Intervention de Denis Martin

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 7 février 2012 : 1ère réunion
Situation de l'industrie automobile en france — Audition de M. Denis Martin membre du comité de direction générale de psa peugeot citroën directeur industriel et directeur des relations sociales

Denis Martin, membre du comité de direction générale de PSA Peugeot Citroën, Directeur industriel et Directeur des relations sociales :

Issu de deux siècles d'une aventure industrielle née en France, PSA Peugeot Citroën est aujourd'hui le deuxième constructeur européen, présent dans 160 pays. En 2011, nous avons vendu plus de 3,5 millions de véhicules et éléments détachés.

Quels sont nos principaux axes stratégiques ? Le premier est d'accélérer notre projection sur les marchés mondiaux : Asie, Amérique latine, Russie, des marchés sur lesquels se concentre l'essentiel de la croissance mondiale et de la demande d'automobiles. Cet effort passe par l'implantation d'unités de production : nous produisons là où nous vendons, en Chine, au Brésil, en Argentine, en Russie et nous voulons accélérer notre développement sur les marchés mondiaux. Cela ne relève pas d'un quelconque complot en délocalisation ourdi par PSA, mais d'un impératif vital. Le marché domestique européen est saturé, totalement mature, marqué essentiellement par du renouvellement. Notre stratégie industrielle est donc un moyen important de sécuriser non seulement l'avenir du groupe, mais aussi de nos usines en France. À Rennes sont produites 135 000 Peugeot 508, et 65 000 en Chine, pour le marché chinois. Ainsi, nous allongeons nos séries, nous donnons plus de visibilité à notre production de ce véhicule haut de gamme en Bretagne.

Notre objectif est de réaliser 50 % de nos ventes mondiales hors Europe, à l'horizon 2015. C'est ce qui nous autorise à enraciner en France notre recherche et développement, notre savoir-faire industriel. Il ne peut y avoir d'avenir pour un constructeur généraliste implanté uniquement en Europe : nous sommes condamnés à devenir un constructeur mondial.

Notre deuxième axe stratégique est d'assurer progressivement la montée en gamme de nos produits et organes mécaniques. La part de nos véhicules de segment B, tels que la Peugeot 207 ou la Citroën C3, représente 45 % des volumes, contre 33 % sur la moyenne du marché. Ce sont des véhicules riches en contenu, à l'instar de la nouvelle Peugeot 208 qui sera produite à Poissy et Mulhouse, sur laquelle nous fondons d'énormes espoirs. Mais ces véhicules dégagent une marge limitée. Il faut donc équilibrer notre mix produits avec des véhicules à plus forte valeur ajoutée. C'est ce que nous avons fait avec la ligne distinctive DS : la DS 3 produite à Poissy, la DS 4 à Mulhouse, la nouvelle DS 5 à Sochaux, bientôt en version hybride. Idem pour la Peugeot RCZ, la Peugeot 508. La part de ces produits premium dans le total de nos ventes est passée de 9 % en 2009 à 13 % en 2010 et 18 % en 2011.

Monter en gamme, c'est une stratégie gagnante à long terme pour nos usines en Europe et particulièrement en France. A contrario, y renoncer, ce serait nous cantonner aux seuls produits à bas coût, et donc aux régions low cost. Cette stratégie vise à protéger du déclin notre ingénierie, à protéger nos savoir-faire et nos talents.

S'agissant des organes, PSA est présent sur le terrain du véhicule hybride, qui combine les avantages écologiques de l'électrique et la mobilité du thermique le plus pointu. Avec la Peugeot 3008 Hybrid4, la Citroën DS5 Hybrid4 et la Peugeot 508 RXH, nous sommes les premiers au monde à lancer des véhicules hybrides diesel. Nous avons plaidé auprès des pouvoirs publics pour que soient maintenues les incitations à l'achat de flottes d'entreprise : celles-ci jouent un rôle déterminant dans le lancement des nouvelles technologies. Je remercie M. Martial Bourquin ainsi que Mmes Valérie Létard et Fabienne Keller de nous avoir prêté une oreille attentive.

PSA s'intéresse aussi au tout-électrique, et reste en pointe dans la recherche sur les moteurs thermiques classiques, dont l'ingénierie est située en France. Son dernier fleuron est le moteur EB à trois cylindres, fabriqué depuis peu à Trémery ; une version EB Atmo sera bientôt produite à la Française de mécanique à Douvrin.

J'en viens aux problématiques industrielles et sociales, car tels sont nos deux autres axes stratégiques : atteindre à l'excellence opérationnelle et être en tout point un groupe responsable. PSA reste profondément ancré en France : sur un peu plus de 200 000 salariés, 100 000 travaillent sur le territoire national. Ses 60 000 emplois directs en usine en font l'un des premiers groupes industriels français. Six usines terminales, onze usines de mécaniques et d'organes, 44 % de notre production de voitures, 85 % de notre production de moteurs, boîtes de vitesse et pièces mécaniques : PSA maintient en France son socle technologique et le maintiendra, conformément à la volonté constante de plusieurs générations de dirigeants.

Ainsi, nous modernisons nos usines françaises : plus de 2 milliards d'euros y ont été investis depuis 2008. Avec les salariés, nous cherchons à améliorer la productivité et la qualité de nos produits automobiles, qui n'ont plus rien à envier à ceux de nos concurrents allemands. L'enjeu, pour Philippe Varin comme pour moi, c'est « l'Usine excellente » : notre appareil productif doit s'aligner sur les meilleurs référentiels mondiaux, en termes d'organisation et d'innovation industrielles. Dans nombre d'usines, ces objectifs sont déjà atteints, et notre ambition est de parvenir aux mêmes résultats partout. L'excellence passe aussi par l'élimination des causes de variabilité et une meilleure utilisation des équipements. Quant à la sécurité, dans certaines usines, nous avons déjà atteint depuis trois ans la norme « zéro accident ». Nos critères sont les suivants : l'augmentation du taux d'utilisation des équipements, la diminution du nombre d'heures par véhicule, de l'énergie dépensée par véhicule et des surfaces de production.

Mais l'équation de la production en France est de plus en plus difficile. Nous sommes confrontés à une surcapacité structurelle en entrée de gamme et en moyenne gamme : la Citroën C3 et la Peugeot 207 sont en concurrence avec la Clio et la Twingo de Renault, la Fiat Ibiza, l'Audi A1, etc. PSA produit une grande partie de ses véhicules de segment B en France, alors que ses compétiteurs, à une exception près, ont tous délocalisé leur production dans la périphérie de l'Europe, voire hors du continent, où les coûts industriels sont bien moindres. On trouve sur le marché européen des voitures de même gamme, mais produites en Corée, en Inde, bientôt au Maroc : Suzuki, Nissan, Hyundai nous livrent une rude concurrence. Tous les constructeurs sont touchés, d'autant plus que la croissance est faible sur le continent, d'où la guerre des prix, l'effondrement des marges et la baisse de valeur.

Comment assurer la viabilité des sites dans ce contexte ? Il faut regarder la réalité en face, sinon elle nous rattrapera. Dans le secteur automobile, on s'accorde à dire que le taux optimal d'utilisation des équipements est de 120 %, avec trois équipes ; or il n'était que de 80 % à PSA en janvier ! Les usines ne tournent pas à pleine capacité, les coûts fixes ne sont pas amortis assez vite. D'où nos efforts pour améliorer l'organisation industrielle : compactage, réduction des espaces, simplification des processus et des flux, mutualisation des moyens.

Nous faisons également face au ralentissement économique global en Europe. Il n'a été vendu cette année que 13,6 millions de voitures sur le continent, contre plus de 16 millions en 2007, soit une chute de 15 %. Rien n'indique que l'on puisse rejoindre avant 2020 le niveau d'avant la crise. L'année 2011 fut marquée par un nouveau ralentissement : le marché automobile européen s'est contracté de 0,6 %, et dans les pays où nous réalisons traditionnellement nos meilleures performances, la chute fut vertigineuse : moins 17 % en Espagne, moins 10,5 % en Italie. Au total, nos ventes en Europe ont reculé de 6,8 %. Le segment B est particulièrement touché, alors que le haut de gamme résiste mieux. Les mêmes difficultés se présenteront en 2012 : il nous faut à tout prix préserver nos ressources et nos moyens.

Fidèle à sa tradition sociale, le groupe s'est lancé dès l'automne 2011 dans un processus d'adaptation. Nous avons été décriés, mais il ne s'agissait pas d'un plan social : l'enjeu était d'identifier les métiers sensibles ou en sureffectif, et d'offrir aux salariés concernés une mobilité interne ou externe, une formation, un accompagnement. Je salue tous les salariés qui, avec les partenaires sociaux et les responsables d'entreprises, ont su se mettre autour d'une table pour inventer des solutions aussitôt que possible. J'en ai la conviction, le dialogue social est au coeur du combat pour l'industrie. Un accord a été conclu en 2010, en période de croissance, sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, que nous appelons « Nouvelle dynamique de l'emploi » : il s'agissait d'anticiper collectivement les évolutions économiques et sociales auxquelles toutes les entreprises seront confrontées. Avec tous les partenaires sociaux, il faut nous mettre d'accord sur les constats, pour prendre des décisions éclairées. Nous veillons aussi à maintenir de bonnes relations avec nos sous-traitants dans les territoires, et oeuvrons constamment pour le renforcement de la filière.

Je vous livrerai pour finir la profession de foi d'un groupe industriel fidèle à son ancrage en France, moi qui travaille dans l'industrie depuis trente-deux ans, sans avoir jamais cessé de conduire des hommes dans les usines. Maintenir PSA dans le tissu industriel français est un combat de tous les jours, difficile et passionnant, face à une concurrence mouvante. Nous produisons des véhicules merveilleux, et notre principal atout est la richesse humaine : 100 000 salariés en France, dont 80 000 dans la seule division Automobile.

A titre personnel, j'estime que nous avons une grande responsabilité dans l'intégration des jeunes et la transmission des savoirs. En 2010, nous avons accueilli 2 820 jeunes dont 2 500 en alternance, parmi lesquels 1 650 étaient en contrat d'apprentissage - du baccalauréat professionnel au diplôme d'ingénieur, voire à la spécialisation ultérieure - et près de 800 en contrat de professionnalisation. Il faut développer la formation industrielle et attirer les talents : c'est la clé de la compétitivité. Outre la formation des jeunes, il faut promouvoir l'acquisition de nouvelles compétences tout au long de la vie professionnelle.

Il est également indispensable de faire évoluer notre organisation industrielle, dans le sens de la flexibilité, de l'agilité, de la souplesse. En 2011, plus de 5 000 collaborateurs ont accepté une offre de mobilité professionnelle, dont plus de 1 300 avec une contrainte de mobilité géographique : je rends hommage aux salariés qui participent à cet effort de réorganisation en des temps difficiles. Dans un monde incertain, où les marchés, les circuits commerciaux et les produits évoluent, quelle entreprise peut rester immuable et rigide ? Les crédits d'heures, les banques d'heures, les équipes variables permettent de s'adapter à la demande : nous avons toujours en tête le client.

Grâce aux contrats de projets, nous accueillons des jeunes sans qualification pour trois, cinq ou huit ans : ils acquièrent ainsi une expérience solide, un immense capital de compétences qui augmente leur employabilité.

Mais le coût du travail reste très élevé. Je sais gré au Sénat de s'être penché sur la question, à l'occasion d'une mission d'information sur la désindustrialisation menée par MM. Martial Bourquin et Alain Chatillon. Vous avez, je le sais, le souci de ne pas pénaliser l'entreprise France. Au-delà des clivages politiques, le renforcement de notre compétitivité s'impose. Je suis très satisfait qu'un débat s'engage à ce sujet dans le public : chacun doit prendre conscience des difficultés que connaissent les industriels, qui exercent un beau et passionnant métier, au fondement de la création de valeur pour notre pays.

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