Intervention de Thibault Camelli

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 6 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de Mm. Thierry Lamorlette auteur du « guide critique et sélectif des paradis fiscaux à l'usage des particuliers » et thibault camelli auteur de « stratégies fiscales internationales »

Thibault Camelli :

Je ne crois pas que la dérégulation ait eu d'effet direct sur les paradis fiscaux. Toutefois, il est indéniable que la mondialisation des échanges a placé les Etats en situation de concurrence fiscale. Les effets dommageables de cette concurrence ne sont apparus qu'à la fin des années 90. Jusqu'à la publication en 1998 d'un rapport de l'OCDE qui a fait date, « La concurrence fiscale dommageable, un problème mondial », les Etats entraient dans cette forme de concurrence en mettant en avant leur attractivité. On peut s'interroger sur la pérennité des politiques publiques mises en oeuvre lorsque cette attractivité ne repose que sur la politique fiscale, au travers de mesures incitatives.

Si vous le permettez, je souhaiterais revenir sur le passage du taux d'impôt sur les sociétés de l'Irlande à 12,5 % qui constitue une bonne illustration de ce phénomène. Cet exemple doit être replacé dans son contexte historique : l'imposition réduite dans la zone des docks de Dublin avait été identifiée comme dommageable par l'Union européenne et l'Irlande devait aligner ce régime sur son impôt de droit commun. Mais, en 2003, nous étions à la veille de l'intégration dans l'Union européenne de dix nouveaux États membres dont le taux de prélèvements obligatoires était de dix points inférieur à celui de l'UE-15. Aussi l'Irlande a-t-elle fait le choix de réduire substantiellement son impôt de droit commun pour conserver son attractivité fiscale. Dès lors que ce régime n'était plus dérogatoire, il ne constituait plus une forme de dumping fiscal de la part de l'Irlande a finalement été avalisé par l'Union européenne. Le débat va donc bien au-delà de la dérégulation et porte sur la mondialisation.

Je veux citer un autre exemple pour replacer ces questions dans un cadre historique plus complet. La lutte contre la concurrence fiscale dommageable a été initiée par les États-Unis au milieu des années 90, quand des multinationales américaines ont commencé à s'expatrier fiscalement dans des paradis fiscaux pour ne plus être imposées. La dernière multinationale ayant envisagé un tel mouvement avant de revenir sur sa décision à la dernière minute était McDonald : c'eut été tout un symbole si même McDonalds n'avait plus été américain. Les États-Unis ont alors été amenés à s'interroger sur l'existence des paradis fiscaux et sur leurs effets dommageables sur la mondialisation et les échanges. Du point de vue des États-Unis, l'idée n'était pas de mettre fin à la dérégulation ou de lutter contre la mondialisation, mais d'en neutraliser certains effets.

L'étude de l'OCDE a été la première à définir de manière scientifique les paradis fiscaux. Les critères retenus étaient les suivants :

- un niveau de prélèvement insignifiant ou inexistant ;

- l'absence d'activité économique réelle (ce qui était le signe que le régime fiscal n'avait vocation qu'à attirer les profits, et non les activités) ;

- l'absence de transparence ou de coopération internationale dans l'échange de renseignements.

Une task force avait été mise en place au sein de l'OCDE pour identifier les pays remplissant ces critères. En l'espace de cinq ou six ans, les 35 pays identifiés avaient pris l'engagement de respecter les critères de transparence reconnus internationalement. La sincérité des engagements pris peut être source d'interrogation ; il n'en reste pas moins qu'à la veille de la crise financière de 2008, plus aucun État n'était inscrit sur la liste noire. L'OCDE avait même décidé d'abandonner le critère du niveau d'imposition insignifiant ou nul pour caractériser un paradis fiscal et un glissement s'était opéré depuis les années 2000, depuis l'identification des paradis fiscaux vers l'encadrement des territoires et Etats jugés non coopératifs. En d'autres termes, l'OCDE s'attachait davantage à l'échange de renseignement à des fins fiscales qu'au niveau d'imposition. Peut-on dire que les paradis fiscaux n'existent plus ? De fait, ils n'existent plus, puisque l'on a changé de paradigme et que l'on parle désormais d'Etats ou de territoires non-coopératifs. Pourtant, ils n'ont pas disparu.

Le coeur du problème n'est pas tant que certains Etats aient des niveaux d'imposition particulièrement bas : de petits territoires très décentralisés et n'ayant aucun avantage comparatif peuvent chercher à accueillir des activités par ce bais. Par contre, il est inacceptable que des Etats ne jouent sur la politique fiscale que pour attirer des bases imposables, et non des activités. Dès lors qu'il existe une décorrélation entre les activités productives et les bases fiscales, il y a - à mon sens - paradis fiscal, et c'est ce à quoi il est je crois nécessaire de s'attaquer.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion