La commission procède tout d'abord à l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de résolution européenne n° 254 (2011-2012), sur l'échange d'informations sur les accords intergouvernementaux conclus entre les États membres de l'Union européenne et des pays tiers dans le domaine de l'énergie.
Je rêve d'une véritable politique énergétique européenne...
Ce n'est pas exactement l'objet de ce texte, qui concerne surtout la sécurité de l'approvisionnement énergétique. Avec cette proposition de résolution, la commission des affaires européennes s'est saisie d'une question très concrète. Ce soir à 19 heures, la France connaîtra un pic de consommation d'électricité. Hier, la consommation s'est élevée à 96 000 mégawatts ; ce soir, nous devrions battre le record de décembre 2010 et dépasser les 100 000 mégawatts. Pour faire face à ces pics, la France est obligée d'importer de l'électricité : hier soir, nous avons ainsi importé 1 200 mégawatts de Grande-Bretagne, 920 d'Espagne, 914 de Belgique, 321 de Suisse et 180 - seulement - d'Allemagne. Mais vendredi dernier, nous importions 2 800 mégawatts d'Allemagne, sur 5 000. En même temps, nous exportions hier 1 500 mégawatts vers l'Italie... Preuve que le marché de l'électricité bouge énormément. Ces mouvements tiennent compte des prix de vente et d'achat de l'électricité.
Contrairement à ce qu'ont pu dire les médias, l'électricité importée d'Allemagne ne provenait pas du photovoltaïque ou de l'éolien, mais du charbon et du fioul ! Hier soir, sur 96 000 mégawatts consommés, 4 000 provenaient du fioul, 4 000 du charbon, 3 400 du gaz : les petites centrales de gaz construites dans nos régions commencent à produire aux heures de pointe, et participent au mix énergétique.
Concernant le gaz, le principal fournisseur de l'Europe, Gazprom, a annoncé qu'il réduisait ses livraisons, car il alimente la Russie en priorité... Heureusement, la France n'importe que 15 % de son gaz de Russie : nous nous sommes fournis auprès de l'Algérie, comme les autres pays d'Europe du Sud. On observe un système de vases communicants.
La politique énergétique européenne ? Les pays européens doivent s'équiper en lieux de stockage, mais aussi renforcer les réseaux, améliorer les flux. En la matière, l'Union européenne donne des consignes, mais ne s'investit guère...
L'Union est pleinement dans son rôle lorsqu'elle facilite la coopération entre les États, dans un objectif de sécurisation des approvisionnements en énergie. C'est pourquoi la Commission européenne a présenté une proposition de décision qui met en place un mécanisme d'échange d'informations. Je vous rappelle qu'une décision européenne présente le même caractère obligatoire qu'un règlement et ne nécessite pas de transposition dans le droit national, contrairement à une directive. La proposition de décision met en oeuvre une demande du Conseil européen de février 2011, qui prévoyait un système d'échange d'informations entre les États membres sur les accords bilatéraux qu'ils concluent avec des États tiers en matière d'énergie.
En Europe occidentale, ces contrats sont essentiellement passés par les grandes compagnies privées. En Europe de l'Est et du Nord, en revanche, ils sont passés d'État à État. Fin 2010, la Pologne a ainsi eu besoin de l'Europe pour l'aider dans sa négociation avec Gazprom. La Lettonie et la Lituanie sont également très demandeuses de ce texte : toutes deux se fournissent en gaz à 100 % auprès de la Russie, de même que la Finlande, l'Estonie, la Bulgarie et la Roumanie. Un deuxième groupe de pays importe entre 70 et 90 % de son gaz de Russie : Hongrie, République Tchèque, Autriche, Pologne et Grèce. Le Royaume-Uni, l'Italie et l'Allemagne dépendent à 30 % de la Russie ; la France et la Belgique, à 15 %.
Elle ne fait pas partie de l'Union, évidemment, mais c'est tout le problème des lieux de passage : une crise politique peut avoir des répercussions sur l'approvisionnement... Mais ce n'est pas le sujet qui nous occupe aujourd'hui.
La Commission européenne s'est donc penchée sur les accords bilatéraux, à la demande du Conseil mais va toutefois plus loin que le mandat qui lui était confié. Devait-elle s'impliquer davantage, et à quel point ?
En premier lieu, le texte prévoit que des accords commerciaux auxquels font référence les accords intergouvernementaux devraient être notifiés à la Commission. En second lieu, les projets intergouvernementaux seraient notifiés à la Commission dès le début des négociations, et celle-ci pourrait, de sa propre initiative, vérifier leur compatibilité avec le droit européen. Enfin, la Commission pourrait définir des clauses standard pour de futurs accords.
La France, comme la plupart des États membres, y compris la Pologne, a fait valoir ses réserves sur les deux premiers points. En effet, il paraît difficilement pensable de transmettre le contenu complet des accords commerciaux à la Commission européenne : la nécessité de préserver la confidentialité des opérations s'y oppose. Le Conseil comme le Parlement européen souhaitent revenir sur ce point. Je vous proposerai donc d'approuver la commission des affaires européennes du Sénat, qui, dans sa proposition de résolution « attire l'attention sur la nécessité de préserver les intérêts commerciaux des entreprises énergétiques européennes ».
La France s'est jusqu'ici montrée réservée sur les clauses standards, considérant que les États étaient capables de rédiger eux-mêmes les accords bilatéraux. Le Conseil, ainsi que le rapporteur au Parlement européen, soutiennent toutefois que de telles clauses favoriseraient la sécurité juridique des accords et ne constituent pas une intrusion de la Commission, à condition qu'elles soient facultatives. Je vous proposerai un amendement allant dans le même sens.
La question la plus difficile est celle de l'implication de la Commission dans les négociations. La commission des affaires européennes soutient la Commission lorsque celle-ci demande la possibilité, à sa propre initiative, de vérifier la compatibilité d'un projet d'accord intergouvernemental avec le droit européen avant sa signature. C'est un point essentiel, sur lequel je propose un amendement.
Les positions ont évolué au sein du Conseil. Alors que le projet initial prévoyait que les États membres « devaient » informer la Commission de l'ouverture de négociations afin de lui donner le temps d'examiner le projet, la plupart des pays admettent désormais que cette notification devrait être facultative, c'est-à-dire que l'intervention de la Commission aurait lieu en accord avec l'État membre. Très peu d'États soutiennent le principe d'une intervention de la Commission de sa propre initiative : il s'agit de la Lettonie, dont est originaire le rapporteur au Parlement européen, et surtout de la Lituanie. Cette dernière, contrainte par l'Union de fermer ses deux centrales nucléaires qui assuraient son indépendance énergétique, n'a désormais d'autre choix que de faire appel au gaz russe.
Pour autant, cela justifie-t-il de donner à la Commission un tel rôle dans un domaine qui relève de la seule compétence des États ? Chaque État est libre de faire appel à elle si besoin - comme l'a fait la Pologne en 2010, lorsqu'elle a renégocié avec la Russie. Prévoir une implication obligatoire de la Commission, c'est en fait remettre en cause plusieurs principes européens. Le premier, inscrit dans le traité de Lisbonne, est celui de la souveraineté des États dans la fixation du bouquet énergétique. Le second est que la mise en oeuvre du droit de l'Union repose en premier lieu sur les États. Aucun intérêt particulier de l'Union ou des États membres ne semble justifier ici une exception.
Pour ces raisons, je vous propose de reconnaître l'intérêt de l'intervention de la Commission avec l'accord de l'État membre concerné, afin de concilier les intérêts de certains nouveaux États membres qui ont besoin du soutien européen avec la volonté de la plupart des États de préserver leur souveraineté en matière énergétique. Sur un sujet aussi sensible, chaque pays a une approche qui lui est propre, en fonction de son histoire, de sa situation géostratégique, de sa culture et de son mix énergétique.
Cette proposition de résolution est bienvenue, tout particulièrement en cette période de grand froid marquée par un volume important d'importations et d'exportations d'énergie. Face à un risque de pénurie d'énergie, les États membres sont soumis à des pressions croissantes, qui les poussent à accepter des accords parfois incompatibles avec le droit européen. Les États membres peuvent être vulnérables, et cette vulnérabilité gagner l'ensemble de l'Union. Il est donc essentiel d'organiser l'échange d'informations entre les États membres et la Commission sur les accords intergouvernementaux.
La proposition de résolution précise que la Commission doit pouvoir assister les États membres dans la négociation. La partie n'étant jamais facile, surtout quand on négocie avec la Russie, nous sommes favorables à cette possibilité, dès lors que la souveraineté des États est respectée.
Sur l'alinéa 7, les avis étaient partagés au sein de notre groupe. Dans un souci de compromis, nous proposons une modification de l'amendement n° 1 du rapporteur : nous conserverions le I, mais supprimerions le II, de sorte à rétablir le délai de quatre semaines, dans lequel doit s'inscrire l'avis de la commission.
Cette proposition me convient. L'immense majorité des États - 25 sur 27, dont la Pologne - ne souhaitent pas que la Commission puisse demander des informations sur les contrats passés avec Gazprom ou avec un autre fournisseur. Je ne sais pas pourquoi la Commission a persisté, d'autant qu'elle n'a pas les moyens d'effectuer ces contrôles.
C'est l'un des points sur lesquels la Commission n'a pas donné d'explication satisfaisante. L'amendement résout le problème. De toute façon, tous les contrats devront respecter le droit européen, qu'ils soient passés par les États ou par les fournisseurs privés : il y aura un contrôle a posteriori. Mais il est abusif que la Commission puisse se saisir d'elle-même, avant même la signature du contrat.
L'alinéa 7 serait donc rédigé de la sorte : le Sénat « reconnaît l'intérêt de la possibilité donnée à la Commission de vérifier ex ante, avec l'accord de l'État membre concerné, la compatibilité d'un accord intergouvernemental avec le droit européen avant sa signature, sous réserve que l'avis non contraignant de la Commission soit rendu dans un délai de quatre semaines maximum ».
Quant à l'amendement n° 2, il propose un alinéa supplémentaire visant à approuver la possibilité donnée à la Commission de rédiger des clauses standard. C'est une proposition du rapporteur, à laquelle se rallient progressivement tous les pays, dont la France.
Dans un souci de consensus, nous ne nous opposons pas à cet amendement. Mais je m'interroge : à quoi servent ces clauses si elles sont facultatives ?
C'est de même nature que « l'avis non contraignant »...
L'amendement n° 1, modifié, est adopté, ainsi que l'amendement n° 2.
La proposition de résolution, modifiée, est adoptée.
Je me réjouis de cette unanimité. Je regrette toutefois l'absence de réelle politique énergétique européenne. Ce ne serait pas un luxe de connaître la position de l'Europe sur les grands enjeux internationaux : sécurité de l'approvisionnement, mix énergétique, engagements de Kyoto ou de Rio+20...
D'accord sur la sécurité de l'approvisionnement : nous pouvons être beaucoup plus ambitieux, renforcer l'entraide. Le gazoduc Nord, mis en place très vite, appartient à deux compagnies privées : ce n'est pas une autoroute européenne ! Même chose pour les projets de gazoduc Sud - notamment celui auquel Total participera finalement, à hauteur de 6 %, mais pour servir ses clients seulement.
Sur le mix énergétique, les choses sont plus compliquées. La situation diffère selon les pays ; chez nous, la part du nucléaire va baisser au profit des énergies renouvelables et du gaz : c'est la première fois que nous utilisons autant le gaz pour répondre à une période de pointe. Nous composons notre mix énergétique en fonction de nos besoins, pour assurer notre indépendance énergétique : Bruxelles n'a pas à nous imposer son mix.
Certes. Mais il serait bienvenu que l'Europe fasse connaître sa politique énergétique, quand elle prend des engagements internationaux sur le réchauffement climatique... La réciprocité, la solidarité ne doivent-elles pas jouer ?
La commission procède ensuite à l'audition de M. Denis Martin, membre du comité de direction générale de PSA Peugeot Citroën, directeur industriel et directeur des relations sociales.
Le marché mondial de l'automobile est en pleine recomposition, avec l'arrivée des pays émergents, qui sont à la fois consommateurs et producteurs. Les rythmes de croissance sont contrastés selon les zones de consommation. Les constructeurs français sont de moins en moins liés au territoire national. Malgré ces signes inquiétants pour l'avenir, le rôle d'entraînement est encore fort pour l'économie française, mais le poids économique de l'industrie automobile - et de l'industrie en général - dans le PIB diminue... Je vous laisse la parole.
Issu de deux siècles d'une aventure industrielle née en France, PSA Peugeot Citroën est aujourd'hui le deuxième constructeur européen, présent dans 160 pays. En 2011, nous avons vendu plus de 3,5 millions de véhicules et éléments détachés.
Quels sont nos principaux axes stratégiques ? Le premier est d'accélérer notre projection sur les marchés mondiaux : Asie, Amérique latine, Russie, des marchés sur lesquels se concentre l'essentiel de la croissance mondiale et de la demande d'automobiles. Cet effort passe par l'implantation d'unités de production : nous produisons là où nous vendons, en Chine, au Brésil, en Argentine, en Russie et nous voulons accélérer notre développement sur les marchés mondiaux. Cela ne relève pas d'un quelconque complot en délocalisation ourdi par PSA, mais d'un impératif vital. Le marché domestique européen est saturé, totalement mature, marqué essentiellement par du renouvellement. Notre stratégie industrielle est donc un moyen important de sécuriser non seulement l'avenir du groupe, mais aussi de nos usines en France. À Rennes sont produites 135 000 Peugeot 508, et 65 000 en Chine, pour le marché chinois. Ainsi, nous allongeons nos séries, nous donnons plus de visibilité à notre production de ce véhicule haut de gamme en Bretagne.
Notre objectif est de réaliser 50 % de nos ventes mondiales hors Europe, à l'horizon 2015. C'est ce qui nous autorise à enraciner en France notre recherche et développement, notre savoir-faire industriel. Il ne peut y avoir d'avenir pour un constructeur généraliste implanté uniquement en Europe : nous sommes condamnés à devenir un constructeur mondial.
Notre deuxième axe stratégique est d'assurer progressivement la montée en gamme de nos produits et organes mécaniques. La part de nos véhicules de segment B, tels que la Peugeot 207 ou la Citroën C3, représente 45 % des volumes, contre 33 % sur la moyenne du marché. Ce sont des véhicules riches en contenu, à l'instar de la nouvelle Peugeot 208 qui sera produite à Poissy et Mulhouse, sur laquelle nous fondons d'énormes espoirs. Mais ces véhicules dégagent une marge limitée. Il faut donc équilibrer notre mix produits avec des véhicules à plus forte valeur ajoutée. C'est ce que nous avons fait avec la ligne distinctive DS : la DS 3 produite à Poissy, la DS 4 à Mulhouse, la nouvelle DS 5 à Sochaux, bientôt en version hybride. Idem pour la Peugeot RCZ, la Peugeot 508. La part de ces produits premium dans le total de nos ventes est passée de 9 % en 2009 à 13 % en 2010 et 18 % en 2011.
Monter en gamme, c'est une stratégie gagnante à long terme pour nos usines en Europe et particulièrement en France. A contrario, y renoncer, ce serait nous cantonner aux seuls produits à bas coût, et donc aux régions low cost. Cette stratégie vise à protéger du déclin notre ingénierie, à protéger nos savoir-faire et nos talents.
S'agissant des organes, PSA est présent sur le terrain du véhicule hybride, qui combine les avantages écologiques de l'électrique et la mobilité du thermique le plus pointu. Avec la Peugeot 3008 Hybrid4, la Citroën DS5 Hybrid4 et la Peugeot 508 RXH, nous sommes les premiers au monde à lancer des véhicules hybrides diesel. Nous avons plaidé auprès des pouvoirs publics pour que soient maintenues les incitations à l'achat de flottes d'entreprise : celles-ci jouent un rôle déterminant dans le lancement des nouvelles technologies. Je remercie M. Martial Bourquin ainsi que Mmes Valérie Létard et Fabienne Keller de nous avoir prêté une oreille attentive.
PSA s'intéresse aussi au tout-électrique, et reste en pointe dans la recherche sur les moteurs thermiques classiques, dont l'ingénierie est située en France. Son dernier fleuron est le moteur EB à trois cylindres, fabriqué depuis peu à Trémery ; une version EB Atmo sera bientôt produite à la Française de mécanique à Douvrin.
J'en viens aux problématiques industrielles et sociales, car tels sont nos deux autres axes stratégiques : atteindre à l'excellence opérationnelle et être en tout point un groupe responsable. PSA reste profondément ancré en France : sur un peu plus de 200 000 salariés, 100 000 travaillent sur le territoire national. Ses 60 000 emplois directs en usine en font l'un des premiers groupes industriels français. Six usines terminales, onze usines de mécaniques et d'organes, 44 % de notre production de voitures, 85 % de notre production de moteurs, boîtes de vitesse et pièces mécaniques : PSA maintient en France son socle technologique et le maintiendra, conformément à la volonté constante de plusieurs générations de dirigeants.
Ainsi, nous modernisons nos usines françaises : plus de 2 milliards d'euros y ont été investis depuis 2008. Avec les salariés, nous cherchons à améliorer la productivité et la qualité de nos produits automobiles, qui n'ont plus rien à envier à ceux de nos concurrents allemands. L'enjeu, pour Philippe Varin comme pour moi, c'est « l'Usine excellente » : notre appareil productif doit s'aligner sur les meilleurs référentiels mondiaux, en termes d'organisation et d'innovation industrielles. Dans nombre d'usines, ces objectifs sont déjà atteints, et notre ambition est de parvenir aux mêmes résultats partout. L'excellence passe aussi par l'élimination des causes de variabilité et une meilleure utilisation des équipements. Quant à la sécurité, dans certaines usines, nous avons déjà atteint depuis trois ans la norme « zéro accident ». Nos critères sont les suivants : l'augmentation du taux d'utilisation des équipements, la diminution du nombre d'heures par véhicule, de l'énergie dépensée par véhicule et des surfaces de production.
Mais l'équation de la production en France est de plus en plus difficile. Nous sommes confrontés à une surcapacité structurelle en entrée de gamme et en moyenne gamme : la Citroën C3 et la Peugeot 207 sont en concurrence avec la Clio et la Twingo de Renault, la Fiat Ibiza, l'Audi A1, etc. PSA produit une grande partie de ses véhicules de segment B en France, alors que ses compétiteurs, à une exception près, ont tous délocalisé leur production dans la périphérie de l'Europe, voire hors du continent, où les coûts industriels sont bien moindres. On trouve sur le marché européen des voitures de même gamme, mais produites en Corée, en Inde, bientôt au Maroc : Suzuki, Nissan, Hyundai nous livrent une rude concurrence. Tous les constructeurs sont touchés, d'autant plus que la croissance est faible sur le continent, d'où la guerre des prix, l'effondrement des marges et la baisse de valeur.
Comment assurer la viabilité des sites dans ce contexte ? Il faut regarder la réalité en face, sinon elle nous rattrapera. Dans le secteur automobile, on s'accorde à dire que le taux optimal d'utilisation des équipements est de 120 %, avec trois équipes ; or il n'était que de 80 % à PSA en janvier ! Les usines ne tournent pas à pleine capacité, les coûts fixes ne sont pas amortis assez vite. D'où nos efforts pour améliorer l'organisation industrielle : compactage, réduction des espaces, simplification des processus et des flux, mutualisation des moyens.
Nous faisons également face au ralentissement économique global en Europe. Il n'a été vendu cette année que 13,6 millions de voitures sur le continent, contre plus de 16 millions en 2007, soit une chute de 15 %. Rien n'indique que l'on puisse rejoindre avant 2020 le niveau d'avant la crise. L'année 2011 fut marquée par un nouveau ralentissement : le marché automobile européen s'est contracté de 0,6 %, et dans les pays où nous réalisons traditionnellement nos meilleures performances, la chute fut vertigineuse : moins 17 % en Espagne, moins 10,5 % en Italie. Au total, nos ventes en Europe ont reculé de 6,8 %. Le segment B est particulièrement touché, alors que le haut de gamme résiste mieux. Les mêmes difficultés se présenteront en 2012 : il nous faut à tout prix préserver nos ressources et nos moyens.
Fidèle à sa tradition sociale, le groupe s'est lancé dès l'automne 2011 dans un processus d'adaptation. Nous avons été décriés, mais il ne s'agissait pas d'un plan social : l'enjeu était d'identifier les métiers sensibles ou en sureffectif, et d'offrir aux salariés concernés une mobilité interne ou externe, une formation, un accompagnement. Je salue tous les salariés qui, avec les partenaires sociaux et les responsables d'entreprises, ont su se mettre autour d'une table pour inventer des solutions aussitôt que possible. J'en ai la conviction, le dialogue social est au coeur du combat pour l'industrie. Un accord a été conclu en 2010, en période de croissance, sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, que nous appelons « Nouvelle dynamique de l'emploi » : il s'agissait d'anticiper collectivement les évolutions économiques et sociales auxquelles toutes les entreprises seront confrontées. Avec tous les partenaires sociaux, il faut nous mettre d'accord sur les constats, pour prendre des décisions éclairées. Nous veillons aussi à maintenir de bonnes relations avec nos sous-traitants dans les territoires, et oeuvrons constamment pour le renforcement de la filière.
Je vous livrerai pour finir la profession de foi d'un groupe industriel fidèle à son ancrage en France, moi qui travaille dans l'industrie depuis trente-deux ans, sans avoir jamais cessé de conduire des hommes dans les usines. Maintenir PSA dans le tissu industriel français est un combat de tous les jours, difficile et passionnant, face à une concurrence mouvante. Nous produisons des véhicules merveilleux, et notre principal atout est la richesse humaine : 100 000 salariés en France, dont 80 000 dans la seule division Automobile.
A titre personnel, j'estime que nous avons une grande responsabilité dans l'intégration des jeunes et la transmission des savoirs. En 2010, nous avons accueilli 2 820 jeunes dont 2 500 en alternance, parmi lesquels 1 650 étaient en contrat d'apprentissage - du baccalauréat professionnel au diplôme d'ingénieur, voire à la spécialisation ultérieure - et près de 800 en contrat de professionnalisation. Il faut développer la formation industrielle et attirer les talents : c'est la clé de la compétitivité. Outre la formation des jeunes, il faut promouvoir l'acquisition de nouvelles compétences tout au long de la vie professionnelle.
Il est également indispensable de faire évoluer notre organisation industrielle, dans le sens de la flexibilité, de l'agilité, de la souplesse. En 2011, plus de 5 000 collaborateurs ont accepté une offre de mobilité professionnelle, dont plus de 1 300 avec une contrainte de mobilité géographique : je rends hommage aux salariés qui participent à cet effort de réorganisation en des temps difficiles. Dans un monde incertain, où les marchés, les circuits commerciaux et les produits évoluent, quelle entreprise peut rester immuable et rigide ? Les crédits d'heures, les banques d'heures, les équipes variables permettent de s'adapter à la demande : nous avons toujours en tête le client.
Grâce aux contrats de projets, nous accueillons des jeunes sans qualification pour trois, cinq ou huit ans : ils acquièrent ainsi une expérience solide, un immense capital de compétences qui augmente leur employabilité.
Mais le coût du travail reste très élevé. Je sais gré au Sénat de s'être penché sur la question, à l'occasion d'une mission d'information sur la désindustrialisation menée par MM. Martial Bourquin et Alain Chatillon. Vous avez, je le sais, le souci de ne pas pénaliser l'entreprise France. Au-delà des clivages politiques, le renforcement de notre compétitivité s'impose. Je suis très satisfait qu'un débat s'engage à ce sujet dans le public : chacun doit prendre conscience des difficultés que connaissent les industriels, qui exercent un beau et passionnant métier, au fondement de la création de valeur pour notre pays.
Vous avez parlé des responsabilités sociales de PSA, mais vous ne vous êtes pas étendu sur l'accompagnement des sous-traitants. En Touraine, beaucoup ont quitté la France pour la Tunisie ou le Maroc ; je pense à l'une d'entre elles, dotée de personnel qualifié, formidable donneur d'ordres, et qui n'existe plus. Les dirigeants de PSA ont-ils été assez attentifs au tissu de PME et PMI qui travaillent pour eux ?
J'ai écouté avec attention le plaidoyer de M. Denis Martin. La nation soutient ses entreprises automobiles : lorsque la crise a fait s'effondrer le marché, l'État a consenti 6,5 milliards d'euros de prêts, qui ont été remboursés de manière anticipée avec 715 millions d'intérêts. Il faut y ajouter 900 millions d'euros de prêts aux PME de la part d'Oséo, 1,2 milliard pour la prime à la casse, 2,3 milliards pour le bonus écologique, et les milliards de la disparition de la taxe professionnelle. L'investissement a été massif, et un pacte a été conclu avec le secteur automobile. Les retombées en termes d'emploi, de relocalisations, de balance commerciale sont-elles à la hauteur des attentes ? La balance commerciale du secteur automobile est désormais déficitaire, notamment parce que les deux grands constructeurs réimportent des produits. Certes, il ne faut pas les mettre dans le même panier : PSA conserve entre 34 et 38 % de sa production en France, Renault 25 % seulement. Mais ces chiffres sont à comparer à ceux de Volkswagen qui réalise 55 % de sa production sur son territoire national !
Vous avez une obligation de résultats dans ce domaine. Majorité et opposition sont tombées d'accord pour vous aider sans rechigner. Or, j'ai ici un audit du cabinet d'expertise Secafi : comme je l'ai écrit à M. Philippe Varin, il est dommage que les amortisseurs de PSA doivent bientôt être fabriqués en Espagne. Entre nos deux pays, l'écart de compétitivité est infime ! Or 600 emplois sont en jeu à Sochaux, sans compter les sous-traitants. Je suis l'élu d'un bassin industriel durement touché par la crise, où beaucoup d'intérimaires et même des cadres ont été remerciés. Depuis que PSA a annoncé des suppressions d'emplois massives, nous nous interrogeons, et attendons des actes concrets pour une relocalisation de l'activité.
Vous avez évoqué le coût du travail. Mais en déplacement dans le Bade-Wurtemberg, nous avons pu constater qu'il était à peu près identique en France et en Allemagne ! Plusieurs organismes statistiques le confirment. Or les Allemands relocalisent et réembauchent. Il est vrai qu'ils ont choisi la montée en gamme, et que vous avez peut-être pris du retard à cet égard.
Sur les produits, quelle est votre stratégie ? C'est par l'innovation et l'invention de produits à forte valeur ajoutée que l'on créera de l'activité et des emplois. Je connais mieux l'aéronautique que l'automobile, mais je ne suis pas sûr que les constructeurs automobiles français ait suffisamment investi dans les véhicules à grosse cylindrée. Les Allemands, avec Volkswagen, Audi et Mercedes, sont meilleurs que nous. Le problème tient-il à la crédibilité des produits haut de gamme, à leur sécurité ?
Je rejoins dans une certaine mesure ce qu'a dit Martial Bourquin. Si nos industries veulent rester présentes à l'international, il faut un navire amiral dans chaque branche. Il y en a un dans l'aéronautique, mais est-ce le cas dans l'automobile ? Je ne le crois pas. C'est pourtant nécessaire pour entretenir l'activité des sous-traitants et créer des produits à forte valeur ajoutée. Pour avoir accès aux marchés internationaux, il faut aussi disposer d'implantations locales, je le conçois très bien : j'en ai moi-même l'expérience dans le secteur agro-alimentaire. Car c'est ainsi que l'on peut s'adapter aux demandes des consommateurs.
Enfin, quelle est la pyramide des âges au sein de PSA ?
Je partage entièrement le point de vue de Martial Bourquin. Le bassin d'emploi de Sochaux est durement touché : le comité d'entreprise de PSA a annoncé, le 15 novembre, la suppression de 6 800 emplois en Europe, 5 000 en France, dont 1 000 en Île-de-France et 400 à La Garenne-Colombes dans les Hauts-de-Seine. Cette restructuration est doublement symbolique : c'est la première de cette ampleur, et c'est aussi la première fois qu'un constructeur automobile taille dans ses effectifs de recherche et développement. On assiste à une véritable délocalisation des cerveaux, avec l'implantation de centres en Brésil et en Chine. Le China Tech Center de Shanghai va voir ses effectifs passer de 400 à 1 000 : de quoi développer des modèles pour le marché chinois, mais aussi européen.
Quel désaveu pour nos gouvernants ! Depuis plusieurs années, on subventionne massivement la recherche et développement par le biais du coûteux crédit d'impôt recherche : 5,3 milliards d'euros en 2012, dont PSA est un gros bénéficiaire.
Quelles seront les conséquences de la restructuration annoncée à La Garenne-Colombes ? Que deviendront les sous-traitants ? Quelles garanties pour la pérennité du site ?
Martial Bourquin a dressé un tableau fidèle de la situation. Monsieur Denis Martin, vous avez beaucoup insisté sur le dialogue social, mais qu'en est-il à Aulnay-sous-Bois ? La Citroën C3 arrive en fin de vie. Jusqu'à quand sera-t-elle produite ? La nouvelle C3 sera-t-elle fabriquée à Aulnay ou doit-on s'attendre à une délocalisation ?
J'allais poser la même question. A Aulnay, PSA emploie directement 3 300 personnes ; si l'on inclut les sous-traitants, près de 10 000 emplois sont en jeu. Pour la Seine-Saint-Denis, c'est considérable. Or nul ne sait ce qu'il adviendra après 2014, quand la C3 cessera d'être produite. Il faut anticiper, et les élus sont prêts à le faire avec vous. Il est inenvisageable de laisser disparaître autant d'emplois dans un département en grande difficulté.
Vous avez parlé de recherche et développement. Mais faites-vous assez d'efforts pour inventer de nouveaux produits, et remédier ainsi à la saturation du marché ?
Les rumeurs nous inquiètent. Nous voulons être tenus informés des évolutions et, bien plus, nous sommes prêts à nous impliquer.
La parole est à la défense. Il est compréhensible que nos collègues s'inquiètent pour les sites de leur département : cela me rappelle l'audition de M. Guillaume Pepy, président de la SNCF, qui a dû répondre gare après gare. Mais n'oublions pas la stratégie industrielle globale.
Nous sommes tous inquiets. Comme je vous l'ai dit, le secteur automobile connaît des problèmes structurels, notamment en ce qui concerne les véhicules des segments A et B : nous en produisons à Aulnay, à Poissy, à Mulhouse et à Madrid, pour m'en tenir à l'Europe occidentale. PSA compte en France trois usines et quatre systèmes de production pour le segment B. Un autre constructeur se vantait récemment de produire des véhicules du même segment dans notre pays, mais quel autre exemple peut-on citer ? Que l'on ne nous fasse pas de mauvais procès.
Cela dit, comment surmonter ces problèmes ? Un comité stratégique a été constitué avec les syndicats, et il se réunira à nouveau fin février pour évoquer le problème de la non-rentabilité du segment B. Nous sommes naturellement ouverts au dialogue avec les élus. Quoi qu'il en soit, comme je l'ai dit au maire d'Aulnay, nous n'avons pas l'intention de vendre nos terrains dans sa commune. Nous étudions toutes les solutions, à Aulnay comme ailleurs.
L'usine d'Aulnay a connu quelques jours de chômage, et elle subira bientôt une semaine d'arrêt pendant les vacances de février. Nous faisons en sorte que les familles puissent s'arranger. Mais je rappelle qu'à Madrid, les ouvriers chôment un jour sur deux ! Vous comprendrez que le site de Madrid me préoccupe plus encore que celui d'Aulnay ! Le problème de compétitivité est global. A Aulnay, nous avons pu passer de deux à un système de production, et assurer ainsi la viabilité du site. Dans l'usine historique de Poissy, ce n'était pas possible. Les salariés y ont beaucoup souffert : trois mois de chômage ! L'époque de la Peugeot 1007 fut calamiteuse. Heureusement, la DS3 connaît un très grand succès, et nous avons choisi de la construire à Poissy. Sur l'autre ligne, nous construirons le haut de gamme de la Peugeot 208. Des problèmes se posaient aussi à Mulhouse. Certains nous encourageaient à déplacer à Aulnay la production que nous envisagions d'implanter à Mulhouse : c'était déshabiller Pierre pour habiller Paul.
Mais nous faisons face à la concurrence des pays à bas coûts : Europe de l'Est, Afrique du Nord, Inde, Corée... Plutôt que de lancer des slogans incendiaires, il vaut mieux faire preuve d'esprit de responsabilité. Nous travaillons avec les partenaires sociaux, les élus, les pouvoirs publics. Valérie Létard connaît bien le dossier de l'usine Sevel de Valenciennes. Si le groupe PSA a été attaqué, c'est parce que c'est le seul à maintenir en France la production de monospaces familiaux ! Nous avons reclassé tous nos salariés à Valenciennes, dans notre usine mécanique. PSA continue aussi à produire des véhicules utilitaires. D'autres bavardent, nous agissons !
Nous réfléchissons constamment à la manière d'augmenter la compétitivité de nos sites français. Si le véhicule du futur est produit à Vigo - dans une usine historique, aussi ancienne que beaucoup de nos usines françaises - il sera compétitif. Que faut-il donc faire pour qu'il le soit aussi en France ? Toutes nos équipes techniques cherchent à répondre à cette question. Voilà le bon esprit : c'est être combattif, volontaire, au lieu de nous accuser d'avoir pour seule idée en tête de fermer toutes nos usines en France. Nous voudrions au contraire les faire tourner au maximum de leurs capacités ! Mais c'est impossible quand il n'y a plus de clients, quand les écarts de compétitivité sont si grands : 2 000 euros sur le segment B avec la Corée.
Nous n'avons pas à rougir des relations entretenues avec nos sous-traitants depuis 2008. Oui, nous sommes exigeants à l'égard de nos fournisseurs : certains sont de gros groupes mondiaux, dont les profits sont sans commune mesure avec ceux de PSA. Nous faisons tout pour que la filière reste compétitive, même s'il est inévitable que certaines entreprises disparaissent. La restructuration a eu lieu en Allemagne, aux États-Unis, pas en France. Nous avons travaillé à l'optimisation des filières de l'emboutissage et de l'étanchéité. Comment faire pour que les meilleures entreprises restent en France ? Nous ne sommes pas les seuls donneurs d'ordres. Mais depuis 2008, nous avons consenti un effort financier non négligeable à l'égard de nos sous-traitants.
Martial Bourquin considère que nous avons une obligation de résultats en termes d'emplois. Je le comprends. S'agissant de la production des amortisseurs, une autre solution était peut-être envisageable. Nous avons compris la leçon. Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas à avoir honte de notre politique de l'emploi : PSA a recruté 3 000 personnes en 2011, dont 1 800 ouvriers. Nous mettons tout en oeuvre pour améliorer l'employabilité de nos salariés et leur assurer un emploi à long terme au sein de l'entreprise. Ce n'est pas si simple.
Quant à la recherche et développement, là encore, évitons les faux procès. Ce que l'on peut reprocher à PSA, c'est d'avoir parlé de ses sous-traitants. Qui d'autre en parle ? La présidence et la direction générale n'ont qu'un voeu : que la recherche et développement de PSA soit aussi compétitive que celle de ses concurrents allemands, qu'à moyens égaux elle produise autant de projets, autant de véhicules. Quant au China Tech Center, ce n'est pas avec 1 000 chercheurs que l'on crée une voiture : tout juste peut-on en adapter une, changer quelques pièces de sa carrosserie extérieure. Nous produisons aussi le moteur flex fuel au Brésil. Mais notre base technologique reste en France, à Vélizy, Sochaux et La Garenne-Colombes, où sont et resteront localisées toutes nos compétences en matière de moteurs et de boîtes de vitesse.
Par égard pour M. Carlos Tavares, dont l'audition doit commencer dans dix minutes, je demanderai à ceux de mes collègues qui veulent encore intervenir d'être brefs.
Quel est votre programme de recherche et développement sur les énergies nouvelles, les moteurs électriques ou hybrides ? Où vous situez-vous en comparaison de vos concurrents ?
Dans un contexte mondial difficile, PSA a choisi de continuer à produire une bonne part de ses véhicules en France, parfois en partenariat avec d'autres constructeurs, comme l'Italien Fiat à Sevel dans le Valenciennois. Quelquefois, votre groupe est mis en difficulté par ses partenaires. Je puis en témoigner : à Valenciennes, PSA a réuni tous les acteurs et les représentants des territoires pour réfléchir à l'après-2017 et trouver un nouveau partenaire. Dans ce territoire très industriel, les aléas économiques sont fréquents, et dans votre secteur l'activité est étroitement liée aux capacités de consommation des ménages et aux évolutions de la concurrence. Il faut faire collaborer les constructeurs, les représentants des territoires, les acteurs de la recherche et développement, les universités, afin de trouver des solutions.
Nous avons une vision claire de la stratégie de votre groupe en France. Mais qu'en est-il de vos relations avec vos sous-traitants ? Quelles évolutions peut-on prévoir ?
Pour le véhicule du futur, le groupe PSA a fait le choix du moteur hybride. Cela signifie-t-il qu'il ne croit pas au tout-électrique ?
Peugeot est un très grand constructeur généraliste. En considérant son bilan, je me réjouis que nous ayons maintenu et amplifié le crédit d'impôt recherche, dont ont aussi bénéficié les sous-traitants. Mais comme Alain Chatillon, je me demande si vous avez suffisamment anticipé la nécessaire montée en gamme.
L'État, la région Nord-Pas-de-Calais, l'entreprise Française de mécanique et PSA ont conclu une convention de maintien des effectifs jusqu'en 2016, portant sur 3 100 postes au moins. Une aide financière a été consentie. Le moteur à trois cylindres doit sortir en mars 2013 : c'est une raison d'espérer. Mais on s'interroge toujours sur la pérennité de l'entreprise, alors qu'un moteur Renault est en fin de vie. Je rappelle qu'à la Française de mécanique, les capitaux sont détenus à parts égales par PSA et Renault, mais que PSA réalise 78 % de la fabrication, Renault 22 %. Faut-il améliorer la gouvernance de l'entreprise ?
Nous travaillons évidemment sur les énergies nouvelles, mais il faut être réaliste : le moteur thermique à essence ou diesel a encore une longue vie devant lui. Un collègue me disait que, du temps de ses études, on parlait de l'hydrogène comme de l'énergie du futur ; trente-cinq ans après, on en parle dans les mêmes termes ! En attendant, nous allons bientôt produire un moteur à trois cylindres, et notre moteur diesel DV6 est l'un des meilleurs au monde.
Je remercie Valérie Létard pour son témoignage. A Sevel comme ailleurs, nous travaillons avec les élus et les salariés pour résoudre les difficultés rencontrées, et amorcer les transformations nécessaires.
Avec nos sous-traitants, nous devons avoir des relations franches, fondées sur la confiance. Depuis deux ans, nous cherchons à conclure des accords de long terme avec nos fournisseurs grands ou moyens. Ces entreprises sont indispensables pour développer de nouvelles technologies.
S'agissant du véhicule du futur, je rappelle que nous réalisons 30 % des ventes de véhicules électriques en Europe. Ce type de véhicule est promis à un bel avenir, mais il reste limité à certains usages, dans les grandes agglomérations.
Avons-nous réagi trop tardivement en matière de montée en gamme ? Outre l'image dont bénéficie ce pays, la comparaison avec l'Allemagne sur le haut de gamme doit prendre en compte les différences dans la limitation de vitesse sur les autoroutes - un moteur d'une puissance de 3 litres est inutile en France -, sans parler d'une fiscalité pénalisante. Mais avec la C5 et la 508, nous sommes très présents sur le segment D dont la taille a pourtant été divisée par deux en dix ans, passant de 1,5 millions à environ 700 000 véhicules en Europe.
Sur la Française de mécanique, je suis très à l'aise pour répondre sur l'action de PSA. Quant à celle de l'autre partenaire, vous pourrez lui poser directement la question. Après avoir connu quelques difficultés, ce site verra débuter dans les prochains mois la production du moteur EB turbo, tandis que le site de Trémery, qui a le vent en poupe, bénéficie pour sa part de la production du moteur EB.
Je considère ainsi que nous avons rempli nos engagements, PSA étant d'une façon générale attaché à ses différents sites, y compris à celui d'Aulnay. Quant à nos équipes, elles sont particulièrement fières de participer à la production, sur le territoire national, de beaux produits dont la qualité et la technologie ne cessent de s'améliorer.
Nous vous remercions d'avoir exposé votre stratégie globale et d'avoir répondu à nos interrogations.
La commission procède enfin à l'audition de M. Carlos Tavares, membre du comité exécutif et du comité de direction de Renault, directeur général délégué aux opérations.
Bien que l'entreprise soit leader sur le marché français et deuxième au niveau européen derrière Volkswagen, avec 2,7 millions de véhicules vendus dans le monde en 2011, Renault est une entreprise de petite taille, représentant 3 % du marché mondial et constituant la 16e capitalisation boursière du secteur, y compris en y incluant ses participations industrielles dans Nissan, Daimler et Samsung. Elle possède un potentiel, mais elle est fragile. Un de ses facteurs de fragilité est sa difficulté à dégager de façon continue une capacité d'autofinancement. Son niveau de marge opérationnelle est faible, de l'ordre de 3 % au premier semestre 2011, les deux tiers provenant des activités de financement automobile et seulement un tiers de la production, qui est pourtant notre coeur de métier.
Renault dispose en effet d'un point mort de marge opérationnelle trop élevé, proche du niveau des ventes courantes. C'est ainsi qu'en 2011, alors que nous battions notre record de vente mondiale avec 2,7 millions d'unités, ce point mort s'établissait à 2,67 millions de véhicules. Cette situation résulte de la croissance de nos frais fixes au cours des dernières années et de l'érosion des marges unitaires, elle-même liée à la guerre des prix que se livrent les constructeurs sur le marché européen où nous réalisions l'an dernier 57 % de nos ventes. Et, malgré cela, nous n'avons ni émis d'avertissement sur résultat, ni annoncé de plan social, notamment en France.
S'il m'a semblé nécessaire de souligner la fragilité en termes de rentabilité de l'entreprise, notamment à destination de ceux qui estiment que Renault est une entreprise indestructible, je n'en suis pas pour autant pessimiste pour son avenir, bien au contraire. De retour en France, après cinq années chez Nissan au Japon, suivies de deux années pour la même marque aux États-Unis, j'ai été frappé par les progrès spectaculaires réalisés par l'entreprise en matière de qualité, progrès que confirme la récente enquête de l'Automobile Club allemand ADAC auprès des automobilistes de ce pays. J'ai pu constater aussi les talents, et la créativité présents dans l'entreprise, ainsi que le très haut niveau d'engagement des équipes.
Parmi les atouts qui peuvent permettre à Renault de rester premier sur le marché automobile français, je voudrais en particulier insister sur le niveau d'excellence atteint par l'entreprise en matière de motorisation. En témoigne le fait d'avoir - ce qui est exceptionnel -remporté dix titres de champion du monde de Formule 1 en dix ans. En témoigne aussi la feuille de route très ambitieuse que nous nous sommes fixée en matière de réduction des émissions de CO2 à l'horizon de 2020 : elle nous conduira dès 2016 à proposer une gamme de véhicules dont le taux d'émission moyen pondéré en fonction des ventes de chaque modèle sera inférieur à 100 grammes par kilomètre parcouru. Ce résultat sera rendu possible grâce à notre gamme de véhicules électriques, mais aussi en raison de nos progrès en matière de motorisation diesel. Ces progrès ont d'ores et déjà permis à la nouvelle Mégane, avec ses 90 g de CO2, de remporter un vif succès en Hollande, pays qui est le plus sévère en termes de réglementation et de taxation des émissions. Renault, je veux le dire, fait la course en tête dans la recherche de l'équilibre entre la consommation et la performance de ses moteurs diesel. A ceci s'ajoute le lancement en 2012 de nouveaux moteurs turbo de cylindrée réduite à injection directe, qui nous situera à un niveau de qualité et de performance tout à fait comparable à nos concurrents allemands.
Au-delà de cette excellence en matière de motorisation, l'une de nos forces sera aussi notre plan produit, puisqu'après quelques années marquées par le vieillissement de notre gamme, celle-ci va voir son renouvellement fortement accéléré avec le lancement de 23 nouveaux modèles d'ici 2014. Ce renouvellement s'inscrit dans une stratégie visant à la fois à améliorer la rentabilité de l'entreprise et à poursuivre notre croissance au niveau international, tout en protégeant nos positions sur le marché européen. Nos parts de marché hors d'Europe occidentale sont passées de 11 % en 1999 à 43 % l'an dernier. Cette progression tient principalement aux marchés russe et brésilien, sur lesquels la rentabilité est très bonne -ce qui bénéficie aux finances de l'ensemble de l'entreprise.
Ce développement international est indispensable en raison du très fort contraste qui existe entre, d'une part, un marché européen qui ne devrait retrouver qu'en 2016 son niveau de 2007 et, d'autre part, les autres zones géographiques, où les ventes en 2016 seront de 48% supérieures au niveau de 2007. Le niveau de motorisation en Europe atteint en effet 700 véhicules pour 1 000 habitants, contre seulement 15 pour 1 000 en Inde et 150 au Brésil. Par ailleurs, au niveau de la production, le marché européen est en surcapacité. C'est une des conséquences de la stratégie mise en oeuvre par les constructeurs européens face à la crise de 2008. Aux États-Unis, la crise a entraîné, en 2009 et 2010, une réduction de la production de l'ordre de 4 à 5 millions de véhicules. L'Europe a fait un choix différent, celui de ne pas répercuter entièrement la baisse des ventes sur les capacités de production et les effectifs. D'où sa surcapacité de production actuelle, qui est de 3 millions de véhicules si on fait tourner les équipes en 2x8 et de 11 millions de véhicules, si on les fait tourner en 3x8.
Cette énorme surcapacité est à l'origine de l'actuelle guerre des prix dans laquelle de nombreux constructeurs s'engagent, avec des taux de discount qu'on peut estimer actuellement à 20 ou 30 %. Ces stratégies de discount sont fortement destructrices de la valeur des marques. Par ailleurs, elles pèsent sur la rentabilité et donc sur la pérennité des entreprises. PSA, Fiat, Ford Europe et Opel sont dans le rouge car le problème des surcapacités en Europe n'a pas été traité.
La situation est différente pour Renault, car l'entreprise peut proposer des produits à bas coût sans les brader. À cet égard, je veux faire remarquer que, loin de cannibaliser les produits Renault, les véhicules Dacia, fabriqués dans des usines à bas coût pour être vendus à bas prix, nous permettent de servir les marchés matures sans être contraints de faire, comme autres constructeurs, le choix désespéré du discount. Ces véhicules jouent donc un rôle important dans cette phase d'ajustement du marché européen, car ils permettent à l'entreprise de maintenir sa rentabilité alors que, faute d'une telle offre, nos concurrents n'y parviennent qu'au moyen de plans sociaux.
Quelques mots sur la place de la France dans la stratégie de Renault. En France, Renault emploie directement 54 000 personnes. Avec les emplois induits, c'est environ 160 000 salariés qui dépendent de notre activité. Nous avons aussi investi 6 milliards d'euros en huit ans en France, soit 40 % des investissements totaux du groupe, alors que ce marché représente seulement 25 % de nos ventes d'automobiles neuves. Cette présence est destinée à durer. Notre plan à moyen terme 2011-2016 trace un avenir clair à nos différents engagements en précisant comment nos produits seront affectés entre les sites de l'hexagone. Notre stratégie consiste à conserver en France les produits à forte valeur ajoutée, tels que les véhicules haut de gamme et électriques, ainsi que les utilitaires pour lesquels Renault est leader en Europe depuis 14 ans.
Ainsi, Sandouville va bénéficier d'un investissement de 230 millions d'euros pour reprendre la fabrication du Trafic aujourd'hui réalisée sur le site de Nissan à Barcelone. L'usine de Flins va pour sa part assurer la fabrication de la Clio de quatrième génération et de la Renault Zoé tout électrique ainsi que d'une nouvelle unité de production de batteries, dont la première pierre sera posée au printemps. L'usine de Maubeuge, qui produit le Kangoo, fabriquera un utilitaire sous la marque Mercédès dans le cadre de notre partenariat avec Daimler. Cet exemple est la preuve qu'on peut être compétitif à travers l'association d'un fabriquant détenant un pouvoir de marché (pricing power) et d'un fournisseur possédant une longue expérience de la gestion des coûts et de la qualité - ce qui est le cas de Renault. Concernant le site de Batilly, nous y avons lancé en 2010 les différents véhicules de la famille Master. Sur le site de Douai, nous allons investir 420 millions d'euros pour fabriquer les véhicules des segments C et D, c'est-à-dire de moyen et haut de gamme, que sont les successeurs de l'Espace, de la Laguna, de Scénic et du Grand Scénic, le défi pour nos salariés étant que le temps de lancement de ces nouveaux modèles est relativement court. Enfin, l'activité de notre usine de Cléon, qui est notre centre de mécanique, avec celui du Mans en France, demeure soutenue en raison de notre niveau d'excellence dans le domaine des motorisations, notamment diesel, reconnue par nos partenaires Nissan et Daimler. La croissance de leur activité vient s'ajouter à la nôtre pour tirer l'activité sur ce site. Un investissement de 300 millions d'euros va permettre de répondre à cette demande et d'y intégrer la production du moteur électrique de demain, encore plus économe. Ce moteur constitue l'étape suivante dans une démarche design to cost, des éléments de la chaîne de traction électrique. Il traduit notre volonté d'investir en France dans des activités à forte valeur ajoutée. De façon générale, je veux souligner que nos activités de production de moteurs, de châssis et de systèmes de transmission, en France sont bien supérieures au nombre des véhicules que nous vendons sur le territoire, ce qui signifie que nous exportons ces pièces à partir de notre base de production française.
Contrairement à ce que j'ai pu entendre, s'agissant des voitures électriques, il ne s'agit absolument pas d'un « pari », mais d'un choix de leadership stratégique et d'une assurance, compte tenu de la forte probabilité d'une augmentation considérable du prix du pétrole avec la croissance de la demande des pays émergents et des possibles tensions géopolitiques. Dès que le prix du pétrole augmentera, avec tout ce que cela comporte d'éléments de déstabilisation sociale pour les pays fortement dépendants en pétrole, nous serons en mesure d'offrir une solution économique et pragmatique dont le coût de revient kilométrique sera très compétitif. Le véhicule électrique représente une opportunité de prendre le leadership sur les véhicules à zéro émission de gaz à effet de serre. Plus tôt nous passerons à de fortes cadences de production et plus tôt nous serons en mesure de faire baisser les coûts et de rendre accessible cette technologie au plus grand nombre. Renault a donc pris une position courageuse en concevant quatre modèles de véhicules électriques sur quatre segments très différents, à savoir la Kangoo, la Fluence, la Twizy et la Zoé.
L'objectif n'est pas qu'économique. Pensons aux générations futures : il est très important que la France puisse maintenir son leadership dans ce domaine et, si je me réjouis que notre pays ait su rédiger le Livre vert, je regrette qu'il n'ait pas encore été mis en oeuvre. J'ai également le plaisir de vous annoncer que notre compétence a été pleinement reconnue par l'appel d'offre que nous avons remporté auprès de l'Union des groupements d'achats publics, qui a commandé 15 500 Renault Kangoo électriques l'année dernière.
Pour en revenir au Livre vert, je crois que nous avons perdu beaucoup de temps, et je le déplore : six mois pour sa publication, six mois consacrés à des discussions stériles en nous demandant, par exemple, si l'on pouvait ou non faire stationner un véhicule électrique dans un parking souterrain. Nous espérons aussi une accélération de l'installation des points de chargement, dont le nombre s'établit à la fin 2011 entre 500 et 1 000 de type mode 3, au lieu des 2 000 prévus. Nous prenons du retard alors qu'ils sont indispensables au confort d'utilisation de nos clients, et je regrette qu'aucun dossier n'ait été présenté dans le cadre du grand emprunt pour accélérer la mise en place de ce réseau de chargement des véhicules électriques. C'est une question qui dépasse l'intérêt de Renault et intéresse la France, car, si notre pays ne développe pas un modèle d'économie durable, d'autres le feront, à commencer par la Chine.
Je reviens sur notre modèle de croissance, pour faire quelques remarques sur les liens entre notre activité nationale et internationale. L'activité créée à l'international, en générant de la demande et des profits, permet à notre entreprise de se développer en tirant la croissance en France. Chaque fois que nous vendons un véhicule d'entrée de gamme, un véhicule Dacia par exemple, nous générons 800 euros d'activité en France. Chaque fois qu'une voiture est produite dans notre usine de Tanger, cela génère aussi 800 euros de revenus pour la France, 400 euros correspondant aux pièces et 400 euros à l'ingénierie. C'est cohérent avec notre stratégie de développer les produits à forte valeur ajoutée et de promouvoir des nouvelles technologies sur le territoire français, avec notamment l'objectif que 80 % de nos dépenses d'ingénierie y soient localisées. Au risque de vous choquer, je voudrais vous communiquer un chiffre. La différence de prix de revient rendu chez le concessionnaire entre une future Clio 4 produite en France et la même voiture produite en Turquie est de 1 300 euros en défaveur de la France. Je ne dis pas qu'il ne faut pas produire en France, ni qu'il n'est pas possible d'y améliorer notre compétitivité. Mais ce chiffre mesure la réalité de l'écart de compétitivité entre les deux pays. Je vous invite à mettre cette valeur en regard des marges généralement faibles réalisées sur ce type de véhicules en Europe.
D'après les études dites de cross-shoping que nous avons réalisées, c'est-à-dire des études qui mesurent l'hésitation du client lorsqu'il achète un véhicule, seuls 5 % de nos clients ont hésité entre l'achat d'une Renault et d'une Dacia, ce qui démontre que cette dernière ne cannibalise absolument pas Renault mais qu'elle permet à des consommateurs qui auraient normalement acheté un véhicule d'occasion de se déporter vers le neuf. D'ailleurs une relation affective s'est établie entre ces véhicules et leurs possesseurs car il s'agit pour nombre d'entre eux de leur première voiture neuve. Des clubs se sont même créés.
Concernant nos fournisseurs, je rappelle que nous sommes engagés, avec PSA et les grands fournisseurs, dans la mise en place d'une filière automobile qui sera annoncée très bientôt. L'organisation de la filière au moyen notamment des comités de gouvernance se met en place, même si nous avons pris du retard. Bien que bien la production ait baissé de 37 % ces dernières années, les effectifs de ces entreprises n'ont diminué que de 19 %. L'évolution des ventes ne s'est pas traduite par un ajustement équivalent des effectifs. Par ailleurs, le groupe Renault a beaucoup soutenu et participé au développement de notre base fournisseurs, d'une part en acceptant des changements de conditions de paiements, et, d'autre part, en investissant 200 millions d'euros dans le Fonds de modernisation des équipementiers automobiles (FMEA), afin de venir en aide à des fournisseurs qui nécessiteraient une restructuration. Enfin, nous avons dépensé, en 2011, 74 millions d'euros en aides directes pour ces fournisseurs, et ce sans contrepartie. Nos propres salariés nous interrogent d'ailleurs sur le bien fondé de ces aides à des sociétés qui restent des sociétés juridiquement indépendantes.
La vision à long terme que nous avons de Renault est celle d'une entreprise à la pointe de l'innovation aux plans conceptuel, technologique et dans le domaine des motorisations, ou encore de la connectivité - nous serons le premier constructeur à intégrer une tablette sur le tableau de bord d'un véhicule. Renault restera également un leader mondial des véhicules à zéro émission de gaz à effet de serre. Nous continuerons à développer nos activités à l'international, afin d'assurer la récurrence de nos profits et de notre rentabilité et donc de maintenir notre pérennité, notamment grâce aux marchés émergents. Aucun débat ne peut faire abstraction des exigences de performance et de compétitivité.
Notre modèle industriel nous permettra de produire nos véhicules à proximité des marchés où nous les vendons : nous voulons éviter les barrières douanières qui restent aujourd'hui très fortes, puisque, à titre d'exemple, la taxe d'importation au Brésil et en Russie est de 35 %, en Inde de 100 % ; nous voulons aussi nous prémunir contre les variations des taux de change qui est un facteur exogène incontrôlable.
Renault continuera également à être une entreprise humaniste.
- Présidence de Martial Bourquin, vice président -
Pourquoi le site de La Française de mécanique dans le Pas-de-Calais, dont vous détenez 50 %, n'a-t-il pas été retenu dans le cadre du développement de vos nouveaux moteurs
Lors de la crise financière, l'État a répondu présent. Il a ouvert sa bourse en prêtant 6,5 milliards d'euros à la filière automobile, remboursables en trois ans contre 715 millions d'intérêts. Il a aussi apporté 900 millions aux PME du secteur via l'action d'Oseo, 1,2 milliard de prime à la casse et 2,3 milliards d'euros de bonus écologique. La fin de la taxe professionnelle a aussi amplement profité à l'industrie automobile, qui a par ailleurs reçu 315 millions d'euros en 2009 au titre du crédit d'impôt recherche. Quel a été l'impact en termes d'emplois de cet investissement massif de la nation ? Avez-vous relocalisé ou, au contraire, les délocalisations se poursuivent-elles ? Alors que, depuis la Libération, le commerce extérieur français mise sur les grands groupes industriels, tels que Renault ou PSA, on voit que le secteur automobile, autrefois excédentaire, contribue, désormais, depuis 2005, au déficit abyssal de notre balance commerciale pour plus de 3,4 milliards d'euros par an, notamment du fait de réimportation de produits en France.
Vous ne réalisez en France que 25 % de votre production, sensiblement moins que votre concurrent français. Par comparaison, ce taux atteint 55% chez Volkswagen en Allemagne. Alors ne pensez-vous pas qu'il serait juste de produire dans notre pays les véhicules ? Nous sentons davantage chez Renault une stratégie financière qu'un patriotisme industriel comparable à celui de vos homologues allemands, ce qui est inquiétant pour nos territoires. Vous rappeliez certes que vous n'avez pas fermé de site, mais, du fait de la pyramide des âges, on sait aussi que les départs à la retraite de la génération du baby-boom permettront de vider certains sites sans licencier.
J'ai constaté en Bourgogne qu'à l'instar des consommateurs, la gendarmerie s'inscrivait dans une démarche low cost en roulant en 4x4 Dacia ; je souhaiterais connaître le volume de cet appel d'offres.
Au vu de votre expérience au Japon et aux États-Unis quel regard portez-vous sur la désindustrialisation de notre pays et sur les moyens de l'éviter ?
Je n'ai pas d'information particulière sur le marché de la gendarmerie que vous évoquez mais je ne doute pas que cette dernière, dont le patriotisme ne peut bien sûr être mis en doute, fait, comme tout consommateur, le choix du véhicule qui répondait le mieux à ses besoins et ses capacités financières.
Monsieur Martial Bourquin, je rappelle, sans agressivité ni arrogance, que notre première responsabilité vis-à-vis de la nation est d'assurer la pérennité de l'entreprise, d'éviter qu'elle ne bascule dans le rouge, ce qui la contraindrait à mettre en oeuvre des plans sociaux douloureux parce qu'elle n'aurait pas fait les bons choix. Force est de constater que tous nos concurrents européens, à l'exception notable de Volkswagen, enregistrent aujourd'hui des pertes. Or nous savons que nos sociétés et les États n'auront plus les moyens, ni la volonté, de demander au contribuable de soutenir des entreprises qui seraient dans le rouge en raison de ce qu'on pourrait considérer comme des fautes de gestion. Mon rôle de dirigeant consiste donc d'abord à protéger nos 126 000 salariés et leurs familles ainsi que nos fournisseurs, en faisant des choix technologiques et industriels pertinents, propres à nous permettre de faire face à nos concurrents.
Il est frappant d'observer que les discounts actuellement concédés par les constructeurs européens oscillent entre 20 % et 30 %, alors qu'avant la crise, leur marge opérationnelle n'était que de quelques points. Avec de telles remises, comment mener les batailles industrielles qui sont devant nous ? Comment survivre, sans demander à l'État de combler les trous ? Quant à notre propre stratégie industrielle, il n'y a rien de mal, je pense, à développer en France les technologies de pointe, les produits à forte valeur ajoutée, les véhicules utilitaires, électriques, haut de gamme. Pour que le groupe Renault soit rentable en France, il n'y a rien de mal à faire en sorte qu'il soit profitable dans le monde et qu'il le reste. Je n'ai pas mauvaise conscience : nous protégeons nos collaborateurs, à qui nous demandons beaucoup, en raison d'une concurrence mondiale que je qualifierai de sanguinaire.
Les meilleurs constructeurs mondiaux généralistes n'ont pas plus de 6 ou 7 points de marge opérationnelle. Désoptimiser, c'est prendre le risque de basculer très vite dans le rouge. C'est le drame de l'industrie automobile en ce moment. Autant nous sommes extrêmement reconnaissants à l'État français d'avoir aidé l'entreprise pendant la première crise, autant nous sommes lucides et savons que nous ne pourrons pas le demander une deuxième fois. C'est dire le poids de notre responsabilité dans la tempête actuelle, qu'il nous incombe de traverser de telle sorte que nous puissions assurer ensuite, peut-être, une croissance plus durable.
La meilleure façon d'aider le tissu industriel automobile en Europe est de faire en sorte que le marché européen s'améliore, ce qui relève de données exogènes. S'il ne s'améliore pas, la seule chose que nous pouvons faire, pour ne pas détruire de la valeur, est de garantir des performances orientées vers nos parts de marché. Nous n'avons pas annoncé de fermetures d'usines en France. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour fabriquer en France des produits à forte valeur ajoutée. En 2011, nous avons été la deuxième marque européenne, derrière Volkswagen et devant Ford ; nous sommes leader en France, leader européen des véhicules utilitaires, nous avons battu notre record de ventes dans le monde.
Fabriquer un quart de votre production en France, est-ce suffisant pour assurer la réindustrialisation que nous appelons tous de nos voeux ? L'État ne vous a pas seulement aidé pendant la crise. Il continue à vous aider énormément, avec le bonus écologique, les prêts d'Oséo et la volonté d'aller vers le véhicule décarboné. Ne pensez-vous pas que vous pourriez faire plus sur le sol français ? En Allemagne, cela fonctionne. Sans aller jusqu'à localiser en France toute votre production, 25 %, en comptant les véhicules utilitaires, c'est extrêmement peu !
Faut-il participer à l'amélioration de la compétitivité de la production française en France ? Oui. C'est pourquoi nous avons développé nos capacités d'investissement en France. Rendez-vous compte de la bataille que nous avons à mener, nous ne sommes pas tout seuls ! Je vous ai rappelé l'écart de coût entre la Turquie et la France, pour une Clio 4 : 1 300 euros.
Nous pensons que la protection sociale de nos salariés est un honneur pour la France. Le problème n'est pas de tirer la France vers le bas, mais d'amener vers le haut la production en France, notamment par l'innovation dans les technologies de production. Les salariés français ressentent très mal qu'on leur dise qu'ils sont « très chers », d'autant qu'une bonne partie des problèmes de la croissance française est due au fait que leur pouvoir d'achat n'augmente pas !
L'automobile ne porte pas la responsabilité de l'ensemble de l'industrie française. Ne m'amenez pas dans un débat de société auquel nous ne voulons pas prendre part, bien que nous voulions participer à l'amélioration des conditions de vie dans la société. Il faut savoir si l'on veut traiter le problème du déficit de compétitivité entre l'Europe et le reste du monde. La question de la compétitivité allemande est une très bonne question. Des gens qui ont plus d'esprit que moi vous expliqueront ce que l'Allemagne a fait ou pas au cours des dix ou vingt dernières années.
Ma responsabilité première est d'assurer la pérennité de l'entreprise, pour protéger les personnes qui, tous les jours, contribuent à ce qu'elle est. Il sera possible de faire plus de voitures en France si le marché croît. Pour l'instant, en 2011, il stagne par rapport à l'année précédente et 2012 s'annonce en berne. Le marché européen n'a pas encore récupéré son niveau de 2007. Il est injuste de faire peser sur les épaules de Renault le fardeau du pouvoir d'achat de nos concitoyens. En revanche, nous devons chercher à maintenir la compétitivité de l'entreprise. Notre activité mondiale apporte beaucoup à la France. Nous sommes désireux de lui apporter plus encore, mais pas au détriment de la pérennité de l'entreprise. Que diriez-vous demain si nous commettions des erreurs stratégiques qui la plongent dans le rouge ? Vous devriez féliciter Renault de tenir bon, de mener une stratégie permettant de maintenir son activité en France, et d'attendre que le marché européen s'améliore. Nous ne sommes pas de ceux qui ont mis leur entreprise dans le rouge puis ont annoncé des plans sociaux. Par rapport à tous ceux - mes prédécesseurs - qui ont pris les décisions qui nous ont permis de protéger l'entreprise, vos remarques me paraissent un peu injustes, mais c'est le jeu et je l'accepte !
J'ai écouté votre démonstration avec beaucoup d'attention. Tenir le cap d'une entreprise comme Renault, dans un contexte international complexe, dans le secteur industriel assurément le plus difficile, n'est pas chose aisée. Les Français sont très fiers de pouvoir garder, et de voir se développer, cette entreprise sur leur sol, au service des salariés français. Comprenez aussi notre attente, qui porte sur l'impact de la recherche et du développement sur les activités et les services rendus aux salariés, aux femmes et aux hommes de notre pays. En tant qu'élus, nous avons beaucoup investi et nous avons fait des choix stratégiques de développement. Nous nous demandons aujourd'hui comment nous devons accompagner ce mouvement, pour rendre un meilleur service à la population de nos territoires. Là où je suis élue, l'industrie automobile et ferroviaire forme le socle de notre économie. C'est notre priorité stratégique. L'université met le paquet pour l'accompagner, tant en termes d'enseignement supérieur que de recherche. Nous avons créé un cluster. Nous avons consacré beaucoup de moyens à l'accueil d'entreprises innovantes de ce secteur, afin que les industriels puissent trouver sur place la valeur ajoutée, les ressources humaines et la compétitivité propices à leur développement. Nous travaillons pour passer des accords avec eux. Comment aller plus loin ? Dans combien de temps, et dans quelle proportion ces efforts porteront-ils leurs fruits ? Nous devrions pouvoir produire sur place, et non ailleurs, telle ou telle composante, des boîtes de vitesse, par exemple, des modules technologiques. C'est un pari. Nous sommes sans doute en avance, mais dans quel délai, dans quelle proportion cette politique industrielle aura-t-elle un réel impact sur l'activité ? Ce sont des choix lourds, territoriaux et nationaux, que nous avons faits. Seront-ils couronnés de succès ou l'industrie est-elle définitivement condamnée ?
Les collectivités territoriales ont beaucoup investi en effet. Existe-t-il des signaux importants de relocalisation ? Les grands industriels vont-ils accompagner ces investissements lourds ?
Je souhaiterais auparavant vous répondre sur La Française de mécanique : nous partageons la responsabilité de son avenir avec PSA. Nous produisons le moteur D et nous avons décidé de fabriquer des éléments de la chaîne de traction du véhicule électrique. Nous serons en mesure de préciser cela dans quelque temps, mais nous prenons nos responsabilités. Je ne crois pas que le site soit en risque. Je conçois que chacun s'interroge devant l'avalanche d'annonces que nous avons faites, mais chaque chose viendra en son temps. J'ai évoqué l'usine de Cléon, parce que c'est l'une de celles qui tournent à plein régime en France, parce qu'elle a su préserver la compétitivité des produits qu'elle fabrique.
Je mesure à quel point votre mission est difficile. J'ai devant moi beaucoup de gens qui me demandent des certitudes. Ma seule certitude, c'est que l'industrie automobile est impitoyable et ouverte. Nous avons collectivement créé les conditions d'une concurrence sanguinaire : maintenir une telle surcapacité, sur un marché décroissant, c'est avoir la certitude d'une destruction de valeur importante, selon le mécanisme pervers que j'ai décrit. Plus la surcapacité est importante, plus la pression sur les ventes s'accroît, pour compenser les frais fixes, plus vous perdez de l'argent, plus la bulle enfle, qui éclatera tôt ou tard. Telle est la situation de certains producteurs européens.
C'est pourquoi nous veillons à un bon équilibre entre nos frais fixes et la rentabilité de nos ventes unitaires. Quant aux choix stratégiques que vous avez mentionnés, nous avons pris nos responsabilités : nous avons investi à Cléon sur le moteur de nouvelle génération des véhicules électriques, nous avons investi à Flins dans une usine de batteries. Sur les quatre véhicules électriques, nous en produisons deux en France. Nous avons décidé de relocaliser l'ensemble de notre production de Trafic à Sandouville.
Monsieur le Président, sachant la somme d'efforts que cela représente en interne, je trouve votre critique sur le « manque de patriotisme industriel » difficile à entendre pour les salariés de Renault. Nous montrons par nos décisions audacieuses la force de nos investissements en France : 40 % de nos investissements y sont réalisés, pour seulement 20 % de nos volumes de vente. Ils ont représenté 8 milliards d'euros ces dernières années.
Ces technologies sont-elles pérennes ? Je ne le sais pas. Une révolution technologique peut se produire, dans dix ans, à partir de la Chine ou de l'Amérique. C'est pourquoi il importe d'investir dans la recherche et le développement. Cet axe me paraît bon. Si je puis me permettre un conseil, laissez les entreprises respirer, laissez-les s'adapter à leur environnement ! Les carcans empêchent les entreprises de s'ajuster à la bonne vitesse. Empêcher les entreprises de respirer, c'est reporter à plus tard la solution d'un problème, qui ne fera que croître avec le temps. Les capacités d'adaptation des entreprises sont l'une des clés de leur compétitivité à moyen terme. Si elles ne s'adaptent pas, comme les dinosaures, elles disparaissent. L'investissement en recherche et développement est un bon choix. Nous n'avons pas d'usine à Valenciennes. Il faudrait interroger Toyota, dont la recherche est au Japon, et PSA.
On parle beaucoup de volatilité et tout le monde veut des prévisions. La volatilité est telle aujourd'hui que les prévisions ont perdu leur sens. Il faut créer l'avenir, plutôt que le prévoir. Il faut être déterminé. Nous voulons que la récurrence de la rentabilité de notre entreprise en assure la pérennité.