Intervention de Gérard Le Cam

Réunion du 3 novembre 2005 à 9h30
Loi d'orientation agricole — Article 1er, amendements 396 397

Photo de Gérard Le CamGérard Le Cam :

Je vous remercie, monsieur le ministre, des précisions que vous venez d'apporter. En effet, à lire le rapport de M. Gérard César, le fonds agricole inclut les droits à produire, ce qui a pu induire en erreur un certain nombre d'entre nous. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai moi-même mentionné les quotas laitiers hier soir. Vos éclaircissements étaient donc nécessaires : ils soulignent que sont exclus de cette nouvelle entité juridique et économique le foncier et les bâtiments. Nous y reviendrons tout à l'heure dans le cadre de la notion de fonds amortissable.

Je défendrai simultanément les amendements n° 396 et 397.

L'article 1er du projet de loi d'orientation agricole crée un fonds agricole. Cette disposition a été justifiée par le Gouvernement et par la majorité à l'Assemblée nationale par la nécessité de mieux appréhender la valeur marchande des exploitations.

Le rapporteur de la commission des affaires économiques voit, quant à lui, dans cette nouvelle disposition, « le fondement de l'évolution portée par le présent projet de loi d'orientation, à savoir l'insertion des activités de production agricole dans une démarche d'entreprise ». Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen y voient au contraire, comme M. César le notait d'ailleurs voilà quelques années, « la généralisation des pas-de-porte qui seraient une contrainte financière supplémentaire pour les agriculteurs et ainsi un nouvel obstacle à l'installation ».

Avant d'aborder les dangers de la création d'un fonds agricole, nous souhaitons dès à présent dénoncer son utilité.

En effet, comme cela a été rappelé lors des discussions à l'Assemblée nationale, il existe déjà un outil juridique permettant de recenser les éléments qui constituent la valeur d'une exploitation agricole : le compte de bilan et le compte d'exploitation. Ces éléments font l'objet d'une définition législative.

Par conséquent, la création du fonds agricole constitue seulement le moyen de prendre en compte de nouveaux droits incorporels, avec tous les risques que cela comporte.

Ainsi, le fonds agricole permet d'intégrer un certain nombre de biens incorporels dans le calcul de la valeur de l'exploitation agricole, notamment des marques de producteur, des accords commerciaux ou des droits à paiement dans le domaine des aides agricoles.

L'inévitable question de tous les droits à prime se pose alors, et ce avec d'autant plus d'acuité que la réforme de la politique agricole commune laisse entrevoir, avec le découplage des aides, une évolution particulièrement dangereuse pour notre agriculture. La répartition particulièrement discriminatoire des aides mise en place par le Gouvernement confirme d'ailleurs cette tendance.

Tout d'abord, les droits à paiement n'ont pas de valeur en eux-mêmes. Ils n'en ont qu'en fonction de l'accès au marché et des possibilités de valorisation de l'exploitation.

De plus, ces droits sont très évolutifs. En effet, une exploitation agricole peut bénéficier aujourd'hui de droits à paiement unique théoriquement garantis jusqu'en 2013. Or, chacun le sait, au sein de l'Union européenne, certains demandent à revenir sur une telle garantie. Par conséquent, ce qui est vrai aujourd'hui ne le sera peut-être plus dans trois ou quatre ans, encore moins en 2013.

Pour évaluer la rentabilité d'une exploitation agricole à long terme, il faut donc absolument exclure du fonds agricole les droits à produire et les primes.

En tout état de cause, quelle légitimité accorder à un mécanisme permettant de céder des droits qui ne sont pas la propriété de l'agriculteur ?

Ensuite, intégrer dans le fonds agricole de tels éléments incorporels risque d'entraîner une augmentation démesurée de la valeur de celui-ci, donc de poser des problèmes de succession de façon plus aiguë que par le passé. Ce n'est pas ainsi que seront réglées les discussions entre héritiers. Plus largement, augmenter le coût des exploitations risque de compliquer les transmissions et de constituer une entrave à l'installation des jeunes agriculteurs souvent peu fortunés.

Nous le voyons bien, la création de ce fonds agricole est potentiellement explosive pour les plus petites exploitations.

En effet, que nous le voulions ou non, c'est la loi de l'offre et de la demande qui s'appliquera. En résumé, cette disposition favorise l'accès à la terre pour les agriculteurs les plus riches.

Qui plus est, en créant le fonds agricole, qui sera négocié de gré à gré, vous mettez en danger la politique de contrôle des structures qui permet d'installer un jeune, de conforter une exploitation, de faire des choix de développement pour un territoire donné. Vous affaiblissez également la politique de maîtrise foncière mise en oeuvre - tant bien que mal, il est vrai - par les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, les SAFER.

En réalité, l'objectif de ce projet de loi d'orientation agricole est très clair : c'est la libéralisation de notre agriculture.

Il s'agit bien d'appliquer le système du libéralisme à une agriculture, traditionnellement familiale, composée d'exploitations à taille humaine, pour l'ouvrir, petit à petit, aux capitaux. Ce texte vise à transformer cette agriculture en secteur qu'il faut qualifier de « capitalistique », ainsi que je l'ai fait hier soir.

Monsieur le ministre, votre objectif n'est pas de servir les intérêts des agriculteurs, sinon une partie infime d'entre eux. Il est bien plutôt de faciliter une agriculture de masse confiée à de grands exploitants. Avec le fonds agricole, vous créez tout simplement l'outil juridique nécessaire à la mise en oeuvre d'une telle politique.

Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l'article 1er.

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