Intervention de Martial Bourquin

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 21 décembre 2011 : 1ère réunion
Simplification du droit et allègement des démarches administratives — Examen du rapport pour avis

Photo de Martial BourquinMartial Bourquin, rapporteur pour avis :

La proposition de loi relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives constitue le sixième texte législatif de simplification du droit examiné par le Parlement depuis 2003, et la quatrième proposition de loi déposée sur le sujet depuis 2007 par le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Jean-Luc Warsmann.

Je vous rappelle que la commission des lois a délégué au fond à notre commission 32 articles sur les 153 que compte ce texte à l'issue du vote en première lecture de l'Assemblée nationale, et que nous avons en outre décidé de nous saisir pour avis de 4 articles supplémentaires.

Hervé Maurey et moi-même nous sommes répartis les 36 articles examinés par notre commission, 16 articles relatifs à l'agriculture et aux procédures environnementales lui revenant, tandis que je me consacrais aux 20 articles restants relatifs à des domaines aussi variés que l'urbanisme, l'artisanat et le commerce, les services postaux, le crédit d'impôt recherche, les géomètres-experts, les transports, le tourisme, le logement et les délais de paiement.

Cette simple énumération illustre l'une des faiblesses des lois de simplification du droit en raison de leur caractère totalement disparate, et qui a conduit ce matin la commission des lois à examiner les questions préalables déposées sur ce texte, d'une part, par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC et par, d'autre part, M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE.

Nos collègues de la commission des lois viennent de décider d'adopter cette question préalable et pour ma part, je vous proposerai d'émettre un avis favorable au vote de cette question préalable par le Sénat.

En effet, je considère, tout d'abord, que nous ne pouvons plus accepter de discuter des propositions de lois de simplification du droit qui se présentent comme de vastes « fourre tout », notre collègue Hervé Maurey ayant dans son rapport de l'an dernier exprimé sa préférence, que j'approuve, pour des lois de simplification sectorielles.

Certes, la présente proposition de loi est supposée avoir un champ plus circonscrit que les textes précédents, puisqu'elle se limite à des dispositions bénéficiant aux acteurs économiques.

Toutefois, sous le couvert de cette thématique très générale, ce texte apparaît, tout autant que les précédents, comme un ensemble très hétéroclite, comme en témoigne par exemple l'intitulé choisi pour le dernier chapitre du titre II, à savoir « Diverses dispositions d'ordre ponctuel », ce qui ne veut strictement rien dire. On est très près du mythique « projet de loi portant diverses dispositions d'ordre divers » que tout gouvernement a rêvé, un jour ou l'autre, de présenter au Parlement !

Je ne puis toutefois que regretter qu'une proposition de loi d'initiative parlementaire soit porteuse d'une telle dérive.

Ensuite, force est de constater que nous assistons à un emballement du processus de simplification, le présent texte ayant été déposé par M. Jean-Luc Warsmann le 28 juillet 2011, c'est-à-dire moins de trois mois après la promulgation de sa précédente proposition de loi de simplification, le 17 mai 2011, alors qu'aucune des 46 mesures d'application attendues pour celle-ci n'est encore parue à ce jour.

Si un tel rythme devait être maintenu, le Parlement finirait par être saisi de manière quasi permanente d'un texte de simplification du droit, devenant le réceptacle naturel de toutes les dispositions législatives isolées ne trouvant pas à s'insérer dans des supports législatifs thématiques. Ainsi, bien loin de lutter contre le phénomène d'inflation législative, l'enchaînement de lois de simplification apparentées à de véritables attrape-tout contribue désormais à l'alimenter.

De surcroît, je regrette que nous n'ayons pu être éclairés par les analyses du Conseil d'État dont l'avis confidentiel a été transmis au seul Président de l'Assemblée nationale. De ce fait, nous n'avons pas pu avoir connaissance de cet avis, et nous devons nous contenter des extraits que le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale a jugé opportun de citer occasionnellement.

Je déplore le manque de transparence, sur ce point, des relations entre les deux Chambres du Parlement et estime que l'article 4 bis de l'ordonnance du 17 novembre 1958 devrait être modifié pour assurer une publicité plus large des avis du Conseil d'État sur les propositions de lois.

Si le texte contient des dispositions incontestablement utiles, il convient aussi de dénoncer la présence en son sein, sous couvert de simplification, de mesures qui sont loin d'être mineures.

Ainsi en est-il de l'article 10 qui vise à exonérer les filiales ou les sociétés contrôlées de l'obligation de publier des informations relatives à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, si ces informations sont publiées par la société mère ou la société qui les contrôle, et ce alors que ce principe d'une transparence des entreprises de plus de 500 salariés en matière sociale et environnementale a été adopté, après de longues concertations, dans le cadre de la loi portant engagement national pour l'environnement, dite Grenelle II. Cette stratégie, qui entend prendre le Parlement à revers et lui forcer la main, n'est pas acceptable.

De même, l'article 72 bis, introduit par les députés, vise à élever au niveau législatif la définition du poids maximal autorisé pour les poids lourds, fixé à 44 tonnes pour 5 essieux, sauf exceptions prévues par voie réglementaire.

Outre qu'il s'agit clairement d'un cavalier législatif et pose de ce fait un problème de constitutionnalité, cette disposition prétend trancher, sans le poser, un débat particulièrement complexe. Elle va en effet beaucoup plus loin que le décret du 17 janvier 2011 qui autorise progressivement les 44 tonnes, tout en imposant un 6e essieu afin d'éviter de dégrader nos routes. Les camions de 44 tonnes à 5 essieux induisent un surcoût dans l'entretien des routes nationales et départementales estimé entre 400 et 500 millions d'euros par an environ. On ne peut pas, au détour d'une loi de simplification, trancher le débat s'agissant du 6e essieu : ce n'est pas sérieux et digne du Parlement.

Dans cette affaire, je rappellerai par ailleurs que le gouvernement n'a pas respecté le Parlement, car le rapport demandé par le Sénat et son rapporteur Bruno Sido sur les 44 tonnes a été transmis au Parlement après l'adoption du décret du 17 janvier 2011, ce qui est pour le moins cavalier... S'y ajoute le fait que les professionnels n'ont pas été entendus à ce sujet, le gouvernement leur ayant imposé le 6e essieu sans concertation, alors qu'il existe peut-être d'autres mesures compensatoires comme la généralisation des suspensions pneumatiques. Il convient de faire montre de sagesse et traiter ce dossier complexe en procédant à de nouvelles concertations.

Au-delà de la modification éventuelle du décret de 2011, c'est même et surtout d'une grande loi sur la politique nationale des transports que nous devrions discuter. Définir une stratégie globale des transports allant du fret ferroviaire aux transports routiers, tel devrait être le véritable travail du Parlement sur ces sujets !

Enfin, je mentionnerai une autre disposition inacceptable prévue par l'article 90 bis du texte, tendant à proroger les accords interprofessionnels dérogatoires aux délais maximum de paiement pour certains secteurs d'activité au caractère saisonnier marqué.

Ceci pourrait, par exemple, permettre de détériorer les conditions de paiement faites par l'industrie automobile à ses sous-traitants pendant une partie de l'année au motif que l'on vend davantage de véhicules au printemps qu'en hiver. Outre qu'elle risque de fragiliser le tissu des PME déjà frappé par la crise, cette mesure pourrait même se retourner contre ceux qui la promeuvent.

En conclusion, je vous proposerai d'approuver l'adoption de la question préalable par la commission des lois, qui aboutit à repousser l'ensemble du texte sans engager l'examen des articles.

Certes, nous aurions pu tenter d'amender cette proposition de loi pour la rendre acceptable. Mais je crois que nous sommes arrivés à un point où il est important de marquer le désaccord radical du Sénat avec cette manière de légiférer.

Sixième du genre, cette proposition de loi apparaît comme le texte de simplification de trop. Il est devenu politiquement nécessaire de la rejeter en bloc au lieu de nous contenter de tenter de l'améliorer à la marge.

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