Intervention de Yves Badorc

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 1er février 2012 : 2ème réunion
Audition de M. Robert Gelli procureur de la république président de la conférence nationale des procureurs de la république et de plusieurs de ses collègues

Yves Badorc, procureur de la République de Bar-le-Duc :

Nous avons l'ambition d'inspirer la confiance ; notre appel n'est pas une réaction face au caractère aléatoire et variable des normes (il serait d'ailleurs malvenu de présenter les choses ainsi devant votre commission des lois !). Notre appel exprime notre passion pour notre métier, ainsi que la violence de notre travail : nous sommes confrontés à des enjeux lourds, à des situations dramatiques auxquels nous devons apporter une réponse adaptée.

Notre rapport au temps est une question fondamentale et touche à de nombreux sujets qui ont été évoqués (la gestion des flux, le type de procédure que nous retenons, la place du contradictoire, etc.) : le parquet doit-il orienter plus vite ou répondre mieux ? Il incombe au législateur de trancher cette question. À cet égard, si les parquetiers sont des chauves-souris, ce n'est que la conséquence du caractère hybride de la procédure française, qui se trouve entre l'inquisitoire et l'accusatoire ! La gestion des flux pose également la question d'un contradictoire différé, comme dans la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité c'est-à-dire des décisions du procureur qui sont ensuite validées de manière binaire par le juge...

Pour répondre à Mme Tasca, il faut rapporter le poids de l'opinion (dont les réactions sont soudaines et instantanées) à la durée de nos délibérés : à Paris, un parquetier reçoit 100 à 110 appels par jour et doit prendre une décision en 5 minutes. Dans cette prise de décision, la qualité du compte-rendu qui nous est fait (et donc la qualité de la formation des officiers de police judiciaire) est déterminante. En somme, le poids de l'instant pèse sur nous lorsque nous prenons nos décisions sans avoir le temps de la réflexion, ou lorsque les textes s'accumulent -voire se contredisent- sans que nous puissions les assimiler intellectuellement, ce qui pose la question du respect du principe de légalité.

Quant à la question de l'unité du corps, il me semble que la France n'est pas une « anomalie » : c'est une exception, dans la mesure où elle a donné au ministère public (qui doit défendre l'intérêt général et contribuer à la manifestation de la vérité) une mission identique à celle des juges ; il est donc normal que les procureurs soient magistrats. Les expériences de scission entre le parquet et le siège n'ont d'ailleurs pas été concluantes à l'étranger : Antonio Cluny, procureur adjoint auprès de la Cour des comptes portugaise, s'en est fait le témoin, à propos du Portugal, lorsqu'il a montré que, quand le parquet et le siège disposaient au départ d'une culture commune, la scission entre eux ne se faisait pas au bénéfice des citoyens.

En ce qui concerne les frais de justice, on ne peut que constater que nos décisions pourraient être infléchies par des considérations budgétaires. Lorsque la gendarmerie nous saisit d'un cas de disparition inquiétante, doit-on effectuer une géolocalisation même si cela coûte très cher, ou doit-on y renoncer pour cette raison ? Lorsque l'on découvre un corps, doit-on faire pratiquer une autopsie ou seulement un examen médical, moins coûteux ? Ce genre d'interrogations entre en ligne de compte dans nos pratiques quotidiennes. À titre personnel, j'essaie parfois d'évacuer totalement ces considérations.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion