à jour annuellement à compter du 1er janvier n'est toujours pas publiée. Il est probable qu'elle le sera en février, date de l'entrée en vigueur de l'accord panaméen, ce qui conduira à la radiation de ce pays de la liste.
La ratification des accords entraîne-t-elle une quelconque radiation de l'un de ces pays de la liste française ?
Non, ce n'est pas le cas. Vous anticipez mes propos. Je vais y revenir en conclusion.
Concernant l'avenant autrichien, il est conforme au modèle OCDE, mais il renvoie également à une question d'efficacité, celle de la politique européenne de lutte contre la fraude fiscale. Le renforcement de l'assistance fiscale en matière d'échange sur demande doit se poursuivre dans le domaine de l'échange automatique.
La directive « Epargne » de 2003 prévoit un mécanisme d'échange automatique d'informations entre les Etats membres. Cependant, son champ est trop restreint quant aux personnes et aux produits visés. Il ne concerne que les paiements d'intérêts et les personnes physiques. En d'autres termes, ce n'est pas une brèche, c'est un gouffre qui permet la défiscalisation des bénéficiaires effectifs en faisant intervenir des sociétés intermédiaires.
Un projet de révision existe depuis 2008. Cependant le Luxembourg et l'Autriche, qui bénéficient de manière temporaire d'un mécanisme de retenue à la source, en lieu et place de l'échange automatique, s'y opposent. Je ne suis pas certaine de la détermination de l'Allemagne à faire aboutir le processus.
La conclusion cet été des accords suisses, dits « Rubik », avec respectivement l'Allemagne et le Royaume-Uni, tendent à interférer dans le processus de révision puisqu'ils permettent à la Suisse de conserver le secret bancaire en contrepartie d'un impôt libératoire prélevé sur les avoirs allemands et anglais détenus dans les banques suisses.
Là encore, le Parlement ne dispose pas des éléments qui lui sont dus. Un rapport sur les avantages et inconvénients de ces accords devait nous être remis avant le 1er décembre dernier. Nous avons besoin de ce rapport, même si Valérie Pécresse a clarifié la position de la France à la tribune du Sénat en déclarant de ne pas vouloir conclure un tel accord.
L'opportunité de réviser la directive se présentera à nouveau très prochainement. Nous étions proches d'y parvenir en mai dernier. Les facteurs d'opposition pourraient être, à horizon lointain, surmontés. En effet, en mai dernier, on était proche d'un déblocage.
La commission européenne a émis des réserves quant à la conformité des accords « Rubik ». La ratification de l'accord allemand rencontre des oppositions et enfin, dès le 1er janvier 2013, devrait être appliquée la réglementation américaine FATCA (Foreign account tax compliance Act) qui prévoit un échange automatique d'informations sur tous les comptes des contribuables américains détenus dans le monde.
Nous ne disposons pas, à ce jour, de l'impact de cette réglementation, en termes de coût et de coopération fiscale. Cependant, elle pourrait probablement avoir un impact plus ou moins direct sur les négociations en cours quant à la révision de la directive, dans la mesure où FATCA pourrait conduire à surmonter les réticences à l'échange automatique ainsi que les obstacles techniques qui en découlent.
Avant de conclure, je voudrais vous présenter les raisons pour lesquelles je vous propose la ratification des trois avenants, alors que j'avais préconisé le rejet de la convention panaméenne. En effet, les enjeux sont différents.
La ratification de Panama entraînait sa radiation de la liste française des paradis, autrement dit pas d'application de sanctions fiscales pour ce pays. Ce qui n'est pas le cas de l'île Maurice qui n'est pas inscrite sur notre liste. La ratification a donc pour objet de les contraindre à échanger.
En outre, le contexte est différent. La ratification de Panama est intervenue avant la seconde évaluation du Forum qui doit confirmer la capacité normative de Panama à échanger des renseignements. Quant à l'île Maurice, le Forum a confirmé dans un second examen que l'île disposait d'un cadre normatif suffisant pour coopérer même s'il existe encore des marges d'amélioration, notamment dans la réglementation des trusts.
Si nous ne disposons d'aucune évaluation du Forum mondial sur l'Arabie Saoudite, il convient de souligner que ce pays n'est pas sur notre liste. La ratification de l'avenant n'entraînera pas, par définition, de radiation. En revanche elle l'obligera à coopérer puisque la convention actuelle ne contient pas de clauses d'échange de renseignements.
Nous ratifions, mais nous veillerons à ce que ces pays soient intégrés dans la liste, comme la loi le prévoit, s'il s'avère qu'ils ne coopèrent pas.
En conclusion, sous réserve des observations précédentes et de la vigilance de la commission des finances, je vous propose d'adopter, en procédure simplifiée, les présents projets de loi visant à approuver les avenants aux conventions fiscales en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune qui ont été respectivement conclus avec l'Arabie Saoudite, l'Autriche et l'île Maurice.
Je vous remercie de votre approche globale, pertinente, utile et très claire. Puisque je n'ai pas de demande de question, je souhaiterais, à titre liminaire, faire part à la commission des réflexions échangées avec la rapporteure générale avant le début de notre réunion. Sans remettre en cause le droit de tirage et l'automaticité de la création des commissions d'enquête et des missions communes d'information (MCI), leur mise en place peut soulever un problème de moyens et de disponibilité des ressources humaines. En effet, elle requiert d'y affecter du personnel administratif nécessaire également au fonctionnement des commissions permanentes.
Cette question pourrait donner lieu à une réflexion générale afin de mettre en perspective les enjeux de la création des commissions d'enquête et des MCI, sans pour autant brider l'initiative des groupes. Il convient d'avoir conscience des limites des ressources humaines disponibles. Cette réflexion viserait à répondre aux conflits d'usage entre la commission d'enquête ou de la MCI, qui constitue un outil temporaire, et la commission permanente, seul instrument permettant d'acquérir un patrimoine de connaissances et de le traduire en propositions portées en séance plénière du Sénat. Vous avez raison de mettre l'accent sur le sujet de la fraude fiscale qui va faire prochainement l'objet d'une commission d'enquête. Il faudrait néanmoins, avec votre soutien, débattre, au sein de la conférence des présidents, de ces questions afin de mesurer ce phénomène et de parvenir à une éventuelle auto discipline.
Revenant sur l'objet de notre réunion, j'observe que la ratification de l'avenant autrichien tend à s'inscrire dans le cadre européen de la lutte contre la fraude fiscale et les failles normatives qui la permettent. La commission des finances tient à jouer son rôle dans ce combat.
Je distingue, ainsi que vous l'avez fait, le contexte international de l'échange de renseignements sur demande de celui européen qui conduit à s'interroger sur la directive « Epargne » et l'échange automatique. Les relations avec la Suisse hors Union européenne soulèvent les mêmes sujets que celles avec l'Autriche et le Luxembourg. La résolution du blocage du processus de révision de la directive « Epargne » ne peut se résumer à des éléments techniques. Elle relève de facteurs profondément politiques relatifs à nos systèmes de régulation.
S'agissant des pays pour lesquels il n'y a pas d'accord de renseignements, l'insertion d'une clause à cet effet constitue un progrès.
Quelles seraient vos préconisations pour garantir le suivi de ce sujet ?
Je tiens à insister sur le fait que le Gouvernement doit transmettre les rapports qui nous sont dus. Ils sont nécessaires à l'établissement du bilan de la politique conventionnelle française de lutte contre les Etats non coopératifs. Je vous rappelle que nous auditionnons Mme Pécresse cet après-midi.
Où en est la révision de la directive « Epargne » ? Quand peut-on espérer un déblocage ?
L'horizon est incertain, je le crains, ainsi qu'on nous l'a dit en avril dernier à Bruxelles. Il semblerait qu'en mai dernier, nous étions très proches de la conclusion d'un compromis.
Le problème est essentiellement politique. L'Allemagne doit clairement soutenir la révision. Lors de notre déplacement à Berlin, celle-ci ne semblait pas constituer une priorité.
J'ai par ailleurs reçu, à leur demande, les représentants des banquiers suisses qui ont présenté les principales stipulations des accords suisses. Leur détermination à promouvoir ces accords les conduiraient certainement à vouloir être auditionnés par la commission.
Je vais également me rendre à deux reprises à Bruxelles. J'essaierai, dans cette perspective, d'obtenir des renseignements supplémentaires et d'agir dans le sens de la conclusion du processus de révision de la directive.
Ces perspectives sont utiles. La problématique des accords « Rubik » ne doit pas empêcher l'aboutissement de la révision de la directive « Epargne ».
Il est également nécessaire d'obtenir le bilan de l'application de cette directive. Celui-ci est prévu de manière triennale. Le premier bilan a été publié en 2008. Nous attendons celui prévu en 2011.
Pourriez-vous nous indiquer un plan de route avec des échéances afin de fixer les différentes étapes de la continuité de notre action en ce domaine ?
En conclusion, mes chers collègues, il vous est proposé l'examen en procédure simplifiée des trois avenants aux conventions fiscales de suppression des doubles impositions, respectivement conclues avec l'île Maurice, l'Arabie Saoudite et l'Autriche.
La commission adopte les rapports.
Elle adopte les trois projets de loi tendant à autoriser l'approbation d'avenants aux conventions fiscales entre la France et, respectivement, l'île Maurice, l'Arabie Saoudite et l'Autriche.
Elle propose que ces textes fassent l'objet d'une procédure d'examen simplifié en séance publique, en application des dispositions de l'article 47 decies du Règlement du Sénat.