La commission auditionne d'abord MM. Thierry Lamorlette, auteur du « Guide critique et sélectif des paradis fiscaux à l'usage des particuliers » et Thibault Camelli, auteur de « Stratégies fiscales internationales ».
Mes chers collègues, nous allons démarrer le cycle des auditions de la Commission d'enquête. Nous accueillons pour commencer Thierry Lamorlette, auteur du Guide critique et sélectif des paradis fiscaux à l'usage des particuliers, ainsi que Monsieur Thibault Camelli, auteur de Stratégies fiscales internationales. Conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, votre audition, messieurs, doit se tenir sous serment ; tout faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du Code pénal. Je vous demanderai donc de prêter serment à tour de rôle, en levant la main droite et en disant « Je le jure. »
Je le jure.
Merci Monsieur le président. Je vous remercie de l'honneur que vous me faites en m'invitant à participer aux travaux de votre commission. Monsieur Lamorlette se concentrera sur la fiscalité internationale des personnes physiques, tandis que je traiterai celle des personnes morales.
L'objet de votre commission d'enquête est « l'évasion des capitaux et des actifs hors de France, et ses incidences fiscales. » Il s'agit d'un sujet vaste et difficile, que l'on a plus souvent l'habitude de voir entre les mains des membres de l'Assemblée nationale. Toutefois, lors de mes travaux préparatoires, j'ai trouvé dans les archives du Sénat une proposition de résolution datant de 1972 ; une commission d'enquête s'était alors penchée sur « les procédés frauduleux auxquels recourent les sociétés pour échapper à l'imposition, et sur la législation permettant l'évasion fiscale ». Certains passages de cette résolution restent d'une actualité troublante. L'exposé des motifs justifiant la création de la commission d'enquête se divise en trois temps : une description du champ d'étude, une typologie des formes d'évasion fiscale internationale, et une analyse des politiques publiques qui existaient à l'époque. Dans le premier temps, il est noté que « c'est au niveau des grandes entreprises que se situe la fraude. Elle est pratiquée par une minorité, par de puissants affairistes, par des parasites qui polluent le régime capitaliste, par des entreprises et des catégories de contribuables qui disposent de moyens de dissimuler une partie de leurs ressources et d'utiliser au maximum l'inextricable maquis de la fiscalité bourgeoise ».
Au-delà d'un vocabulaire connoté politiquement, on peut noter la remarque portant sur la complexité du régime fiscal français : quarante ans plus tard, le même constat peut-être fait, et il est à la base de l'évasion fiscale. Par ailleurs, la typologie des formes d'évasion fiscale internationale notait que « les bénéfices réalisés à l'intérieur d'un groupe de dimension internationale peuvent aisément être localisés dans les pays où la pression fiscale est la plus faible. » Cette logique est désormais encadrée par la problématique des prix de transfert, sur laquelle nous pourrons revenir ultérieurement. S'agissant enfin des politiques publiques, la résolution de 1972 posait la question suivante : « Devant une telle situation, que fait le gouvernement ? Il parle beaucoup et régulièrement de la lutte contre la fraude » - à l'époque venait d'être mis en place le Conseil des impôts, qui est devenu le Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO) - « mais dans le même temps il réduit toujours davantage la base de l'impôt sur les sociétés, et organise lui-même l'évasion fiscale au moyen de faveurs et de mesures discriminatoires prises au bénéfice des sociétés et de leurs actionnaires. »
Le « mitage » de l'impôt sur les sociétés a fait l'objet de nombreuses discussions ces derniers temps, et le président de cette commission a rédigé un rapport sur le sujet. Toutefois, cette problématique ne doit pas être confondue avec celle de l'évasion fiscale, et il convient de distinguer ce qui relève de la complexité du régime fiscal français et ce qui relève des tentatives d'évasion et de fraude fiscale. J'aurais souhaité ordonner mon propos selon la même structure que l'exposé des motifs de la résolution de 1972, mais je limiterai mon exposé à des questions de définition. Il est fondamental, à ce stade de vos travaux, que les termes soient bien compris de tous. Cela permettra de poser un diagnostic complet et sans parti pris sur ces enjeux très complexes.
Le premier rapport du CPO, qui date de 2007, s'était penché sur la question de la fraude aux prélèvements obligatoires. A cette occasion, le CPO avait tenté de définir les termes du débat. Paradoxalement, les notions de fraude, d'optimisation ou d'évasion fiscale, qui sont fréquemment employées dans le débat public - parfois à tort et à travers par la presse -, font rarement l'objet de définitions consensuelles, tant au niveau national qu'international. Je vous propose les définitions suivantes.
La fraude fiscale est un acte intentionnel de la part des contribuables qui cherchent à contourner la loi pour éviter le paiement d'un prélèvement obligatoire. Il s'agit d'un comportement délictuel délibéré qui présente donc un caractère pénal. Ce phénomène, très circonscrit juridiquement, est difficile à évaluer. L'Union européenne estime que la fraude, à l'échelle des 27 Etats membres, représente de 2 à 5 % du PIB, soit environ 40 milliards d'euros pour la France ; cette évaluation est en ligne avec celle dressée par le CPO dans son rapport de 2007. Le Syndicat National Unifié des Impôts (SNUI) estime quant à lui que la fraude fiscale se situerait entre 42 et 51 milliards d'euros. Cette somme peut être mise en parallèle avec le montant de l'impôt sur le revenu ou le montant des intérêts de la dette, ce qui ne manque pas d'interpeller.
L'optimisation fiscale comprend également un élément intentionnel, mais est parfaitement légale. Il s'agit pour le contribuable de minorer le montant de son impôt sans contrevenir à la loi et sans se soustraire à ses obligations. L'optimisation fiscale tire parti des possibilités offertes par notre régime fiscal, ce qui n'a rien d'illégal, comme le reconnaît le juge de l'impôt au nom du principe de non-immixtion. La différence fondamentale entre l'optimisation et la fraude est donc l'effet correcteur que le législateur peut avoir. En effet, le législateur peut décider de mettre fin à tout moment aux systèmes d'optimisation fiscale en changeant la loi, alors qu'il ne peut éliminer la fraude par ce seul moyen. Il faut donc se garder de toute confusion entre fraude et optimisation fiscale, qui serait préjudiciable à la sécurité juridique, à laquelle le Sénat est très attaché. La question de l'optimisation fiscale trouve une traduction actuelle dans les dépenses fiscales et les niches sociales : bien que ces dispositifs puissent être perçus comme discriminatoires ou inégalitaires, l'utilisation de tels régimes n'est pas constitutive de fraude.
L'évasion fiscale est la notion la plus employée, mais la plus impropre d'un point de vue juridique. Cette notion recouvre à la fois l'optimisation et la fraude fiscale, ce qui contribue à la confusion entre les deux termes. Certaines personnes estiment que l'évasion renvoie à la fois à l'optimisation dans la mesure où les procédés sont légaux, et à la fraude dans la mesure où elle procède d'une intention. Cependant, cette définition ne me semble pas satisfaisante, et je crois que vos travaux devront s'attacher à préciser finement la définition que votre Commission retiendra de cette notion, sous peine de rendre moins effectives vos recommandations.
Je souhaite insister sur la nécessité de distinguer l'optimisation et la fraude fiscale. J'aurais volontiers abordé les prix de transferts et les mécanismes de répression de l'évasion et de la fraude fiscale internationale, mais je garde ces sujets pour les questions.
Je le jure. Monsieur le président, Messieurs, je vais démarrer mon exposé en rappelant que le système français de l'impôt sur le revenu des personnes physiques est un système de mondialisation. Une personne résidant en France doit déclarer l'ensemble de ses revenus, qu'ils soient de source française ou étrangère. D'autres pays appliquent un système de territorialité restreinte : seuls les revenus acquis sur le territoire national sont déclarés, les revenus acquis à l'extérieur n'étant pas pris en compte. Les Anglais appliquent ce système aux résidents qui ne sont pas citoyens britanniques et promettent de rentrer dans leur pays d'origine au bout d'un certain temps ; ces personnes ont un statut de « résident domicilié », et ne sont imposés que sur les revenus acquis au Royaume-Uni et sur les capitaux rapatriés de l'étranger. Ainsi, un de mes élèves vend des pulls en cashmere : ses ventes en Grande-Bretagne sont imposées en Grande-Bretagne, et il utilise pour les ventes réalisées dans le reste de l'Europe (il est représentant exclusif dans quatre pays) une société basée à Chypre qui ne paye que 4,25 % d'impôt sur les sociétés. Enfin, certains pays, surnommés zero-havens (paradis zéro-impôt), sont des paradis fiscaux sans impôts ; on trouve également, dans certaines nomenclatures américaines, la notion de tax-holiday (vacance d'impôt), qui décrit des territoires où n'existe aucun impôt sur le revenu. La notion de territorialité constitue donc un premier problème.
L'application de nos principes de territorialité concerne uniquement les individus ayant des revenus de source française et résidant en France. Un Français quittant le territoire français pour devenir non-résident et ayant des revenus à l'étranger n'est plus concerné par l'impôt en France, sans pour autant pouvoir être qualifié de fraudeur - il peut être décrit comme habile, ou l'on peut considérer qu'il a choisi de s'expatrier pour divers motifs. Monsieur Mélenchon, candidat à l'élection présidentielle, a récemment proposé d'appliquer le système américain du droit de suite. Cependant, les Américains ont les moyens d'appliquer une telle politique. En application de ce système, les citoyens américains doivent déclarer leurs revenus au fisc américain où qu'ils résident dans le monde ; si l'impôt étranger est supérieur ou égal à l'impôt américain, le citoyen américain est tranquille ; si ce citoyen s'est enrichi sur le dos du Trésor américain, il doit payer la différence. De la même manière, les Néerlandais ont mis en place un droit de suite de dix ans afin de lutter contre l'évasion fiscale concernant les droits de succession.
Les résidents français qui ne déclarent que certains revenus rentrent dans la catégorie des fraudeurs fiscaux. Cependant, il convient de s'entendre sur les notions utilisées. Je pense que nous parlerons du secret bancaire, qui est un problème capital. Or, presque tous les pays se sont mis d'accord pour lever le secret bancaire dans trois cas : terrorisme, détournement de fonds publics et crime organisé. La fraude fiscale n'est donc pas concernée par la levée du secret bancaire : certains Etats considèrent que l'argent n'a pas d'odeur, tandis que d'autres invoquent le fait que la définition de la fraude varie selon pays. Ainsi, la Suisse distingue trois niveaux :
- l'évasion fiscale - bien que ce terme ne soit pas souhaitable -, qui pour les Suisses relève de l'habileté, et ne donne pas lieu à sanction ;
- la soustraction à l'impôt, qui ne constitue pas un délit, et dont la sanction est purement financière (elle peut aller jusqu'à trois fois le montant de l'impôt éludé) ;
- la fraude fiscale, qui suppose des manoeuvres frauduleuses, l'utilisation de faux, ou un délit d'escroquerie.
Ce schéma ne correspond pas à la définition française de la fraude. Dès lors, un banquier suisse n'acceptera la levée du secret bancaire qu'à condition que la situation corresponde à la définition suisse de la fraude. Cette pratique est partagée par un certain nombre de pays.
Par ailleurs, il existe des problèmes de rapports de force. Les Américains ont obtenu la levée du secret bancaire dans tous les paradis fiscaux qui les entourent, afin de lutter contre le trafic de stupéfiants. Les dirigeants de ces Etats souverains ont été invités à coopérer en levant le secret bancaire à la demande des différentes agences américaines (FBI, DEA, CIA), et ont été menacés de mesures de rétorsion en cas de refus. Les Bahamas, les Bermudes et les Caïmans ont tout de suite accepté de coopérer, mais cela ne signifie pas qu'ils acceptent de coopérer avec un juge d'instruction français présentant une demande d'éclaircissement en vertu d'une commission rogatoire internationale.
L'évocation de ces problèmes donne lieu à une forme d'hypocrisie de la part de certains Etats, qui ne se sont pas impliqués dans les récents G20 qui se sont intéressés aux paradis fiscaux. Cela s'explique par le fait que ces Etats ont des paradis fiscaux, et que leur définition de ces paradis fiscaux diffère de celle de l'OCDE. Ainsi, les Chinois (qui ne sont pas membres de l'OCDE) se moquent des discours qui leur sont tenus à ce sujet. Les Américains ont également un certain nombre de paradis fiscaux utilisés pour des activités plus ou moins officielles. Les Russes sont également en train d'en mettre en place, et les Anglais sont parvenus à conserver les leurs. Enfin, d'autres Etats, sans être des paradis fiscaux, proposent parfois certaines exonérations spéciales avec l'aval de l'Union Européenne. Il en va ainsi des Portugais avec l'île de Madère, qui s'est considérablement développée : de 1987 à 2011, les bénéfices des sociétés implantées à Madère étaient exonérés d'impôt. Cette décision ayant été prise par l'Union européenne, elle avait la force d'une convention internationale supérieure à la loi française, et les deux tentatives du fisc français de redresser des sociétés ayant utilisé ce « paradis fiscal » n'ont pas abouti. De même, la zone des docks de Dublin s'est vue accorder un statut de zone franche sur demande du gouvernement irlandais, et toutes les grandes sociétés financières et bancaires y sont représentées ; ces sociétés s'étaient vues proposer un impôt beaucoup plus faible (10 %) et l'amortissement à 100 % de leurs immeubles la première année. Ainsi, un certain nombre de pays attirent en toute légalité des personnes, et il est très difficile de lutter contre ce phénomène. L'exemple d'un banquier genevois de très haut de gamme a été récemment cité : en association avec des assureurs luxembourgeois, des contrats d'assurance-vie insaisissables en France étaient proposés en toute légalité ; un chef d'entreprise disposant d'au moins 3 millions d'euros d'actifs pouvait même rentrer dans le fonds d'assurance-vie.
La fiscalité est très disparate, et la notion de fraude varie selon les pays. Les volontés de coopérer et les capacités de pression diffèrent également. Au G20, l'Allemagne et la France ont formulé des propositions, mais la Russie n'a rien voulu entendre, la Chine a fait semblant de n'être pas concernée, et les Etats-Unis et l'Angleterre ont refusé de s'en mêler. L'histoire de la liste noire, à ce titre, est frappante : 37 pays étaient concernés mais il ne restait plus, à la fin des négociations, que des paradis fiscaux d'opérette (Andorre, Monaco et un pays du Pacifique). Nous avons désormais une liste grise, une liste gris clair, une liste gris foncée... La liste noire ne compte plus que deux Etats. Dans ce domaine, la mondialisation n'a pas arrangé les choses.
J'aimerais poser quelques questions pour engager la discussion. D'abord, comme Monsieur Camelli l'a montré en faisant référence au rapport établi par le Sénat en 1972, le sujet qui nous intéresse n'est pas nouveau. Toutefois, j'imagine qu'il a considérablement évolué en 40 ans, et je pense que nous pouvons nous accorder sur le fait que s'est installée dans le monde, à partir des années 80, une dérégulation complète des flux financiers. Est-il possible, à votre avis, d'établir un parallèle entre cette dérégulation (qui est le fruit de choix affichés au cours des années Reagan et Thatcher, et à laquelle nous n'avons pas échappé) et l'accroissement du nombre de paradis fiscaux, ou l'augmentation du volume des transactions concernées ?
Ma deuxième question est relative à l'histoire plus récente. A l'issue du G20 de Pittsburgh, en septembre 2009, nous avons entendu des annonces spectaculaires sur la fin des paradis fiscaux. A-t-on constaté dans notre pays une plus grande régulation des flux et des paradis fiscaux ?
S'agissant de l'évolution des paradis fiscaux, nous annoncions dans notre ouvrage la mort des paradis fiscaux pour les sociétés ; il en va tout autrement des personnes physiques. Délocaliser une entreprise n'est pas une mince affaire : il s'agit de déplacer des hommes, du matériel, du savoir-faire, etc. En revanche, un individu peut régler ses comptes, faire sa valise et partir à l'étranger pour devenir non-résident. Certains paradis fiscaux ont été sanctionnés et ne constituent plus des paradis pour les personnes morales. Toutefois, l'on observe depuis plusieurs années un glissement des paradis fiscaux de l'Europe vers les Antilles, qui répond à la sensation que les secrets seront mieux conservés là-bas.
J'ai demandé à une cinquantaine d'anciens étudiants travaillant dans des banques implantées dans les paradis fiscaux quel était le pourcentage de nationaux qui étaient clients de ces banques. Par exemple, j'ai demandé à un ancien élève travaillant pour Dresdner aux îles Caïmans combien de clients étaient allemands. Evidemment, cette étude se déroulait dans le plus strict anonymat. Il est apparu que le pourcentage de nationaux dans les banques implantées dans les paradis fiscaux se situait entre 1,5 % et 4 %. Les banques françaises ne comptaient quasiment aucun client français, et la situation était équivalente pour les banques allemandes ou américaines. Pour des raisons de secret, les clients ne choisissent pas les banques de leur pays.
Je ne crois pas que la dérégulation ait eu d'effet direct sur les paradis fiscaux. Toutefois, il est indéniable que la mondialisation des échanges a placé les Etats en situation de concurrence fiscale. Les effets dommageables de cette concurrence ne sont apparus qu'à la fin des années 90. Jusqu'à la publication en 1998 d'un rapport de l'OCDE qui a fait date, « La concurrence fiscale dommageable, un problème mondial », les Etats entraient dans cette forme de concurrence en mettant en avant leur attractivité. On peut s'interroger sur la pérennité des politiques publiques mises en oeuvre lorsque cette attractivité ne repose que sur la politique fiscale, au travers de mesures incitatives.
Si vous le permettez, je souhaiterais revenir sur le passage du taux d'impôt sur les sociétés de l'Irlande à 12,5 % qui constitue une bonne illustration de ce phénomène. Cet exemple doit être replacé dans son contexte historique : l'imposition réduite dans la zone des docks de Dublin avait été identifiée comme dommageable par l'Union européenne et l'Irlande devait aligner ce régime sur son impôt de droit commun. Mais, en 2003, nous étions à la veille de l'intégration dans l'Union européenne de dix nouveaux États membres dont le taux de prélèvements obligatoires était de dix points inférieur à celui de l'UE-15. Aussi l'Irlande a-t-elle fait le choix de réduire substantiellement son impôt de droit commun pour conserver son attractivité fiscale. Dès lors que ce régime n'était plus dérogatoire, il ne constituait plus une forme de dumping fiscal de la part de l'Irlande a finalement été avalisé par l'Union européenne. Le débat va donc bien au-delà de la dérégulation et porte sur la mondialisation.
Je veux citer un autre exemple pour replacer ces questions dans un cadre historique plus complet. La lutte contre la concurrence fiscale dommageable a été initiée par les États-Unis au milieu des années 90, quand des multinationales américaines ont commencé à s'expatrier fiscalement dans des paradis fiscaux pour ne plus être imposées. La dernière multinationale ayant envisagé un tel mouvement avant de revenir sur sa décision à la dernière minute était McDonald : c'eut été tout un symbole si même McDonalds n'avait plus été américain. Les États-Unis ont alors été amenés à s'interroger sur l'existence des paradis fiscaux et sur leurs effets dommageables sur la mondialisation et les échanges. Du point de vue des États-Unis, l'idée n'était pas de mettre fin à la dérégulation ou de lutter contre la mondialisation, mais d'en neutraliser certains effets.
L'étude de l'OCDE a été la première à définir de manière scientifique les paradis fiscaux. Les critères retenus étaient les suivants :
- un niveau de prélèvement insignifiant ou inexistant ;
- l'absence d'activité économique réelle (ce qui était le signe que le régime fiscal n'avait vocation qu'à attirer les profits, et non les activités) ;
- l'absence de transparence ou de coopération internationale dans l'échange de renseignements.
Une task force avait été mise en place au sein de l'OCDE pour identifier les pays remplissant ces critères. En l'espace de cinq ou six ans, les 35 pays identifiés avaient pris l'engagement de respecter les critères de transparence reconnus internationalement. La sincérité des engagements pris peut être source d'interrogation ; il n'en reste pas moins qu'à la veille de la crise financière de 2008, plus aucun État n'était inscrit sur la liste noire. L'OCDE avait même décidé d'abandonner le critère du niveau d'imposition insignifiant ou nul pour caractériser un paradis fiscal et un glissement s'était opéré depuis les années 2000, depuis l'identification des paradis fiscaux vers l'encadrement des territoires et Etats jugés non coopératifs. En d'autres termes, l'OCDE s'attachait davantage à l'échange de renseignement à des fins fiscales qu'au niveau d'imposition. Peut-on dire que les paradis fiscaux n'existent plus ? De fait, ils n'existent plus, puisque l'on a changé de paradigme et que l'on parle désormais d'Etats ou de territoires non-coopératifs. Pourtant, ils n'ont pas disparu.
Le coeur du problème n'est pas tant que certains Etats aient des niveaux d'imposition particulièrement bas : de petits territoires très décentralisés et n'ayant aucun avantage comparatif peuvent chercher à accueillir des activités par ce bais. Par contre, il est inacceptable que des Etats ne jouent sur la politique fiscale que pour attirer des bases imposables, et non des activités. Dès lors qu'il existe une décorrélation entre les activités productives et les bases fiscales, il y a - à mon sens - paradis fiscal, et c'est ce à quoi il est je crois nécessaire de s'attaquer.
A-t-on constaté une évolution dans notre pays après 2009, quand des mesures ont été annoncées ? Disposez-vous d'informations objectives et tangibles prouvant que des mesures ont été prises pour améliorer les choses ?
Certains pays se sont engagés à procéder à des échanges de renseignement en cas de demande. Toutefois, s'ils acceptent de fournir des renseignements sur des fraudeurs, la notion de fraudeur reste sujette à interprétation, et les Etats peuvent refuser de répondre s'ils estiment que la définition du pays demandeur est trop large ou trop floue. Tant que les Etats ne se seront pas accordés sur les définitions, nous ne sortirons pas de ce problème, qui est extrêmement complexe. Il faut garder en tête que les Etats concernés, qui sont souvent désignés comme de petits Etats, sont souverains. Les îles Caïmans sont le troisième créancier des Etats-Unis, après le Japon et la Chine, et les Américains n'ont aucun intérêt à leur chercher querelle - d'autant plus qu'elles coopèrent : une convention a notamment été signée avec la France. Si vous avez l'occasion d'interroger des magistrats, il serait intéressant que vous les interrogiez au sujet des commissions rogatoires qui partent vers ces Etats, afin de savoir s'ils obtiennent un retour.
Vous nous avez dit que la fraude fiscale représentait environ 2,5 % du PIB de l'Union européenne. Existe-t-il une telle estimation concernant l'optimisation fiscale ? Il s'agit d'un champ sur lequel nous pourrions agir, et je souhaiterais donc savoir ce que cela pourrait représenter.
Par ailleurs, j'ai cru comprendre que vous estimiez que le droit de suite américain était peu applicable en France, au motif que les Etats-Unis, en tant qu'Etat fort et puissant, ont les moyens de leur politique. Je crois qu'il serait intéressant de savoir quels moyens se donne réellement ce pays. Il me semble que l'administration est puissamment organisée, mais il existe évidemment un rapport de force politique. Le droit français peut-il être amélioré afin que le droit de suite soit plus opérationnel, à défaut d'être totalement efficace ?
Enfin, vous avez évoqué la situation de Madère entre 1987 et 2011. Le dispositif que vous avez décrit a-t-il pris fin, ou n'avez-vous pas d'éléments depuis cette date ?
Les textes prévoyaient que ce système prenne fin en 2011. Il existe toujours, dans ces cas, une date butoir. C'est pourquoi l'on ne parle pas de paradis fiscaux, mais de refuges fiscaux. Ces dispositifs sont temporaires, tandis que les paradis fiscaux sont « éternels ».
Pour ce qui est de Madère, sait-on qui est allé s'y réfugier ? S'agissait-il de Portugais souhaitant être exonérés d'impôts, ou le dispositif a-t-il massivement attiré des citoyens d'autre pays sans avoir beaucoup d'impact sur la question fiscale au Portugal ? Nous n'arrivons manifestement pas à mettre en oeuvre une morale mondiale, compte tenu des intérêts qui s'affrontent. Par conséquent, hors toute vision morale, il me semble que nous pouvons nous interroger sur les intérêts de la France. Quel a été l'intérêt objectif du Portugal à la mise en place de cette zone franche à Madère ?
A ma connaissance, tous les pays de l'Union européenne ne sont pas liés par le principe qui veut que toutes les lois européennes soient supérieures aux lois nationales. En effet, il me semble que la Cour constitutionnelle allemande conserve une prérogative en dernier ressort pour les lois nationales, et que l'inscription de ce principe au moment du changement constitutionnel de Maastricht n'était pas une obligation liée au traité. Existe-t-il d'autres Etats de l'Union qui, ne considérant pas que toutes les lois européennes s'imposent à eux par nature, ont développé des stratégies visant à contrôler ce qui se passe dans les pseudo-refuges acceptés par l'Union européenne ?
Je vais répondre immédiatement sur ce point. Tout découle du traité de Rome, qui est le texte fondateur. Lorsque j'ai eu l'occasion de défendre certaines entreprises, c'est sur ce traité que je me suis basé, et l'administration française a toujours perdu. Dès lors qu'un Etat rentre dans l'Union européenne, il accepte les règles issues du traité, et les Allemands sont soumis au même régime.
S'agissant du Portugal, il me semble que tout le monde a profité du dispositif mis en place à Madère.
Le fait que des Portugais aillent à Madère a bien entraîné une baisse de ressources fiscales pour le Portugal ?
Cela a surtout permis de créer beaucoup d'emplois. Ainsi, une société du Nord de la France a délocalisé ses activités à Madère et fait perdre à la France 123 emplois créés sur place. Les ouvriers français n'ont pas suivi l'entreprise. Il me semble d'ailleurs que cette entreprise a quitté Madère en 2011, puisque l'avantage fiscal n'existait plus ; il s'agit de nomades fiscaux, voyageant en fonction des taxations.
S'agissant du droit de suite, vous avez demandé si la France avait les moyens de faire ce que font les Américains. Il faut d'abord savoir que, lors de l'ouverture d'un compte dans une banque située à l'étranger - même au Burkina Faso ou au Sri Lanka -, il est toujours demandé : « Etes-vous citoyen américain ? ». Les banques ont une obligation de déclaration. Certaines banques suisses ont cru pouvoir passer outre, et ont été lourdement sanctionnées - ce processus n'est d'ailleurs pas terminé, puisque les Etats-Unis travaillent à une loi sur le secret bancaire. Je ne crois pas que nous ayons les moyens de mettre en oeuvre un tel dispositif.
Je veux donner un simple exemple. J'ai accompagné une de mes amies ayant épousé un homme ayant la double nationalité franco-américaine. Pour des raisons diverses, ce couple a fait le choix de s'implanter en Belgique, et l'époux a souhaité ouvrir un compte dans une banque américaine à Bruxelles. Le directeur de la banque n'a pu ouvrir le compte, l'homme étant fiché aux Etats-Unis pour n'avoir pas fait sa déclaration de revenus. S'il rentre aux Etats-Unis, il aura directement affaire au fisc américain, qui dispose de moyens énormes.
Tout à fait. Cependant, je veux livrer une autre anecdote. La première fois que je me suis rendu aux Etats-Unis, l'université qui m'accueillait m'avait payé un hôtel de luxe à New-York. Dans le hall étaient affichées des photos qui n'étaient pas celles de fugitifs mais de fraudeurs ; les affiches indiquaient la somme qu'ils avaient à payer, ainsi que le nombre d'années de prison dont ils avaient écopé - et il ne s'agissait pas de peines de six ou douze mois.
Nous pourrions aller chercher quelques fraudeurs pour faire peur aux autres.
Il est effectivement possible de changer le droit pénal français en matière de délinquance financière.
S'agissant de la criminalité financière, je rappelle qu'Al Capone a été emprisonné pour fraude fiscale. Les Etats-Unis ne plaisantent pas avec ce sujet.
Pour revenir à la question de la supériorité des traités européens, je rappelle que, si un traité est contraire à notre Constitution, il est nécessaire de modifier la Constitution afin de pouvoir l'appliquer.
Ce n'est pas la Constitution qui est en cause, mais la compétence du Parlement. En Allemagne, le parlement dispose de capacités de blocage supérieures à celles du parlement français, comme l'a montré le vote du Mécanisme Européen de Stabilité. Nous ne sommes pas là pour débattre des institutions, mais je souhaite savoir si certains Etats se sont rebellés contre le principe du refuge fiscal.
Non. Depuis 1997, l'Union européenne a conduit une action en interne afin de réprimer la concurrence fiscale dommageable, en établissant un « Code de bonne conduite en matière d'impôt sur les sociétés ». Tous les régimes fiscaux des Etats membres ont été passés en revue, et les Etats ont dû mettre fin aux régimes qui n'avaient vocation qu'à attirer la base fiscale sans attirer les activités, ou qui proposaient des taux relevant du « braconnage fiscal ». Le dernier système à avoir été supprimé est celui des « holdings 1929 » au Luxembourg. En France, le régime du bénéfice consolidé avait été identifié comme potentiellement dommageable, et bien que l'Union européenne ait finalement jugé qu'il n'était pas dommageable, la France a finalement décidé de le supprimer l'année dernière. Même si quelques Etats essaient de jouer sur le paramètre fiscal pour attirer certaines activités, il existe donc une vigilance au sein de l'Union Européenne pour encadrer la concurrence fiscale et assurer le bon fonctionnement du marché intérieur.
Vous sembliez émue que l'exonération fiscale sur l'île de Madère puisse être préjudiciable au reste du territoire portugais. Il s'agit pourtant, en définitive, de la logique qui est retenue lorsque l'on accorde des exonérations de cotisations patronales dans certaines zones d'activités en France. La fiscalité peut être utilisée comme un paramètre pour inciter des investissements ou créer des emplois ; elle constitue une arme de politique publique et est dotée d'une certaine efficacité. Toutefois, elle doit être utilisée à bon escient.
Pardonnez-moi de m'être absentée, j'ai dû me rendre en séance. J'ai été associée de très près aux malheurs de citoyens américains ayant des comptes en Suisse, dont la situation a brièvement été évoquée : pénalités, blocages des fonds, pressions et sanctions contre les banques. Cet arsenal pourrait être examiné en détail afin de savoir ce que pourrait mettre en place le législateur français, bien que la France ne dispose pas de la même puissance que les Etats-Unis.
Je souhaiterai votre avis sur la position du gouvernement français qui, disposant d'une liste de gens possédant des comptes bancaires à l'étranger, a procédé de manière très différente. Préconisez-vous un renforcement de la législation et des moyens mis en oeuvre (la question des moyens est très importante, et je crois que la RGPP ne devrait pas s'appliquer à Bercy comme ailleurs, en tous cas en ce qui concerne les contrôles), ou préconisez-vous plutôt la négociation ? Quels sont les moyens à mettre en oeuvre pour améliorer le dispositif existant ?
Comme vous l'avez rappelé, l'optimisation n'est pas la fraude - certaines entreprises ne payant pas d'impôts en France optimisent mais ne fraudent pas. Cette distinction, bien que subtile, est très importante, tant pour le journaliste qui traite ces questions que pour le citoyen qui reçoit l'information.
Il est possible de mettre en oeuvre un système similaire au système américain, mais cela suppose que l'on se dote des moyens adéquats. Lorsque le fisc américain a contrôlé Nissan, 70 agents se sont rendus dans les locaux de l'entreprise, équipés de fusils à pompes et de menottes. Les Japonais ont répliqué en taxant Coca-Cola à hauteur de 7,5 milliards de yens, envoyant 50 vérificateurs. De telles situations n'existent pas en France : l'administration n'envoie que trois inspecteurs des impôts, qui ne sont pas armés et ne sont pas officiers de police judiciaire.
Enfin, je pense qu'il est possible de faire quelque chose, mais qu'il faut s'en donner les moyens. Patrick Rassat et moi-même avons eu l'occasion de conseiller un ministre d'Etat, qui nous a demandé ce que nous pensions de la manière dont les Américains traitaient les délinquants (notamment en matière de vente de stupéfiants). Nous lui avons répondu qu'en France, la prescription était trop courte : elle est de trois ans, voire de cinq ans en cas de fraude fiscale. Cette prescription a été étendue à dix ans. A mon avis, une prescription de quinze ans serait parfaite.
Si nous mettions en oeuvre des dispositions obligeant les banques à déclarer à l'administration fiscale les citoyens français ouvrant un compte dans leur structure, aurions-nous des moyens de sanction ? Les Etats-Unis ne se gênent pas pour sanctionner les banques suisses ne respectant pas leurs obligations. Un tel dispositif ne sera efficace qu'à condition que le gouvernement mène une politique volontariste dans ce domaine. Il s'agirait, à mon sens, d'une très bonne chose.
Je voudrais revenir sur la question de l'estimation des éventuelles pertes d'imposition liées à l'optimisation fiscale. En tant que telle, l'optimisation n'entraîne pas de pertes puisqu'il s'agit de l'application stricte de la loi. Elle entraîne tout au plus de moindre recettes et les contribuables auraient acquitté un impôt plus élevé s'ils avaient du appliquer des régimes fiscaux moins attractifs. En pratique, il est impossible d'évaluer un tel phénomène. Cependant, il est possible d'approcher la question en se référant aux travaux d'évaluation des niches fiscales et sociales, en sachant que certaines modalités d'optimisation fiscale pour les entreprises ne sont pas considérées comme des dépenses fiscales mais comme des modalités de paiement de l'impôt - je pense notamment au régime de l'intégration fiscale. Une étude est régulièrement menée sur ce sujet par la Cour des comptes ou l'Inspection Générale des Finances.
Nous gagnerions indéniablement à copier les Etats-Unis. D'ailleurs, le régime français de lutte contre l'évasion fiscale s'inspire largement du modèle américain, et j'invite la commission à interroger des avocats spécialisés sur cette question. Ces mécanismes ont été fortement renforcés depuis le début de la crise financière. Ainsi, l'utilisation de territoires ayant une fiscalité notoirement inférieure à la fiscalité française et n'ayant pas signé suffisamment de convention d'échanges de renseignements et de coopération administrative est désormais très pénalisante pour les entreprises, et l'effet désincitatif est certain. A mon sens, nous avons, en matière d'impôt sur les sociétés, un système parmi les plus performants au monde, qui n'a rien à envier aux Etats-Unis.
S'agissant des moyens dédiés au contrôle fiscal, je crois que l'élément fondamental est la question des prix de transfert. Beaucoup pensent que la notion de « prix de transfert » renvoie aux manipulations auxquelles se livrent les groupes internationaux pour placer leurs profits dans des paradis fiscaux. Le terme n'a pas cette connotation et désigne simplement les prix pratiqués entre sociétés liées, c'est-à-dire appartenant à un même groupe. Près des deux tiers du commerce international se font entre sociétés liées. Si ces pratiques n'étaient pas encadrées, elles conduiraient les multinationales à tenter de placer leurs revenus là où l'imposition est la plus faible, au travers de facturation de prestations de services par exemple. L'encadrement des prix de transfert, réalisé sur la base de recommandations de l'OCDE appliquées par la France, oblige les sociétés liées à retenir les mêmes pratiques que les sociétés indépendantes, ce que l'on appelle le « principe de pleine concurrence ». Elles doivent également produire une documentation justifiant la détermination des prix utilisés entre elles. Il me semble que cette documentation et plus généralement les pratiques en matière de prix de transfert, constituent un axe du contrôle fiscal qui mériterait d'être développé. En effet, bien que les enjeux soient considérables, et que la France dispose d'un arsenal législatif très puissant dans de domaine, l'administration fiscale reste timide en matière de contrôle des prix de transfert. Deux raisons peuvent expliquer cette timidité : d'une part, ces contrôles très techniques demandent énormément de temps, et d'autre part ils nécessitent que les agents soient formés spécifiquement, cette problématique va en effet au delà de la traditionnelle revue fiscalo-comptable et repose essentiellement sur des considérations économiques qui exigent de comprendre l'entreprise vérifiée, ses marchés, son processus de production... Une solution pourrait consister à créer une brigade spécialisée en matière de prix de transfert, intervenant sur le même modèle que les Brigades de Vérification des Comptabilités Informatisées (BVCI). Le système du contrôle fiscal serait alors comparable au système distinguant le médecin généraliste du médecin spécialiste : le contrôleur de droit commun dresserait un tableau global de la société, et ferait intervenir au besoin une brigade spécialisée chargée d'étudier en détail la politique de l'entreprise en matière de prix de transferts. Au fur et à mesure de ces interventions, les vérificateurs de droit commun deviendraient aguerris.
La fraude fait l'objet d'évaluations chaque année. Existe-t-il des techniques scientifiques permettant d'accorder un crédit relatif aux évaluations que distillent certains individus sur l'étendue de la fraude, en particulier en France ?
Par définition, il est impossible d'évaluer la fraude, puisqu'il s'agit de pratiques occultes. Toutefois, les évaluations doivent être appréciées en fonction de leur émetteur. Si l'information provient de journalistes, il convient d'être méfiant.
J'ai donc la réponse à ma question : les affirmations en la matière sont parfois fantasmagoriques. Comment l'Union européenne est-elle parvenue à une estimation chiffrée ? Etre en mesure de chiffrer la fraude signifierait que l'on sait où elle est. Dans ce cas, pourquoi ne la combat-on pas ?
La France a depuis quelques temps fait évoluer sa législation fiscale en ce qui concerne l'accès aux paradis fiscaux. Peut-elle aller plus loin sans se prémunir d'une réglementation européenne, sachant qu'il est extrêmement difficile de parvenir à une harmonisation fiscale européenne ? En tant qu'enseignant à l'école d'avocats, je participe à beaucoup de jurys d'attribution en matière fiscale, et j'ai droit chaque année à une avalanche de mémoires sur l'optimisation fiscale au sein de l'Union Européenne.
Tous les prospectus distribués par les banques étrangères contiennent des incitations à la fraude fiscale. Ils conseillent ainsi, pour échapper aux successions, de créer un trust pour que le fisc français n'y voie que du feu.
Les nouveaux systèmes de commerce par internet ne favorisent-ils pas l'évasion fiscale ? J'ai été étonné de constater, à l'occasion d'un achat réalisé en France, que le prélèvement était réalisé par une banque luxembourgeoise. Cette question est-elle étudiée ? La publicité du site n'indiquait pas qu'il s'agissait d'une société luxembourgeoise.
Tant que le commerce demeure au sein de l'Union européenne, la taxe qui s'applique est la TVA, qui est un impôt quasiment harmonisé. Par conséquent, la situation ne pose pas de problème d'optimisation fiscale, et je peux vous assurer que vous ne vous êtes pas rendu coupable d'évasion fiscale.
J'aimerais apporter un complément au sujet de l'évaluation de la fraude. Si le sujet vous intéresse, je vous renvoie au premier rapport du CPO sur la fraude aux prélèvements obligatoires, dont le troisième chapitre 3 s'intitule « Les travaux d'estimation de la fraude sont balbutiants, en tout état de cause imprécis ». Ce constat a donc été fait dès 2007. Certains développements sont très intéressants. Dans ce domaine, l'estimation a un caractère statistique basé sur les cas de fraudes mis à jour. Le CPO relève toutefois que certaines administrations fiscales sont plus avancées que la France dans ce domaine.
S'agissant de la possibilité pour la France de renforcer isolément son action contre les paradis fiscaux extérieurs à l'Union européenne, il convient de noter que la France est dotée de l'un des arsenaux législatifs les plus efficaces pour éviter que les entreprises françaises utilisent des « Etats ou territoires non coopératifs », soit en déplaçant leurs profits, soit en établissant des filiales sur ces territoires.
Il me semble que notre attention devrait porter essentiellement sur l'optimisation fiscale, qui est conseillée par les banques qui se dotent d'experts pour accompagner leurs clients, par exemple dans le cas de la transmission d'entreprise. Quelles sont les préconisations que vous pourriez formuler dans ce domaine ?
Concernant les personnes physiques, la situation est complexe, car chaque Etat est souverain. Si un Etat ne taxe pas les plus-values, le commun des chefs d'entreprises sera tenté de venir y prendre sa retraite et d'y vendre ses actions. La seule solution pour lutter contre cette pratique est l'harmonisation fiscale. Il semblerait que la Belgique envisage de taxer les plus-values sur titres.
Avant tout, il faut se demander s'il est nécessaire de « lutter » contre l'optimisation fiscale. Le taux de prélèvement en France représente environ 42,5 % du PIB, dont les entreprises assument plus de la moitié. En outre, plus de 70 % des impôts payés par les entreprises pèsent sur le travail, contre 15 % sur les bénéfices et 10 % sur le capital. La charge fiscale des entreprises est donc lourde, et il conviendra de mesurer son évolution s'il était décidé de mettre fin à certains schémas d'optimisation fiscale.
Cette réserve formulée, deux enseignements peuvent être tirés de la possibilité pour les entreprises d'optimiser leurs impôts : d'un part, certaines entreprises sont mieux dotées que d'autres en moyens humains ou financiers pour bénéficier de conseils en matière d'optimisation ; d'autre part, c'est dans la complexité de la loi fiscale, la multiplication et la juxtaposition des régimes fiscaux prévus dans notre Code général des impôts que résident les possibilités d'optimisation. Si le législateur estime que l'optimisation est insupportable, il lui revient de procéder à une simplification de la législation fiscale. Tel est, du reste, le sens des recommandations de l'OCDE, qui appellent la France à simplifier son impôt sur les sociétés, en prenant la base la plus large possible et en fixant un taux raisonnable.
Dans l'arsenal législatif et réglementaire qui a été évoqué, que pensez-vous de la mise en place de la nouvelle exit tax (que je qualifierais « d'exit tax à la française ») ? Il me semble que l'exit tax américaine est beaucoup plus musclée.
La taxe américaine est effectivement beaucoup plus répressive que la taxe française. Je voudrais donner un exemple pour illustrer la nécessité d'un système fiscal simple. Nous avons fait travailler un certain nombre d'énarques pour savoir comment réformer l'impôt sur la fortune en contentant tout le monde - gauche, droite, centre. Une solution très simple est apparue, qui consistait à exonérer la résidence principale. Pourtant, cette solution n'a pas été appliquée. Notre fiscalité est horriblement compliquée. Nous devons disposer de textes simples afin de pouvoir avancer. En comparaison, les textes américains sont très simples. Il faut garder à l'esprit que 80 % des Français sont ignorants en matière économique. Les Américains sont également ignorants, mais ils ont la main sur le coeur lorsqu'il s'agit de payer.
Avant de poser une nouvelle question, je voudrais faire une réflexion personnelle. Je comprends bien la distinction entre fraude fiscale et optimisation. Pourtant, l'optimisation est-elle acceptable moralement ? Je pose la question sans y répondre, mais je note que ce sont les entreprises qui gagnent le plus d'argent qui ont accès aux meilleurs outils d'optimisation, et qu'elles payent donc moins d'impôts que les PME - et a fortiori que les artisans.
Par ailleurs, tout le monde sait que les banques françaises (BNP, Société Générale et autres) ont un nombre conséquent d'entités dans les paradis fiscaux. Comment utilisent-elles cette situation ? Pouvez-vous illustrer les montages auxquels cela donne lieu ? Enfin, Monsieur Lamorlette peut-il nous parler de l'application de l'abus de droit en la matière, et donner son avis sur cette question ?
S'agissant de l'abus de droit, je dis toujours qu'il s'agit d'actes fictifs ayant pour seul objet le non-paiement ou la minoration de l'impôt. Ces actes sont plus souvent commis par des personnes physiques que par des personnes morales. Ces actes étaient notamment fréquents en matière de donations entre non-parents (couples homosexuels par exemple). Certaines pratiques consistaient à déguiser la donation en vente (sans l'aval des notaires). La vente étant taxée à 8,50 %, contre 60 % pour la donation, l'économie d'impôt était énorme. A l'époque, la pénalité en cas d'abus de droit était de 150 %, ce qui avait le mérite de faire peur aux gens. Le fait de la descendre à 80 % a été un mauvais choix, bien que l'on arrive facilement à 100 % en intégrant les pénalités et les intérêts de retard.
Le droit a été beaucoup durci pour les petits délits, et assoupli pour les faits de cette nature.
Une pénalité de 150 % est tout à fait justifiable dès lors que le contribuable peut auparavant recourir à la procédure de rescrit.
Tout à fait. La loi s'est d'ailleurs inspirée du ruling de droit américain.
Il convient de rendre hommage au Conseil d'Etat, qui a fortement développé la notion d'abus de droit en créant il y a quelques années la notion de fraude à la loi. La notion d'abus de droit était d'interprétation assez stricte : il s'agissait d'actes soit purement fictifs, soit poursuivant un objectif à caractère principalement fiscal. La fraude à la loi concerne l'utilisation des dispositifs légaux dans un sens qui n'est pas conforme à l'intention du législateur, et la jurisprudence du Conseil d'Etat applique de plus en plus largement cette notion. Cela devra inciter le législateur à rédiger des exposés des motifs explicitant clairement ses intentions.
Elle est identique à celle de l'abus de droit (80 %). Une pénalité de 150 % serait également souhaitable.
S'agissant des exemples de montages demandés par Monsieur le rapporteur, je dis toujours à mes étudiants qu'il existe deux catégories de conseils : les voyous, et les individus dotés d'une certaine éthique - nous essayons de former des individus dotés d'une certaine éthique. Un ancien élève, expert-comptable à Boulogne, m'a contacté pour me faire part d'inquiétudes liées aux conseils prodigués à l'un de ses clients. Son client souhaitait vendre son entreprise mais ne voulait pas quitter le Boulonnais. Le montage qui lui avait été proposé était une folie, et il s'est avéré qu'il avait été prodigué par un autre de mes anciens élèves. J'ai suggéré que le conseil - qui constituait une fraude caractérisée - soit mis par écrit, ce qui n'a naturellement jamais été fait. Il est fort possible que des banques, des organismes ou des avocats s'amusent à de tels montages. Certains en font leur fonds de commerce, ce qui mérite sanction. Il me semble qu'en cas d'abus de droit, la pénalité est de 40 % pour les individus en ayant profité indirectement. Il est donc possible d'imaginer que les individus ayant réalisé un montage frauduleux encourent les mêmes sanctions.
Différentes actions sont envisageables. Comme l'a souligné Monsieur Duvernois, les Américains sont efficaces. Leur politique est très répressive, mais il ne peut en être autrement lorsque l'on s'attaque à ces problèmes. Les lois doivent être simples et sans ambiguïté, afin que tous les contribuables soient logés à la même enseigne. Il faut également faire passer le message en direction du grand public. J'ai l'exemple d'un professeur de médecine m'ayant consulté car sa fille lui avait signalé qu'il était en situation de fraude ; il avait hérité d'un compte en Suisse (non déclaré dans la succession) contenant plusieurs millions de francs suisses, et était convaincu d'être de bonne foi car il ne retirait rien de ce compte. Une telle situation laisse rêveur. Je ne sais pas quoi répondre à de telles personnes, car je ne peux imaginer ce que cela entraînerait d'un point de vue fiscal si elles rapatriaient leur argent en France. Ce professeur pourrait négocier avec Bercy, mais il ne peut savoir dans quelles conditions il sera traité.
J'ignore si notre bibliothèque en dispose, mais je suggère que les ouvrages de Messieurs Lamorlette et Camelli soient partagés entre les membres de la commission.
Je vous remercie pour vos présentations. Nous allons poursuivre les auditions.
Puis la commission auditionne M. Xavier Harel, auteur de « La grande évasion, le vrai scandale des paradis fiscaux ».
Nous recevons maintenant Xavier Harel, auteur de La grande évasion, le vrai scandale des paradis fiscaux. Monsieur Harel, conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, votre audition doit se tenir sous serment ; tout faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du Code pénal. Je vous demanderai donc de prêter serment en levant la main droite et en disant « Je le jure. »
Merci. Je vous propose de nous faire un exposé préliminaire d'une quinzaine de minutes, suite à quoi le rapporteur puis les autres membres de la Commission vous poseront des questions.
Je suis un ancien journaliste de La Tribune, où j'ai travaillé pendant une quinzaine d'années avant de partir il y a un an. Je suis désormais documentariste, et je réalise actuellement un documentaire pour Arte sur la question de l'évasion fiscale qui cherche à répondre à la question : « Pourquoi le CAC40 ne paye pas d'impôts ? » Je suis très heureux que cette commission d'enquête existe, car je me suis longtemps senti très seul dans l'étude de ce sujet qui, bien que technique, touche directement nos recettes fiscales et affecte nos sociétés dans des proportions importantes. Comme vous avez pu le voir, le livre a été préfacé par Madame Eva Joly. A l'époque, il s'agissait d'une des rares personnalités à s'intéresser à ce sujet de longue date. Elle est depuis devenue députée européenne et candidate à l'élection présidentielle. Toutefois, je tiens à préciser que je ne suis pas membre d'Europe-Ecologie.
Les possibilités d'optimisation fiscale ont atteint un niveau sans précédent. Toutefois, la collecte de données dans le cadre de mes recherches a été très difficile. Alors qu'au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis un certain nombre d'institutions fournissent des informations relatives à cette problématique, très peu d'informations sont disponibles en France. Au bout de deux ans d'efforts, j'ai découvert presque par hasard le rapport du CPO de 2009, qui est passé presque inaperçu, et qui consacre un passage au taux d'imposition effectif des entreprises en fonction de leur taille. Le rapport montrait que les entreprises du CAC40 avaient un taux d'imposition implicite de 8 %, alors que les entreprises de moins de dix salariés avaient un taux d'imposition de 30 %. Plus une entreprise était grosse, moins elle payait d'impôts en proportion de ses bénéfices.
A l'époque, La Tribune a consacré une manchette à cette découverte, qui a eu un certain retentissement. Par la suite, des travaux engagés notamment par l'Assemblée Nationale ou la Direction du Trésor ont conforté les conclusions du CPO et ont amené cette question dans le débat public. Des travaux intéressants ont également été menés dans le cadre du rapport Carrez. Ce rapport indique qu'au cours des années 2007, 2008 et 2009, le CAC40 a versé un total cumulé de 13,5 milliards d'euros d'impôt sur les sociétés, et 10 milliards d'euros seulement si l'on tient compte des crédits d'impôts reçus, soit 3,5 milliards d'euros par an. Au cours de la même période, ces quarante entreprises ont distribué 112 milliards d'euros de dividendes, soit 37 milliards d'euros par an. Cette situation révèle un problème de contribution au bon fonctionnement de l'Etat : les dividendes ont continué d'être versés, alors que l'on aurait pu penser que ces entreprises n'étaient plus bénéficiaires.
Cette situation n'est pas propre à la France. Le National Audit Office, qui peut être décrit comme la Cour des comptes britannique, a montré qu'un tiers des 700 premières entreprises britanniques n'avaient pas payé d'impôt sur les sociétés au cours des années 2005 et 2006 - qui étaient des années de très forte croissance -, et que deux tiers des entreprises ont payé moins de 10 millions de livres sterling d'impôt sur les sociétés. Aux Etats-Unis, le Governement Accountability Office a révélé que deux tiers des entreprises américains n'avaient pas payé d'impôt sur les sociétés au cours des années 1998 à 2005, qui ont été de très belles années de croissance pour l'économie américaine ; ce résultat comprend un grand nombre de petites entreprises, mais également un quart des entreprises réalisant plus de 50 millions de dollars de chiffre d'affaires.
En France, les causes de cette situation ont été identifiées par le CPO. S'agissant des niches fiscales, qui font l'objet d'un débat récurrent, le CPO indiquait que « la France a privilégié une stratégie de mitage de son assiette sur l'impôt sur les sociétés. » Ce système n'a que des désavantages : le taux d'imposition facial des bénéfices est extrêmement élevé, tandis que le taux d'imposition effectif est très faible et frappe essentiellement les PME. Parmi les niches fiscales, le CPO cite le crédit d'impôt-recherche, les régimes d'intégration fiscale, le bénéfice mondial consolidé ou la déductibilité des intérêts, qui permet de réduit de 14 points le taux d'imposition effectif des grandes entreprises.
Le CPO pointe également du doigt les paradis fiscaux et l'utilisation qui en est faite par les grandes entreprises dans le cadre de la manipulation des prix de transfert. En effet, la moitié du commerce mondial correspond à des échanges au sein de mêmes groupes, dont la facturation interne est difficile à contrôler, et pour lesquels les possibilités de manipulation sont nombreuses. Le mécanisme consiste toujours à faire apparaître les bénéfices dans des territoires à la fiscalité faible, et à faire apparaître des coûts dans les pays où la fiscalité est la plus élevée. Ainsi, la plupart des entreprises de négoce de matières premières sont domiciliées en Suisse, qui ne respecte pas la convention de l'OCDE sur les prix de transfert, et où la fiscalité est extrêmement faible. Le principe, extrêmement simple, a été mis à jour à de nombreuses reprises. On peut imaginer l'exemple d'une entreprise d'exploitation basée en Suisse et possédant en République Démocratique du Congo (RDC) une filiale coupant du bois destiné aux marchés européens : la filiale facture le bois au siège à prix coûtant, ce qui signifie que l'entreprise ne réalise aucun bénéfice en RDC ; le siège - ou la filiale chargée de la commercialisation - revend ce bois au prix du marché, et les bénéfices apparaissent en Suisse, où ils sont peu fiscalisés. Par conséquent, l'exploitation des ressources naturelles de la RDC se fait sans aucun bénéfice pour les recettes de l'Etat.
Pour les multinationales, les possibilités de manipulation des prix de transfert pour faire apparaître les bénéfices où elles le souhaitent sont donc gigantesques. Le CPO range cette question parmi les principaux enjeux, et écrit à ce sujet : « La gestion des prix de transfert constitue l'élément déterminant des politiques d'optimisation fiscale actuelles pour les groupes de sociétés. » Les différents contrôles fiscaux effectués abondent dans ce sens, puisque les prix de transfert ont entraîné 2 milliards d'euros de redressements en 2008 - le secret fiscal étant très bien respecté en France, on ignore de quelles sociétés il s'agit. Que les prix de transferts constituent les principaux redressements s'explique par le fait que les entreprises françaises ont énormément de filiales dans les paradis fiscaux : Alternatives économiques a épluché il y a quelques années les rapports annuels de toutes les entreprises du CAC40, et a découvert que ces entreprises disposaient de 1 500 filiales dans les paradis fiscaux. BNP Paribas en compte 189, France Telecom en compte 69, Danone en compte 47, Carrefour en compte 32, etc.
L'autre méthode permettant de réduire significativement l'impôt sur les sociétés dans les pays à forte fiscalité consiste à loger la propriété intellectuelle dans les paradis fiscaux. Bloomberg a récemment mené une longue enquête sur Google, dont le taux d'imposition sur les bénéfices réalisés à l'étranger est de 2,4 %. Le montage est très complexe, et fait actuellement l'objet d'une enquête du fisc américain. Il démarre en Irlande, où Google a logé l'essentiel de ses brevets et encaisse l'essentiel de ses revenus réalisés en Europe. Ces revenus sortent ensuite par les Pays-Bas dans le cadre du Double Irish, qui permet aux revenus générés par la propriété intellectuelle de transiter au sein de l'Union européenne sans être taxés. Enfin, un accord entre les Pays-Bas et les Bermudes, baptisé le Dutch Sandwich, permet de sortir les revenus réalisés sans qu'ils soient imposés (ou en étant imposés très faiblement). Ainsi, les milliards d'euros de revenus générés par Google en Europe ne sont quasiment pas taxés et finissent aux Bermudes. Aujourd'hui, Google fait partie des grandes entreprises américaines demandant à bénéficier d'une amnistie pour rapatrier leurs capitaux aux Etats-Unis sans être imposées au taux de 35 %.
L'industrie pharmaceutique fait évidemment partie des grands utilisateurs de cette méthode consistant à localiser les brevets dans les paradis fiscaux. Les plus grands redressements concernent d'ailleurs cette industrie : Merck a été redressé à hauteur de 2,3 milliards de dollars en 2007, les royalties versés à une filiale des Bermudes pour deux médicaments ayant été jugés disproportionnés ; GlaxoSmithKline a été redressé à hauteur de 3,4 milliards de dollars pour les mêmes raisons. De façon plus anecdotique, les marges arrières des grands groupes de distribution en Suisse constituent un grand classique, et les grands groupes français se débrouillent aussi bien que les groupes anglo-saxons dans ce domaine.
La délocalisation de sièges sociaux en Suisse, aux Pays-Bas ou dans d'autres pays à faible fiscalité entraîne également des pertes de recettes fiscales qui se chiffrent probablement en milliards d'euros. Ce mécanisme permet à une entreprise de réduire ses impôts de manière à la fois légale et astucieuse, et est à l'oeuvre depuis une quinzaine d'années en Europe. A ce titre, le cas de Colgate-Palmolive, auquel j'ai consacré un chapitre de mon livre, mériterait d'être examiné attentivement. En juillet 2004, lorsque l'entreprise a présenté le projet Optima, visant à délocaliser le siège européen de l'entreprise à Genève, les syndicats ont décidé de faire intervenir des experts (juristes, experts comptables, etc.) pour comprendre ce qui allait se passer. Un état des lieux complet de la situation avant et après cette délocalisation fiscale est donc disponible, ce qui est unique.
La méthode employée par Colgate-Palmolive a consisté à remettre à jour le système des commissionnaires dans lequel le commettant fournit la matière première au commissionnaire qui la travaille en échange d'une petite marge. Dans le cas de Colgate-Palmolive, les usines sont restées en place, les systèmes de distribution et de marketing sont restés en état, mais toutes les entités dépendent désormais directement des décisions qui sont prises à Genève. Le siège social achète les matières premières et les fournit à l'usine (ce qui donne lieu à une facturation en interne), puis lui laisse entre 5 et 10 % de marge pour le travail réalisé. Le résultat est significatif : l'usine de Compiègne a payé 40 millions d'euros d'impôt sur les sociétés en moins la première année, et la perte d'assiette pour la Belgique et l'Allemagne se situait entre 150 et 200 millions d'euros par an. Cela a également eu un impact significatif pour les salariés, qui bénéficiaient d'un intéressement important, et ont perdu le bénéfice de leur 13ème et de leur 14ème mois - les rapports d'expertise permettent de savoir précisément les pertes qu'a entraînées cette délocalisation. Ce cas n'est pas isolé : Gillette, Ralph Lauren, Constellium, Hewlett Packard, Procter & Gamble, UPS, Pronuptia, Oracle... Des centaines d'entreprises ont délocalisé leur siège en Suisse en suivant la même démarche. Ce scandale silencieux dure depuis une dizaine d'années. Les membres du syndicat CFDT « Cosmétiques et détergents », qui ont mis à jour ce système, ont tenté en vain tirer la sonnette d'alarme.
A deux reprises, des parlementaires ont demandé la création d'une commission d'enquête ou la rédaction d'un rapport sur le sujet, mais ces demandes ont été repoussées pour des raisons qui paraissent étonnantes au regard des enjeux pour les finances publiques. Tout cela se déroule dans le plus grand silence : l'usine est toujours présente mais l'assiette fiscale disparaît.
Nous assistons aujourd'hui à une démocratisation de ce phénomène. De plus en plus de PME peuvent bénéficier de montages astucieux leur permettant de réduire significativement leur impôt sur les sociétés. La société France Offshore, qui m'a contacté il y a un an et demi, en a fait sa spécialité, et s'est appliquée à elle-même ce mécanisme : son siège est au Royaume-Uni mais son marché est en France. Cette société se faisait fort de faire payer 10 à ses clients pour leur faire gagner 100. De plus en plus de PME se sont adressées à cette entreprise. D'un point de vue comptable, tout est facturé au Royaume-Uni, et le siège paye les charges et les salaires pour les équipes situées en France, sans y laisser les bénéfices.
S'agissant des particuliers, une bonne nouvelle est tombée aujourd'hui, puisqu'il semblerait que les Suisses se soient lassés du statut dont bénéficient les riches étrangers qui négocient un forfait dans ce pays. Ce dispositif avait fait du bruit lorsque Johnny Halliday s'était « délocalisé » en Suisse, et la présidente de la confédération suisse Micheline Calmy-Rey avait fait observer à cette occasion qu'il était anormal que le tennisman Roger Federer paye ses impôts comme tout le monde alors que des grands sportifs étrangers négociaient des forfaits avec des cantons pour payer très peu d'impôts. Les Suisses connaissant eux-aussi des problèmes de recettes fiscales, il a été décidé au niveau fédéral de créer un impôt minimum pour les riches étrangers venant s'installer en Suisse. Sous le poids des déficits, la pression fiscale remonte donc même en Suisse.
Avec la crise financière, les déficits ont explosé, et le G20 s'est mobilisé sur ces questions à l'issue des scandales d'UBS et de LGT au Lichtenstein. Ainsi, des procédures « technocratiques » visant à forcer les Etats à échanger des informations et à respecter un certain nombre d'obligations ont été mises en oeuvre. Toutefois, la pression est retombée : les paradis fiscaux ont fait le dos rond pendant trois ou quatre années, et Valérie Pécresse a admis il y a quelques mois que le dispositif mis en place ne fonctionnait pas. Un test grandeur nature a été mené, et les demandes d'informations adressées à une douzaine de pays ne sont pas revenues ; au cours des huit premiers mois de l'année, 30 % seulement des 230 demandes de renseignement adressées par la France ont été traitées. La ministre signalait que « leurs réponses confirment ce que l'on sait déjà mais n'apportent pas d'informations supplémentaires, sur l'identité réelle des personnes qui détiennent des comptes par exemple. La Suisse ne collabore pas plus que les autres. Sur les 80 demandes de renseignements qui lui ont été adressées cette année, seules 20 % ont donné lieu à une réponse. » Les paradis fiscaux ne sont pas pour la première fois dans la ligne de mire d'Etats développés en difficulté. Comme d'habitude, ils jouent la montre, et comptent sur la lassitude des Etats avant de reprendre la main. Ainsi, alors que les créations de sociétés dans les Iles Vierges britanniques s'étaient effondrées en 2010 et 2011 en raison de l'inquiétude liée à l'obligation de communiquer des informations, les créations sont reparties au même rythme qu'avant la crise depuis qu'il est établi que les sociétés BVI ne coopéreront pas plus qu'auparavant. De la même manière, les 12 500 milliards de dollars de capitaux situés dans les paradis fiscaux avant la crise ne sont pas revenus vers les pays développés. Cela témoigne du fait qu'il n'existe pas de motivation à quitter ces paradis fiscaux, et que la question n'est pas réglée.
Les banques françaises sont de très grosses consommatrices de paradis fiscaux : BNP y compte 189 antennes, le Crédit Agricole en compte 115, la Banque Populaire en compte 90, la Société Générale en compte 57. Que font ces banques dans les paradis fiscaux ? Que font BNP Private Banking ou Société Général Private Banking à Jersey, qui ne compte que 80 000 habitants ? Il s'agit de structurer de l'évasion fiscale pour le compte de riches clients. Ces banques ont été recapitalisées grâce à l'argent public tandis qu'elles continuaient à aider leurs clients à structurer leurs patrimoines pour échapper à l'impôt. Il y a quelques mois, un article du Canard Enchaîné révélait comment BNP Paribas profitait des inquiétudes liées à la possibilité de lever partiellement le secret bancaire pour se positionner sur le marché extrêmement lucratif des trusts, qui offrent les mêmes garanties d'opacité que le secret bancaire suisse. Des documents internes révélaient que la banque souhaitait profiter des difficultés de ses concurrents pour proposer à ses riches clients de recourir à des trusts, notamment à Singapour et à Hong-Kong, qui sont des places importantes pour ces structures légales. Un banquier expliquait alors : «S'il est possible pour un juge d'instruction ou le fisc de saisir ou de geler les actifs d'une panaméenne ou d'une société offshore dans les Iles Vierges britanniques, il est en revanche impossible de saisir ou de requalifier un trust, qui est une personne juridique indépendante. » Le principe du trust consiste en effet à abandonner la priorité du bien pour le confier à un administrateur qui le gère pour un certain nombre de bénéficiaires. L'affaire Wildenstein, qui a fait récemment couler beaucoup d'encre, est un exemple d'utilisation de ces trusts : des tableaux dont la valeur totale s'élevait à plusieurs milliards d'euros avaient été dissimulés dans des trusts et n'avaient pas été rapportés au moment de la succession. Grâce à l'entêtement d'une avocate dont la cliente est désormais décédée, le parquet a ouvert une enquête, et l'on évoque aujourd'hui un redressement de 600 millions d'euros. Au moment de la succession, la famille n'avait rapportée au fisc français que 46 millions d'euros de tableaux. Cela témoigne de l'efficacité des trusts pour dissimuler un patrimoine important.
Il est extrêmement lucratif pour les banques d'être présentes dans les paradis fiscaux. A ce sujet, je vous invite à interroger la Commission bancaire, qui a rédigé un rapport montrant qu'en 2008, les banques françaises ont réalisé 3 milliards d'euros de bénéfices dans les paradis fiscaux. Même pendant la crise, les activités dans les paradis fiscaux génèrent des revenus réguliers et importants, mais il s'agit bien souvent d'évasion fiscale.
Merci beaucoup. Si le rapporteur le permet, je propose que Madame Lienemann pose la première question.
Votre description est à la fois juste et angoissante. S'agissant des supply chains - c'est-à-dire du système où l'entreprise est basée en Suisse et fonctionne au moyen de contrats -, il me semble qu'il doit exister un contrat de façonnage avec l'exploitant. Au moment de la conclusion de ce contrat, n'est-il pas possible de faire intervenir la Direction Générale des Impôts afin de déterminer si le contrat n'est pas abusif ? Il existe déjà une obligation de transmettre les contrats à la DGI, mais les éléments transmis sont généralement insuffisants. Je pense que nous pourrions également jouer sur la nature de ces contrats. Compte tenu de la difficulté à empêcher ce type de montages, il convient à mon avis de déterminer comment l'Etat peut intervenir et prélever des ressources. Comment sortir de la situation qui nous est décrite ? Nous ne pouvons nationaliser toute l'économie, ou recourir systématiquement aux coopératives... D'ailleurs, Leclerc, qui est une coopérative, a une plateforme de matières premières en Suisse similaire à celle de Danone ou de Carrefour.
L'inspecteur des finances avec lequel j'ai discuté - qui refusait d'être cité dans mon livre, et dont je ne peux donner le nom - souhaitait ardemment qu'une enquête soit menée sur les montages que j'évoquais. L'entreprise Oracle, qui avait délocalisé son siège social européen en Suisse, a fait l'objet d'un redressement fiscal très important, mais c'est l'ensemble du système qui devrait être encadré.
J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre ouvrage, qui se lit comme un roman malgré la technicité du sujet. J'ai relevé une phrase qui m'a surpris, et que je souhaiterais que vous commentiez : « Les paradis fiscaux contribuent à aggraver les dysfonctionnements de l'économie ». Pourriez-vous expliquer dans quelle mesure ? Vous évoquez notamment l'évasion, qui génère une pression fiscale sur la collectivité.
J'aimerais ensuite que vous évoquiez les difficultés que vous avez rencontrées à Jersey pour recueillir des informations. Si notre commission s'y rendait dans le cadre de son enquête, pensez-vous que nous serions traités de la même manière ?
Enfin, je souhaiterais que vous nous parliez du cas de la banane, qui vient du Costa Rica et est vendue à Londres en passant par Jersey. La situation est tout à fait édifiante.
En matière de transactions financières et commerciale, les paradis fiscaux sont souvent présentés comme des « fluidifiants ». La moitié du commerce mondial transite par les paradis fiscaux, qui représentent 3 % de l'économie mondiale. Ces paradis fiscaux fonctionnent comme un jeu de miroir : l'objectif est de présenter les choses différemment de ce qu'elles sont. C'est le cas lorsque l'on parle de la délocalisation fiscale de Colgate-Palmolive : la valeur est produite en France ou en Allemagne, où se trouvent les usines et les marchés, mais les bénéfices apparaissent en Suisse. C'est également le cas lorsque l'exploitation pétrolière ou l'exploitation forestière ne génèrent que des pertes dans les pays où a lieu l'exploitation, tandis que les bénéfices apparaissent en Suisse ou dans un autre paradis fiscal. La déconnexion entre le lieu où la richesse est produite et le lieu où les bénéfices apparaissent est de plus en plus importante. Or, la production de biens ou de services nécessite un environnement favorable : main d'oeuvre qualifiée, infrastructures, système de santé, etc. En asséchant l'assiette fiscale des pays, les paradis fiscaux créent des distorsions extrêmement dommageables pour des raisons illégitimes.
Dans le cadre de mon livre, j'ai interrogé plusieurs acteurs sur l'utilité des paradis fiscaux, et aucun n'a pu me trouver une quelconque utilité aux paradis fiscaux. Pour dire la chose de manière très simple, les paradis fiscaux ne servent qu'à voler nos impôts en les attirant grâce à divers mécanismes, sans contribuer à la production de richesses. Il s'agit, de mon point de vue, d'un dysfonctionnement majeur de l'économie mondiale. Or, les paradis fiscaux sont devenus un rouage essentiel du fonctionnement de l'économie. Le rôle des paradis fiscaux en matière de blanchiment ou de corruption est anecdotique, malgré la gravité de ces sujets : l'évasion fiscale des particuliers ou des entreprises représente l'essentiel de leurs activités.
Je souhaitais profiter de mon séjour à Jersey, qui s'est déroulé au moment où le G20 était mobilisé contre les paradis fiscaux, pour savoir comment les fonds d'investissements, les banques ou les trustees réagissaient à « l'agression » qu'ils subissaient. J'ai passé une journée entière au téléphone, et je me suis toujours vu répondre - de manière très aimable - que les personnes que je souhaitais interroger n'étaient pas disponibles. Au bout d'une quinzaine de tentatives infructueuses, j'ai décidé de me présenter comme un journaliste souhaitant présenter les produits financiers proposés à Jersey, et l'intérêt de ces produits. J'ai alors obtenu trois réponses positives. Certes, ma démarche était discutable d'un point de vue déontologique, mais il est parfois nécessaire de recourir à ce type de procédé. J'ai rencontré le gérant d'un des principaux fonds d'investissement locaux, et la conversation s'est très bien passée aussi longtemps que nous avons discuté de ses produits financiers et de sa clientèle. Lorsque j'ai évoqué l'offensive du G20, j'ai vu mon interlocuteur se raidir, avant qu'il mette fin à l'interview. C'est la première fois que je me suis retrouvé dans une telle situation, alors qu'il m'est déjà arrivé de mener des interviews « musclées » avec des élus ou des chefs d'entreprises. On m'a bien expliqué qu'il n'était pas possible de discuter des sujets que je souhaitais évoquer. Les anglo-saxons ont d'ailleurs une relation beaucoup plus hypocrite avec l'évasion fiscale que les Suisses. Si vous vous rendez à Jersey, vous rencontrerez probablement Jersey Finance, qui est l'organisation représentative de l'industrie financière locale, qui vous dira que tout se passe pour le mieux, et mettra en avant le fait que l'île est sortie de la liste noire de l'OCDE pointant du doigt les territoires non-coopératifs. Pourtant, comme l'a montré le travail réalisé sous la houlette de Valérie Pécresse, les demandes d'informations ne reviennent pas, malgré les engagements pris et les menaces du G20. En fait, dans un certain nombre de cas, l'information n'existe pas : il n'y a pas, à Jersey, de registre public des trusts et de leurs bénéficiaires.
Jersey exporte des bananes, bien qu'il s'agisse d'une île anglo-normande qui ne compte aucun bananier. L'enquête menée à ce sujet n'est pas de mon fait, mais a été réalisée par le Guardian avec l'aide d'un certain nombre de spécialistes de la question. Je vous suggère notamment d'auditionner John Christensen, originaire de Jersey, qui y a travaillé comme conseiller économique pour le gouvernement, et a pu étudier en profondeur le fonctionnement de l'île. Après sa démission, il a fondé l'association Tax Justice Network, qui fédère des associations du monde entier et constitue une très riche source d'informations dans un domaine où il est difficile d'en obtenir. Il s'agit d'un excellent spécialiste du sujet, qui a enquêté pour savoir pourquoi les grandes sociétés de négoce de bananes (Chiquita, Del Monte et Dole), qui ont toutes leurs sièges aux Etats-Unis, avaient un taux d'imposition largement inférieur au taux d'imposition américain. La raison est très simple : ces entreprises disposent d'un grand nombre de filiales dans les paradis fiscaux. Toutefois, l'enquête illustrait également la manière dont se décomposait le prix final de la banane. Le coût de la main d'oeuvre au Costa Rica est d'environ 1,5 centime par banane, celle-ci étant ensuite revendue 50 centimes au commerçant anglais - qui lui-même la revend au prix de 1 euro. Le reste passe par les paradis fiscaux. Les entreprises sont structurées de manière à ce que le transport soit assuré par une filiale aux Bermudes, l'assurance par une filiale aux Caïmans, l'affrètement dans un troisième paradis fiscal, etc. A chaque étape, une partie de la plus-value réalisée entre l'exportation initiale et la vente au commerçant est partagée par des filiales domiciliées dans les paradis fiscaux. Cet exemple est très parlant, car la banane est le fruit le plus consommé au monde. Or, ni le Royaume-Uni, destination finale de la banane, ni le Costa Rica, ne gagnent grand-chose à l'exploitation de ce fruit.
J'ai deux observations à formuler. D'abord, s'agissant de l'absence de moyens juridiques à la disposition des syndicats et des salariés pour intervenir, je pense que nous devrons étudier la question des droits et de l'information des comités d'entreprise.
Par ailleurs, vous avez cité France Telecom et ses filiales dans les paradis fiscaux. Disposez-vous de données relatives aux entreprises dans lesquelles l'Etat à une participation et aux entreprises bénéficiant par exemple du soutien du Fond stratégique d'investissement qui se livrent à la fraude ou à l'évasion fiscale ? Le fait que des entreprises à participation étatique recourent à l'évasion fiscale relève de la schizophrénie.
Je vais répondre à votre question par la voix de Baudouin Prot, que je cite dans mon livre. Il avait été auditionné par la commission des finances de l'Assemblée nationale le 3 février 2009 à propos du plan de sauvetage dont ont bénéficié les banques françaises. A l'époque, Eric Woerth, ministre du budget, avait expliqué que seules les banques n'ayant pas de liens avec les paradis fiscaux bénéficieraient de l'aide de l'Etat. Or, d'après Baudouin Prot : « Aucune contrepartie n'a été exigée ». Il y a donc effectivement un comportement schizophrène de l'Etat, qui disposait pourtant d'un levier fort pour faire évoluer la situation. Le mensuel Alternatives économiques a dressé une liste des filiales des entreprises du CAC40 dans les paradis fiscaux, que vous pourrez trouver facilement. Elle est cependant incomplète : s'agissant de la BNP, la liste ne mentionne pas les filiales situées à Dubaï et à Monaco, qui sont de mon point de vue de véritables paradis fiscaux. En outre, certaines informations ne figurent pas dans les rapports annuels des entreprises.
Quelles seraient vos préconisations ? Nous avons entendu que le Conseil d'Etat avait défini les notions de fraude et d'évasion. Le législateur pourrait-il également formuler des propositions de définition de la fraude et de l'évasion fiscale, en tenant compte de situations comme celle de Colgate-Palmolive ? Face à la situation qui nous a été décrite, il me semble qu'il nous appartient de proposer des textes.
La plupart des montages que j'ai décrits ne relèvent ni de la fraude, ni de l'évasion fiscale, mais de l'optimisation. Bien souvent, les entreprises ne font qu'utiliser les outils légaux à leur disposition. Bien sûr, le législateur peut considérer que ces montages sont abusifs, et interdire que les entreprises y recourent. Toutefois, si les grandes entreprises sont très bien positionnées pour bénéficier de ces montages, c'est parce qu'elles ont les moyens de se payer les meilleurs conseillers. J'ai réalisé, quelques temps avant de quitter La Tribune, une interview de Christine Lagarde sur l'évasion fiscale et sur l'écart entre le taux d'imposition effectif des petites et des grandes entreprises. Je lui ai demandé si elle trouvait normal que les très grandes entreprises soient deux à trois fois moins imposées que les petites entreprises, ce à quoi elle a répondu : « Elles sont très bien conseillées ». Christine Lagarde était présidente monde de Baker & McKenzie, qui est l'un des principaux cabinets d'optimisation fiscale dans le monde. Parfois, la ligne entre la fraude et l'optimisation est l'épaisseur du mur de prison.
Vous avez indiqué que la situation était comparable en France, en Angleterre et aux Etats-Unis. Or, ce qui distingue souvent une grande entreprise d'une entreprise petite ou moyenne, c'est son caractère international, et lorsqu'il y a internationalisation, les taux d'imposition sont généralement plus faibles.
Je veux remercier Monsieur Harel pour la clarté de son propos, qui montre bien le caractère systémique du sujet que nous traitons. Nous sommes face à un système composé d'acteurs en interaction qui compte des gagnants et des perdants. Si nous n'assistons pas à une prise de conscience collective des pertes qu'il occasionne pour les Etats et les citoyens, ce jeu pourra se poursuivre indéfiniment.
J'aimerais poser trois questions simples. D'abord, que pouvez-vous nous dire des difficultés que rencontre la presse pour travailler sur ces dossiers et de la timidité de la presse française (en tant qu'ancienne pigiste du mensuel Alternatives économiques, je sais que ce sujet, délaissé par les grands mensuels économiques, constituait un boulevard pour une certaine presse) ? Ensuite, la réforme des juges d'instruction et la restructuration des pôles financiers est-elle, selon vous, de nature à améliorer la lutte contre l'évasion fiscale ? Enfin, quel lien peut-on faire entre le pantouflage et les performances d'un certain nombre d'entreprises qui, comme le disait Madame Lagarde, sont très bien conseillées ? Notre commission d'enquête travaille en fait sur l'industrie du lobbying et du conseil d'experts qui se jouent des différences de normes, de taux, etc. A ce jeu, les grands gagnent beaucoup, les faibles perdent beaucoup, et les moyens sont très mal conseillés.
Je suis parfaitement en accord avec vous s'agissant de la timidité de la presse française. La presse anglo-saxonne a suivi ces questions de manière très assidue et a produit énormément d'informations. Ainsi, le Guardian a constitué une cellule d'investigation forte de dix journalistes pendant un an pour mettre à jour divers mécanismes, a sorti de nombreux scoops, et a fait avancer la connaissance sur un sujet caché, voire honteux. Aucune entreprise ne veut dire qu'elle pratique l'optimisation au point de ne plus payer d'impôts. Voyez l'émotion qu'a entraînée la révélation que Total n'avait pas payé d'impôts sur les bénéfices pour l'exercice 2010. Jamais vous n'obtiendrez l'information nécessaire pour expliquer comment Total a pu arriver à ce résultat surprenant. Certes, Total extrait principalement du pétrole à l'étranger, mais la France constitue un marché important pour cette entreprise, et il est difficile d'imaginer qu'elle n'y réalise aucun bénéfice.
J'ai exposé rapidement les difficultés auxquelles j'ai été confronté dans mon enquête : je disposais de nombreuses informations sur les situations américaine ou britannique, ainsi que sur les paradis fiscaux, mises à jour par des journalistes ou des experts, mais j'ai buté sur la pauvreté de l'information existante concernant la France, et sur la difficulté à obtenir des informations auprès de Bercy. J'ai trouvé ce que je cherchais presque par hasard, quand quelqu'un m'a aiguillé en direction du rapport du CPO, qui était déjà publié depuis trois mois. Je crois que la manchette de La Tribune sur ce sujet a suscité beaucoup d'intérêt, d'autant plus que les informations provenaient de l'administration fiscale.
S'agissant de la restructuration des pôles financiers, je n'ai pas d'avis particulier. Je crois que le sujet du jour est l'optimisation fiscale, c'est-à-dire les mécanismes astucieux mais légaux permettant de réduire significativement l'assiette fiscale, et non la fraude. On peut toutefois s'interroger sur les moyens. Le contrôle fiscal de grandes entreprises nécessite de disposer d'équipes très importantes, et plusieurs années sont nécessaires pour y voir clair. En outre, de nombreuses questions techniques très complexes se posent. En matière de prix de transfert, quel est le juste prix d'une turbine fabriquée par Alstom en Inde et destinée à un barrage en Ouganda ?
Le problème du pantouflage se retrouve dans le monde entier. Les grandes entreprises, les cabinets d'avocats, les cabinets d'experts comptables sont friands d'anciens inspecteurs des impôts qui sont en mesure de leur expliquer comment raisonne l'administration et quels sont les risques. Je crois que le principal problème est la complexité de notre fiscalité. J'ai lu récemment que 10 % du code fiscal était révisé tous les ans : ajout de 12 à 15 niches fiscales par an, création de nouveaux impôts, etc. Cette instabilité et cette complexité bénéficient à ceux qui savent les utiliser, et je crois que le législateur peut se fixer pour objectif de simplifier les choses. Si l'assiette est large et qu'il n'existe pas de dérogations, les experts comptables spécialisés dans l'optimisation disparaîtront naturellement.
Le problème est très bien posé : nous parlons de l'optimisation fiscale, c'est-à-dire de pratiques légales, et de l'ingénierie fiscale à laquelle recourent les sociétés. Aujourd'hui, le paramètre fiscal est un paramètre de management. Je suis certain que nous nous accorderons sur le fait que certaines des situations qui nous seront décrites dans le cadre de cette Commission sont moralement, économiquement et socialement inacceptables. Les paradis fiscaux constituent le paroxysme des effets néfastes de l'absence d'harmonisation fiscale au niveau mondial.
Je ne sais plus quel auteur a dit que le droit était la meilleure école de l'imagination, et je veux rassurer Monsieur Chiron sur ce point : nous avons tous les pouvoirs pour rédiger des textes, établir des définitions, fixer des interdits et des obligations déclaratives. Toutefois, nous nous heurterons à la mondialisation et à l'éclatement du juridisme. Des bois, une mine ne se délocalisent pas ; une usine d'embouteillage de dentifrice se délocalise très rapidement, en particulier quand les intérêts fiscaux sont tels que la production peut ne coûter quasiment rien. Il s'agit là de realpolitik. Ma question est donc la suivante - je la poserai souvent au cours de cette commission : croyez-vous que nous disposions encore d'un réel pouvoir fiscal ? Sommes-nous souverains en la matière ? Est-ce que le fait de voter des lois ne revient pas à se tirer une balle dans le pied si nos voisins et partenaires ne nous suivent pas ?
Nous disposons d'une souveraineté fiscale limitée. Il est évident que si le taux d'imposition sur les bénéfices est fixé à 100 % du jour au lendemain, vous découragerez l'investissement. Cependant, la France, les Etats-Unis ou le Royaume-Uni sont dans une situation très différente de celle-ci. Aujourd'hui, aux Etats-Unis, le taux d'imposition facial sur les bénéfices est l'un des plus élevés de l'OCDE, alors que le taux d'imposition effectif est l'un des plus faibles. Nous sommes donc en présence d'un jeu de faux-semblants, lié non seulement aux paradis fiscaux, mais aussi à l'existence de niches fiscales et à la manipulation des prix de transfert. Les grands perdants, dans le cas de la France sont les PME. Depuis que je suis journaliste économique, j'ai vu un nombre incalculables de rapports, d'interviews, de déclarations sur l'insuffisante force du tissu de PME... Peut-être la solution consiste-t-elle à fixer le taux d'imposition sur les bénéfices à 20 %, et de faire en sorte que toutes les entreprises acquittent ce taux, quelle que soit leur taille, en sortant de la logique dérogatoire actuelle.
Peu m'importe le taux : un taux de 20 % ne peut être efficace qu'à condition qu'il soit identique de l'autre côté de la frontière. Il n'est pas possible d'organiser une coupe du monde de football si toutes les équipes ne respectent pas les mêmes règles.
Un certain nombre de projets existent au niveau de l'Union européenne, comme le projet ACCIS. Or, les Pays-Bas, le Luxembourg et l'Irlande s'opposent systématiquement à toute forme d'harmonisation en matière d'impôts sur les bénéfices. Ces pays sont en quelque sorte les passagers clandestins de l'Union européenne ; ils jouent contre les règles que se sont fixés tous les grands pays. En allant plus loin, on peut imaginer supprimer l'impôt sur les bénéfices. Qui, alors, payera pour les écoles et les routes ?
Il faut avancer dans l'harmonisation, notamment au sein de l'Union européenne, qui est un très grand marché. La question qui se pose à nous n'est pas celle de la concurrence fiscale de l'Inde ou de la Chine, mais de la concurrence qui peut s'exercer au sein de l'Union européenne. Aux Etats-Unis, Barack Obama a fait des propositions visant à abaisser à 25 % le taux d'imposition sur les bénéfices réalisés par les entreprises américaines et à supprimer progressivement toutes les niches fiscales existantes, et de plus en plus de pays s'engagent dans cette voie. Tous les fiscalistes vous diront qu'un bon impôt est un impôt sans régime dérogatoire ayant une assiette large. Or, en France, des milliers de rapports ont été rédigés sur la multiplication des niches.
Vous m'avez interrogé sur les solutions, et il me semble qu'une solution assez simple est la transparence. Le groupe Total réalise 12 milliards d'euros de bénéfices, mais nous ne disposons que d'un chiffre global, et nous ne savons pas où les grands groupes réalisent leurs bénéfices. En demandant aux grandes entreprises des informations relatives à la localisation de leurs effectifs, aux zones où sont réalisés leurs chiffres d'affaires et leurs bénéfices, vous aurez une vision beaucoup plus claire des éventuelles manipulations des prix de transferts ou des délocalisations des bénéfices vers les paradis fiscaux. Bien sûr, toutes les entreprises diront qu'il est impossible de livrer de telles informations, notamment pour des raisons de concurrence. Pourtant, une disposition la loi Dodd-Frank contraint toutes les entreprises pétrolières et minières cotées à Wall Street (y compris les compagnies européennes) à déclarer tous leurs revenus, pays par pays. Ainsi, nous saurons combien Chevron Texaco verse à l'Angola pour l'exploitation du gaz au Cabinda, combien Total verse à l'Etat birman pour l'exploitation du gaz, etc. L'objectif est de faire la lumière sur les revenus pétroliers et miniers afin que les sociétés civiles et les parlements locaux des pays exportateurs puissent demander des comptes à leurs gouvernements sur l'utilisation qui en est faite. Aujourd'hui, ces informations sont parfaitement confidentielles, l'argument avancé étant que ces informations fourniraient un avantage aux compétiteurs. L'Union européenne introduira une obligation similaire pour les entreprises minières et pétrolières cotées en Europe. Cela changera la face de ces industries opaques qui permettent à certains régimes très discutables de survivre pendant plusieurs décennies. En outre, lorsqu'il apparaitra qu'une grande compagnie dégage des milliards d'euros de bénéfices dans un paradis fiscal où elle ne compte que quatre employés, cela entraînera des questions sur la structure de son organisation fiscale. Cette transparence permettra de mener de réels contrôles.
La commission procède enfin à l'audition de M. Christian Babusiaux, président de la première chambre de la Cour des comptes.
Conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, votre audition doit se tenir sous serment ; tout faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du Code pénal. Je vous demanderai donc de prêter serment en levant la main droite et en disant « Je le jure. »
Merci. Je vous propose de nous faire un exposé préliminaire, suite à quoi des questions vous seront adressées par le rapporteur et les autres membres de la Commission.
Merci de nous accueillir aujourd'hui pour parler de ce sujet très vaste. J'essayerai de borner mon exposé à une quinzaine de minutes afin de ne pas trop abuser de votre temps. Si vous le permettez, je commencerai par poser la question de la définition de votre sujet. Après avoir répondu à cette question, je me concentrerai sur la fraude fiscale, puisque la plupart de vos questions portaient sur ce sujet. Enfin, j'aborderai des éléments communs à la fraude et à l'optimisation.
L'évasion fiscale a deux composantes distinctes : la fraude, qui consiste à échapper délibérément à l'obligation fiscale, et va parfois jusqu'à l'escroquerie ou au blanchiment ; l'optimisation, qui regroupe les pratiques par lesquelles particuliers ou entreprises mettent à profit les dispositions fiscales ou l'interprétation qui peut en être faite. L'optimisation fiscale peut elle-même revêtir plusieurs aspects : expatriation physique d'une personne pour échapper à l'impôt, ou décalage volontaire entre le lieu où se réalise l'activité et le lieu de l'imposition.
Quels sont les types d'enjeux, et comment situer les problèmes les uns par rapport aux autres ? L'absence de chiffres sera l'une des difficultés auxquelles se heurtera votre commission. Ni la DGFiP, ni la douane ne sont en état de produire des renseignements chiffrés sur les sujets que vous évoquez. Toutefois, je crois que l'on peut dire vraisemblablement que l'évasion fiscale internationale est plus faible que l'évasion fiscale à l'intérieur même de notre pays. En effet, dans notre pays, certaines pratiques comme le travail au noir se traduisent par une évasion fiscale. Par ailleurs, il est vraisemblable que la fraude internationale, si importante qu'elle soit, représente un montant inférieur au montant de l'optimisation fiscale. Quantitativement, le sujet de l'optimisation est probablement le plus important parmi ceux que vous traitez.
De nombreuses sociétés françaises proposent en toute légalité leurs services pour déplacer les activités d'autres entreprises dans des centres offshore. Plus de 20 % des filiales des 50 plus grandes entreprises européennes sont localisées dans les paradis fiscaux, et les grandes entreprises, parce qu'elles utilisent à plein les possibilités de la fiscalité, payent un impôt sur les bénéfices très inférieur au taux théorique de 33 %. Notre système fiscal a à la fois des taux théoriques très élevés et de très nombreuses niches fiscales et possibilités d'exonérations. Le cumul de ces taux très élevés et de plus de 500 dispositifs fiscaux fait de l'optimisation une tentation naturelle. En outre, des activités économiques entières fonctionnent grâce à des systèmes de ce type : navires battant pavillon étranger, aéronefs achetés en leasing à l'étranger, plus-values immobilières cantonnées dans des pays n'imposant pas les plus-values, e-commerce réalisé à partir d'autres territoires, etc.
L'optimisation fiscale se concentre vraisemblablement sur l'impôt sur les sociétés, tandis que la fraude concerne davantage la TVA. Il n'existe pas de chiffres, mais nous disposons de certaines données. Nous avons d'ailleurs remis il y a quelques jours à la commission des finances de l'Assemblée nationale un rapport sur la gestion et les contrôles de la TVA, que j'irai présenter demain devant cette Commission ; votre Commission pourra évidemment utiliser ce rapport après sa publication. La fraude à la TVA représente environ 10 milliards d'euros au niveau national et international, et la TVA est deux fois plus fraudée que la moyenne des autres impôts. S'agissant de la fraude « carrousel », nous avons étudié dans notre rapport public annuel comment avait pu se prolonger la fraude aux quotas de CO2 ; la TVA, dans un système très internationalisé, est génératrice de fraude. Quant à l'impôt sur les sociétés, il est particulièrement propice à l'optimisation compte tenu des différences entre les systèmes fiscaux, même au sein de l'Europe.
Le développement de l'évasion fiscale tient à l'ouverture des échanges et des mouvements de capitaux et de marchandises, à la diversité des taux existants, à la dématérialisation d'une part croissante de l'économie, ainsi qu'à la dématérialisation des transactions, qui facilite la délocalisation des activités et le décalage entre le lieu de l'activité réelle et le lieu d'imposition. Plusieurs chapitres du dernier rapport annuel de la Cour des comptes traitaient du contrôle fiscal, et nous continuons à travailler sur ces sujets. Ainsi, nous avons programmé des contrôles sur la gestion et le contrôle de l'impôt sur les sociétés, ainsi que sur le bilan de l'action de l'Etat contre la fraude fiscale internationale. Toutefois, ces travaux sont plutôt positionnés sur la seconde partie de l'année.
L'organisation de la lutte contre la fraude n'est pas satisfaisante. Cette question relève d'abord du législateur, et le Parlement a d'ailleurs beaucoup oeuvré dans ce domaine. Toutefois, en définitive, l'organisation dépend des directions chargées du contrôle et des pratiques qu'elles mettent en oeuvre. Nous avons constaté, à l'occasion du bilan de la fusion la DGFiP - remis à la Commission des finances du Sénat en octobre 2011 et prolongé par un rapport sur les relations entre l'administration fiscale et ses usagers publié en janvier -, que le contrôle fiscal était resté à l'écart des réorganisations effectuées à l'occasion de la fusion. La DGFiP partage d'ailleurs ce constat. Ainsi, face à une fraude évolutive, inventive et mobile, l'administration est restée statique. En outre, l'administration est cloisonnée. Trois entités de Bercy concourent à des actions en matière de fraude fiscale :
- la DGFiP ;
- Tracfin, qui agit en matière de blanchiment ;
- la direction générale des douanes et droits indirects, au sein de laquelle la direction Nationale du Renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) est active en matière de fraude carrousel.
Nous avons montré que le cloisonnement entre ces entités était en bonne partie à l'origine de la prolongation excessive de la fraude aux quotas de CO2, qui a coûté 1,6 milliard d'euros. A l'intérieur même de la DGFiP, il existe trois directions nationales d'enquête, dont nous avons montré que la coopération était insuffisante. Entre les différentes structures, Bercy procède traditionnellement par la conclusion de protocoles, comme s'il s'agissait d'Etats indépendants. Le dernier protocole entre la Douane et la DGFiP date de mars 2011, et permet aux deux entités d'accéder mutuellement à leurs bases de données. Toutefois, une fraude relève parfois à la fois du blanchiment et de la fraude fiscale. A l'époque où ces deux domaines étaient considérés comme distincts, l'organisation en tuyaux d'orgues entre Tracfin et la DGFiP se justifiait, même au regard des directives européennes, mais la réalité a désormais évolué. Notre diagnostic est donc qu'il existe un problème d'organisation au sein du ministère des finances. Il est nécessaire de disposer d'un système interconnecté, et l'existence d'une base de données commune serait préférable. Nous ne méconnaissons pas le montant des investissements nécessaires, mais nous pensons que l'enjeu le vaut.
Outre l'organisation, il existe des problèmes de recrutement. Comment détecter la fraude fiscale si tous les agents chargés de la repérer et de la poursuivre ont la même formation ? Il faudrait faire appel à des techniciens d'origines et de formations différentes. Nous avons également mis à jour des problèmes de gestion des ressources humaines, avec une mobilité excessive dans les directions basées en région parisienne, et des problèmes de formation au sein des directions nationales et régionales.
Il existe aussi vraisemblablement un problème de redimensionnement entre les unités régionales et les unités nationales : la DGFiP compte 12 600 agents travaillant sur le contrôle fiscal, mais seuls 1 100 d'entre eux travaillent au sein des trois directions nationales. Compte tenu de l'ampleur des problèmes actuels, une réflexion doit être menée sur cette répartition. Nous pensons donc qu'il convient de mettre au point un plan d'action à cinq ans. La ministre du budget a d'ailleurs souscrit à cette idée dans la réponse qu'elle nous a adressée. En raison de l'urgence, la TVA devrait quant à elle faire l'objet d'un plan d'action à trois ans.
Aujourd'hui, il n'existe ni typologie, ni cartographie des risques fiscaux, notamment en matière d'évasion internationale. Il convient donc d'en bâtir une, ce qui nécessite du temps et un plan approprié. Nous avons étudié la pratique des nouveaux pouvoirs conférés par le législateur aux administrations au cours des dernières années. Il serait prématuré de réaliser un bilan définitif, mais il apparaît qu'un certain nombre de nouveaux pouvoirs n'ont été utilisés que de manière limitée. Ainsi, la flagrance fiscale n'a été utilisée que 27 fois depuis sa création il y a deux ans. Evidemment, les services avaient besoin d'un certain temps pour s'approprier ce dispositif, mais son utilisation est restée limitée.
La coopération internationale est un enjeu majeur en matière de fraude internationale. Certes, la France a conclu de nombreuses conventions, mais il existe une divergence entre ce qui est fait en matière de blanchiment et ce qui est fait en matière fiscale. Ainsi, l'Iran, le Pakistan, l'Indonésie, l'Ethiopie et la Thaïlande ont cessé d'être considérés comme des Etats non-coopératifs du point de vue fiscal parce qu'ils ont conclu une convention fiscale d'accès aux renseignements bancaires avec la France. Or, d'après le Groupe d'action financière (GAFI), qui est un organisme intergouvernemental compétent en matière de blanchiment, ces mêmes états présentent des défaillances et n'appartiennent pas à la catégorie des pays réputés transparents. En février 2012, le GAFI a d'ailleurs accepté une avancée majeure en introduisant la fraude fiscale dans les infractions sous-jacentes du blanchiment, et il convient de tirer toutes les conséquences de la fin de la séparation entre blanchiment et fraude fiscale en unifiant les listes et les critères utilisés pour établir ces listes.
Lorsque l'on observe la coopération internationale concrète, c'est-à-dire les actions menées par la France à la demande de ses partenaires et réciproquement, on voit que le bilan en matière de redressement sur la TVA nationale est faible par rapport au volume vraisemblable de la fraude, puisqu'il ne s'élève qu'à 474 millions d'euros - ce qui ne signifie pas que cette somme ait été recouvrée. En outre, ce bilan est plutôt en baisse par rapport à 2008, puisqu'il s'élevait alors à 615 millions d'euros. Les résultats de l'assistance communautaire sont également préoccupants : en 2010, les créances françaises recouvrées à l'étranger au titre de la TVA s'élevaient à 6 millions d'euros, tandis que les créances étrangères recouvrées en France s'élevaient à 2 millions d'euros. La coopération internationale et l'assistance communautaire ont donc un produit réel limité, ce qui pose des questions en matière de détection et de recouvrement.
Je voudrais évoquer quelques difficultés qui relèvent à la fois de la fraude et de l'optimisation. L'un des éléments majeurs est la rapidité de changement de la législation. Il s'agit d'un thème connu, mais il apparaît clairement que les dispositifs de contrôles sont mis en place et s'organisent beaucoup moins vite que ne sont modifiés les textes fiscaux. Par ailleurs, il faudrait prévoir un délai entre le vote d'une disposition législative et la date de son entrée en vigueur, afin que les contrôles puissent s'organiser. Certes, la fraude ou l'optimisation peuvent également s'organiser, mais il apparait clairement que la fraude est de toute manière plus inventive, et qu'elle se développe beaucoup plus vite que ne s'adapte le contrôle fiscal.
La complexité des dispositifs constitue également une difficulté. L'existence d'un grand nombre de dispositifs fiscaux et de niches fiscales entraîne un nombre également important de possibilités d'optimisation, voire de fraude. Par ailleurs, il nous paraît essentiel de renforcer la coopération entre la direction de la législation fiscale et les services de contrôle. La collaboration actuelle est insuffisante, alors qu'une étude d'impact devrait être réalisée lorsqu'une disposition fiscale est envisagée afin d'identifier les risques potentiels de fraude. Dans l'affaire des quotas de CO2, aucune étude d'impact n'a été menée, alors que la vraisemblance d'une fraude aurait dû sembler évidente. De la même manière, faute d'une étude a priori, le coût du dispositif sur les plus-values de cession de filiales a été bien supérieur à ce qui avait été annoncé au départ.
En conclusion, je voudrais souligner l'existence d'un paradoxe. L'optimisation est le problème le plus massif, mais la lutte contre l'optimisation nécessite une évolution et une convergence des législations fiscales qui est infiniment difficile. Ainsi, c'est pour le problème le plus massif que la possibilité d'action est la plus réduite. S'agissant de la fraude, qui offre de plus grandes possibilités d'actions - le législateur pourrait ainsi étendre le dispositif de la flagrance fiscale, comme le préconise la DGFiP -, le problème essentiel relève de la mise en pratique et de l'organisation, afin que le contrôle fiscal prenne une dimension nouvelle adaptée à la dimension internationale du sujet que votre Commission a pour objectif d'étudier.
Merci, Monsieur le président, pour cet exposé très précis. Je propose à Monsieur le rapporteur d'ouvrir le bal des questions.
Ma première question porte sur un point sur lequel il me semble que nous buterons régulièrement : l'estimation du volume de l'évasion. Je conçois que cela ne soit enregistré nulle part, mais nous voyons pourtant circuler des chiffres dans les manuels ou dans les magazines, qui parlent de 40 ou 50 milliards d'euros. Pensez-vous que nous puissions accorder du crédit à ces chiffres ? Sommes-nous loin du compte ? Quel est votre sentiment sur ce point ?
Ma deuxième question a trait à la RGPP. Avez-vous le sentiment que la RGPP ait eu pour effet de diminuer la capacité d'intervention en matière de contrôle fiscal, comme certains commentateurs l'ont dit ? Le nombre de contrôles a-t-il bien diminué de 2 ou 3 %, comme j'ai pu le lire ?
Enfin, vous avez évoqué à juste titre la formidable évolution de la sphère financière, sa sophistication extrême, et son caractère international. Cela pose la question de la formation des agents chargés du contrôle. Cette formation est-elle satisfaisante, ou convient-il de l'améliorer ? N'existe-t-il pas une course de vitesse entre le phénomène que l'on essaye de maîtriser et la nécessité de former les agents ? Par ailleurs, avez-vous une idée du coût et du rendement du contrôle fiscal ?
L'ordre de grandeur de 40 à 50 milliards d'euros pour la fraude fiscale et sociale est souvent avancé. La question de la TVA est plus simple à aborder, car il est possible de réaliser des comparaisons par rapport à la comptabilité nationale. En partant de la comptabilité nationale des biens et des services produits et en y appliquant le taux de TVA de chaque activité, il est en effet possible de reconstituer le montant normal des recettes. La Commission européenne a réalisé une étude portant sur le sujet en 2009, qui porte le montant de la fraude à la TVA à environ 10 milliards d'euros pour la France. A la lumière des divers éléments que nous avons recueillis, cet ordre de grandeur nous semble crédible. D'après la même étude, notre taux de fraude (qui se situe à environ 7 %) est inférieur à celui de l'Allemagne (10 %) ou de la Grande-Bretagne, tandis qu'il est supérieur à celui des pays nordiques - les Pays-Bas, la Suède ou le Danemark affichant des taux compris entre 2,8 et 4,3 %. Or, un écart de trois points sur une TVA brute de 178 milliards représente un enjeu considérable. Ainsi, quelle que soit l'évaluation exacte de la fraude, l'enjeu est de toute manière considérable.
La RGPP n'a pas diminué les capacités de contrôle fiscal, car le contrôle fiscal n'a pas été affecté par la règle des « un sur deux », bien que la DGFiP ait engagé des efforts importants en matière d'effectifs dès 2004-2005. En revanche, le nombre de contrôles stagne : l'objectif de la DGFiP est bloqué à 52 000 contrôles par an. Ainsi, on peut s'interroger sur l'opportunité d'un redéploiement d'effectif. En effet, grâce aux télé-procédures par exemple, la DGFiP réalise des gains de productivité potentiels extrêmement importants en matière de relation avec l'usager ou de gestion informatique. Un équilibrage différent pourrait donc être envisagé au profit de l'activité de contrôle fiscal.
En matière de formation, la DGFiP, qui dispose de ses propres écoles, réalise d'importants efforts. Toutefois, deux éléments nous semblent faire défaut : le recrutement - éventuellement par voie contractuelle - d'un nombre limité de spécialistes des nouveaux métiers qui se sont créés ; l'existence en son sein d'un état d'esprit adapté à l'accélération des échanges - la DGFiP sait se mettre en marche, mais il lui faut parfois du temps, comme l'a montré l'affaire des quotas de CO2.
S'agissant du coût du contrôle fiscal, nous ne disposons d'aucun chiffre, car la DGFiP ne dispose pas d'une comptabilité analytique - ce que la Cour des comptes a regretté à plusieurs reprises. En outre, la DGFiP utilise le concept de « taux d'intervention » (rapport entre le produit du contrôle fiscal et la base fiscale), qui est extrêmement sensible à la conjoncture, et ne nous semble donc pas pertinent. Nous avons toutefois observé que les dépenses de fonctionnement afférentes au contrôle de la TVA étaient stabilisées autour de 300 millions d'euros, pour un montant de droits redressés à l'échelle nationale et internationale se situant entre 2,7 et 3 milliards d'euros.
Au niveau national et international, il est d'environ 1,5 milliard d'euros.
Monsieur le président, votre exposé m'a passionné, et pourrait rendre clairvoyants les plus novices d'entre nous. J'ai trouvé votre analyse novatrice et extrêmement intéressante dans la manière de présenter les zones d'influence de la fraude et de l'optimisation. Vous avez d'ailleurs brisé certaines idées reçues qui n'ont jamais été démontrées, et il est regrettable que les spécialistes autoproclamées de la presse n'aient pas bénéficié de toutes les informations que vous nous avez communiquées sur la manière de quantifier les fraudes. Vous avez également justifié l'existence de cette Commission en expliquant que, si nous n'étions qu'un législateur parmi d'autres en matière d'optimisation et qu'il serait difficile de parvenir à quoi que ce soit sans les autres Etats européens, nous avions une tâche à mener en matière de fraude.
Ma question est relativement technique. L'optimisation revient parfois à jouer entre plusieurs législations de natures différentes. Pour autant, n'existe-t-il pas en droit français (tant dans le droit positif que dans les techniques de contrôle) des dispositifs permettant aux entreprises françaises d'optimiser leur situation fiscale ? Si tel est le cas, quels sont les dispositifs les plus critiquables, et lesquels devraient-êtres reformés ?
Votre question est judicieuse, mais ni la DGFiP, ni la Cour des comptes n'ont de réponse à apporter sur ce point. Nous pensons que la DGFiP et la DLF, qui disposent de nombreuses informations, devraient établir conjointement une typologie des dispositifs facilitant l'optimisation fiscale, notamment internationale. Toutefois, en matière d'optimisation fiscale à l'échelon national, le dispositif sur les plus-values de cession de filiales a représenté 12 milliards d'euros dès la première année, ce qui est un montant considérable. On voit bien là que l'optimisation est plus importante que la fraude.
Je voudrais connaître votre sentiment concernant la fuite des cerveaux que nous connaissons à travers le pantouflage, qui s'est considérablement développé ces dix dernières années, notamment dans les secteurs bancaires et industriels. Ne pensez-vous pas qu'il existe là un problème structurel ? Les personnes de qualité qui « pantouflent » permettent ensuite à des entreprises privées de profiter d'informations et d'avantages qui se rapprochent de l'optimisation, ou constituent pour le moins des facilités.
Par ailleurs, alors que nous sommes face à des situations nouvelles de fraude complexe, internationale, très imbriquée, et ayant des liens avec l'économie de la drogue - comme l'ont montré les travaux de Pierre Kopp -, nous formons des individus qui, bien que de grande qualité, sont très respectueux de la loi. Cette élite de la République est en outre marquée par une endogamie assez forte. Ne pensez-vous pas qu'il y ait matière à diversifier de manière drastique les personnels (notamment à la Cour des comptes) afin de faire émerger des approches plus iconoclastes favorisant de nouvelles pistes d'investigation ? Je pense notamment à la fraude à la taxe carbone : il peut sembler que le dispositif de fraude dépassait l'entendement, mais vos travaux ont montré que tous les éléments permettant cette fraude existaient dès le départ.
Je ne suis pas sûr que le phénomène du pantouflage soit aujourd'hui réellement important. Au cours des dernières années, de nombreuses fraudes se sont produites à la faveur de nouvelles dispositions fiscales ou à l'occasion du développement d'un nouveau marché. Je ne pense donc pas que le pantouflage y soit pour quelque chose. La difficulté réside dans l'aptitude à discerner ce qui se déroule sur un marché. Ainsi, je crois que le Parlement a été saisi d'un amendement à la loi de finance rectificative portant sur les cartes prépayées, la DGFiP, instruite par l'expérience sur les quotas carbone, ayant voulu couper court à une fraude qui existait vraisemblablement depuis quelque temps.
Afin de lutter contre l'émergence de ces fraudes sur les marchés nouveaux, il convient de mettre en place une veille stratégique. Par conséquent, comme nous l'avons dit, la DGFiP doit être en mesure de recruter des statisticiens, des ingénieurs ou des spécialistes de marché pour établir des diagnostics et analyser les mouvement de marché. Sur tout marché qui se développe, des fraudes de tous types tendent à se développer. S'agissant des quotas de CO2, aucun diagnostic n'a été mené, alors que les évolutions du marché étaient totalement aberrantes.
Je comprends bien que toutes les spécialités et toutes les compétences ne puissent être représentées au sein d'une administration. Ne pourrions-nous pas faire appel à des cabinets privés qui nous permettraient, dans certains domaines pointus, d'obtenir des diagnostics ?
Je pense que l'externalisation comporte certains risques, notamment parce que le secret fiscal constitue une préoccupation majeure.
Tout à fait. Cependant, en matière fiscale, il me semble que le risque est important. Il existe des obligations en matière de secret fiscal, et même la Cour de compte n'a pas accès à toutes les informations qu'elle souhaite - le Parlement pourrait d'ailleurs améliorer le pouvoir de contrôle de la Cour en matière fiscale. Il existe également un risque de conflit d'intérêts. Nous pensons plutôt que la DGFiP devrait pouvoir recruter pour une durée limitée des contractuels qui apporteraient leur connaissance du marché avant de repartir dans d'autres activités. L'internalisation de l'expertise nous semble préférable à son externalisation.
L'imposition à la source, mise en oeuvre par voie informatique, ne permettrait-elle pas de dégager des moyens ? Par ailleurs, dans votre rapport, il me semble avoir lu que, parmi les contribuables les plus fortunés, 6 % des contrôles avaient généré 25 % de recettes supplémentaires. Peut-être certains contribuables doivent-ils être plus ciblés que d'autres ?
Je n'ai plus en tête les chiffres que vous citez, mais il est certain que le rapport de la Cour publié en février indiquait que les plus gros contribuables faisaient l'objet d'un contrôle tous les 40 ans, ce qui nous semblait insuffisant. Le problème du ciblage est incontestable, et doit être lié à la question de la répartition des effectifs de contrôle que j'évoquais. Il faudrait sans doute effectuer une double bascule d'effectif : entre l'effectif de gestion et l'effectif de contrôle d'une part ; au sein de l'effectif de contrôle, entre l'effectif de terrain réalisant des contrôles ordinaires et les directions nationales chargées des contrôles plus techniques d'autre part. Aujourd'hui, 1 % de l'effectif la DGFiP est aligné sur le contrôle fiscal des grandes entreprises et des plus hauts revenus. Ce ratio n'est vraisemblablement pas optimal, mais nous n'avons pas formulé de préconisations à ce stade.
Pouvez-vous nous confirmer que le nombre considérable de lois fiscales - qui fait du Code général des impôts le code le plus lourd de la collection Dalloz - favorise une optimisation fiscale non voulue par le législateur ?
Ce sujet est tout à fait majeur à nos yeux. Cependant, il ne concerne pas spécifiquement l'évasion internationale. Cette situation explique que l'optimisation soit certainement supérieure à la fraude fiscale. Les dépenses fiscales listées dans le fascicule Voies et moyens de la loi de finances ont un coût approximatif de 73 milliards d'euros, et les dispositifs non listés représentent approximativement un montant équivalent, soit un total de 150 milliards d'euros. Par nature, les possibilités d'optimisation sont plus importantes que la fraude dans un système comprenant 500 niches fiscales.
Savez-vous quelle est l'expérience de vos homologues en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis ? Par ailleurs, pourriez-vous illustrer quels types de fraude l'e-commerce, que vous avez évoqué tout à l'heure, peut amener ?
Nous n'avons pas étudié les contrôles réalisés par nos homologues sur l'administration fiscale. Par rapport à d'autres pays, notre administration fiscale est particulière : ainsi, en Allemagne, les contrôles fiscaux relèvent des Länder, et la DGFiP n'y a pas d'équivalent.
En matière d'e-commerce, les transactions peuvent être réalisées depuis un pays étranger et donner lieu à l'envoi de produits à des particuliers. Comment appliquer la TVA sur ces importations ? Nous pensons qu'il existe des risques particuliers qui devraient être analysés par l'administration fiscale.
Monsieur le président, merci pour votre participation.
La séance est levée à 18 heures 55.